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Changement de pouvoir en Syrie: «Nous sommes trop différents pour que cela matche à long terme»
Abou N., ancien milicien de l’Etat islamique passé par l’Irak et la Libye, est un rallié de fraîche date du HTC où il a retrouvé des combattants des camps opposés.
Hayat Tahrir al-Cham a promis de réconcilier la Syrie et de procéder à sa restructuration totale. Une tâche complexe tant le pays, divisé, fait face à des difficultés abyssales. Car, en plus de devoir désenclaver un Etat placé au ban des nations et d’avoir à composer avec les différentes factions armées présentes sur son sol, son nouvel homme fort, Ahmed al-Charaa, doit également assoir son autorité sur une base militante hétéroclite et volatile. La pression de ses franges les plus radicales semble s’accentuer sur le HTC afin de le contraindre à embrasser une posture plus conservatrice sur le plan religieux –à l’instar de celle qui était en vigueur dans le réduit d’Idlib, et surtout lorsqu’il dirigeait Jabhat al-Nosra, filiale d’Al-Qaeda.
Dans une base militaire improvisée au cœur de Damas, des combattants de sa formation vont et viennent. Cagoule, uniforme noir et Kalachnikov en bandoulière, ils paradent dans la cour, et disent arriver d’horizons extrêmement différents. «Nous sommes tous unis, le passé est derrière nous», commente froidement l’un d’entre eux, le visage masqué. C’est ici que nous rencontrons Abou N., un jeune homme de 27 ans. A l’abri des oreilles indiscrètes, il se montre moins optimiste que ses camarades: «Nous ne nous connaissons pas et nous étions dans des camps opposés il y a peu encore», dit-il, en préambule.
«Ils avaient besoin de combattants et n’ont pas été très regardants sur le profil.»
Le combattant en sait quelque chose. Peu à peu, il relate un passé chaotique: une vie dans le Nord-Ouest syrien, loin des bancs de l’école, et l’adhésion au groupe Etat islamique à 17 ans à peine. «Je suis parti à Mossoul (NDLR: en Irak), où j’ai lutté jusqu’à la fin», affirme-t-il. L’homme, qui dit ne pas savoir combien de personnes il a tuées lors de cette bataille, s’est enfui quelques jours avant la reprise de la ville, «sans être arrêté, miraculeusement».
Il ralliera Raqqa, autre bastion de l’EI, dont il s’échappera un peu plus tard, juste avant qu’elle ne soit récupérée par les Forces démocratiques syriennes. De retour dans le nord-ouest du pays, il intègrera alors l’Armée syrienne libre, (principale coalition de groupes armés au début de la révolution syrienne), et sera envoyé au front en Libye en compagnie des mercenaires proturcs. Pas avare de détails, l’homme retrace méticuleusement ses semaines passées à Tripoli, avant de regagner la Syrie à nouveau, il y a peu. «J’ai rejoint HTC au premier jour de l’offensive. Ils avaient besoin de combattants et n’ont pas été très regardants sur le profil. Aujourd’hui, je suis à Damas, mais j’aimerais déposer les armes et reprendre une vie normale, je crains de nouvelles confrontations au sein même des forces de HTC. Nous sommes trop différents pour que cela matche à long terme.»
En effet, l’inquiétude monte en Syrie, en particulier dans les milieux révolutionnaires les plus progressistes. D’autant que d’autres segments de la société syrienne, extrêmement conservateurs, seraient en train d’étendre leur emprise sur plusieurs mosquées. Une situation qu’Ahmed al-Charaa essaie de désamorcer, en tempérant les velléités radicales d’une partie de sa base. Et si, aujourd’hui, l’homme parvient, fort de sa légitimité, à garder sous sa coupe tous ces éléments, beaucoup se demandent pour combien de temps.
«Nous savons qu’il y a une bataille entre les plus islamistes et les plus séculaires au sein de HTC, confirme Imad A., sympathisant de HTC. Al-Charaa a pour l’instant la poigne suffisante pour imposer ses choix. Nous préférons ne pas trop nous projeter dans l’avenir, mais tous ces problèmes nous rattraperont tôt ou tard.»
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