Des chars de Tsahal sur le plateau du Golan: Israël occupe désormais la zone tampon avec la Syrie. © GETTY IMAGES

Comment Netanyahou veut imposer une «pax israeliana» à la Syrie

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Destruction des moyens et infrastructures de l’armée, percée au nord du plateau du Golan, surveillance des islamistes les plus radicaux: le nouveau régime syrien est sous la pression d’Israël.

Un paradoxe de plus au Proche-Orient. En affaiblissant, dans les guerres menées depuis le 7 octobre 2023, le Hezbollah libanais et l’Iran, soutiens de l’ancienne Syrie, Israël a contribué à la chute de Bachar al-Assad et à l’avènement du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham. Mais en pilonnant, depuis le changement de pouvoir à Damas le 8 décembre, les dépôts d’armes et les infrastructures militaires de la «nouvelle Syrie», il affaiblit le régime d’Abou Mohammed al-Joulani et le rend plus vulnérable aux influences étrangères.

La contradiction apparente sert sans doute, il est vrai, les desseins du gouvernement de Benjamin Netanyahou: s’assurer une certaine mainmise sur les actions de ces nouveaux dirigeants dont l’idéologie islamiste, ancienne et encore actuelle, ferait passer Bachar al-Assad pour un modèle de modération.

Pour l’heure, la modération s’affiche surtout du côté de Damas. «La priorité doit maintenant être la construction d’un Etat et la création d’institutions publiques au service de tous les Syriens», a avancé Abou Mohammed al-Joulani pour justifier sa retenue à l’égard d’Israël. «Avec la chute du régime d’Assad, la menace du Hezbollah et des milices pro-iraniennes a été éliminée», a-t-il fait valoir à l’intention des Israéliens. Ceux-ci ont pourtant décidé de pousser leur avantage en menant deux opérations.

Accord bafoué

La première a consisté à bombarder pas moins de 320 cibles en Syrie en 48 heures après le 8 décembre. Selon l’état-major israélien, 80% des capacités de l’armée syrienne et 90% de ses batteries de missiles sol-air connues auraient été détruites. L’ensemble des dommages va de la défense anti-aérienne à des aérodromes en passant par des sites de production d’armes, à Damas, Homs, Lattaquié, Tartous ou Palmyre. L’opération israélienne «Flèche de Basan» a impliqué une forte participation de l’aviation mais aussi la marine, pour l’attaque des bases navales de Lattaquié et Bayda, dans laquelle une grande part de la flotte militaire syrienne aurait été détruite.

«La politique de guerre sans limites de Netanyahou est plus que jamais un facteur de déstabilisation pour la région.»

La deuxième a abouti à l’incursion de l’armée israélienne dans la zone tampon, censée être démilitarisée, entre la Syrie et le plateau du Golan occupé par l’Etat hébreu depuis la guerre du Kippour en 1973. Une avancée «limitée et temporaire» sur le versant syrien du mont Hébron dont l’objectif est «d’empêcher des groupes terroristes extrémistes de s’implanter près de notre frontière», a expliqué le chef d’état-major de l’armée israélienne, le général Herzi Halevi. «Nous ne cherchons pas à gérer la Syrie», a-t-il assuré. Il n’empêche, il s’agit d’une violation de l’accord de désengagement de 1974 signé par la Syrie et Israël et inscrit dans la résolution 350 du Conseil de sécurité des Nations unies, a commenté le porte-parole de l’ONU, Stéphane Dujarric. A Damas, Abou Mohammed al-Joulani s’est engagé à respecter l’accord et a dit espérer qu’Israël en fera de même. Mais on sait les libertés que n’hésitent pas à prendre les gouvernements successifs en Israël avec les résolutions onusiennes.

Menace turque

L’interventionnisme israélien, que le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a dit vouloir… tenter de contenir, suscite donc quelques craintes pour la stabilité de la Syrie. «La politique de guerre sans limites de Netanyahou est plus que jamais un facteur de déstabilisation pour l’ensemble de la région», analyse l’ancien officier français Guillaume Ancel, sur son blog Ne pas subir. «Il est important de stopper la campagne de bombardements lancée par Netanyahou, développe-t-il. Ces frappes aériennes avaient pour but initial de réduire les stocks d’armes lourdes présents en Syrie, mais en les continuant […] plus d’une semaine après la chute du régime Assad, elles installent un état de guerre permanent qui déstabilise le pouvoir naissant à Damas.»

Libérée de l’influence de l’Iran et du Hezbollah, la Syrie subira-t-elle les affres d’autres immixtions durables? Le danger est réel alors qu’à la pression israélienne, s’ajoute la perspective de plus en plus prégnante d’une opération de la Turquie contre les forces des Kurdes de Syrie, soutenues par les Etats-Unis. Les services de renseignement américains ont signalé un déploiement massif de troupes d’Ankara à la frontière. Le président Recep Tayyip Erdogan n’a jamais caché sa volonté d’établir, au minimum, une zone sous son contrôle dans le nord de la Syrie pour faire pièce aux connexions des Kurdes de Syrie avec les Kurdes de Turquie. La stabilité de la nouvelle Syrie ne se profile pas sous les meilleurs auspices.

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