Pourquoi l’Iran ne peut pas se lancer dans une guerre de grande envergure: «Le Hezbollah a été littéralement décapité»
Les Iraniens craignent d’être entraînés par Israël dans un conflit avec les Etats-Unis, analyse le chercheur Gilbert Achcar.
Professeur à l’Ecole des études orientales et africaines de l’université de Londres et spécialiste des questions de développement et de relations internationales, Gilbert Achcar décrypte l’impact de l’attaque israélienne sur le Liban et la région.
Le Hezbollah est-il considérablement affaibli après l’assassinat de son secrétaire général Hassan Nasrallah et les attaques contre ses positions militaires?
Le Hezbollah a été littéralement décapité. Dans les annales de l’histoire militaire, c’est probablement l’opération la plus spectaculaire de décapitation d’une organisation, qui a la taille d’une armée. Il y a aussi l’affaiblissement politique vu la dimension charismatique de Hassan Nasrallah. Quelle que soit la personne qui le remplacera, il est peu probable qu’elle ait le même charisme que celui qu’il s’était construit depuis qu’il avait pris les rênes du mouvement, en 1992.
Le Hezbollah pourra-t-il opposer une résistance sérieuse aux incursions terrestres, voire à une offensive plus large de l’armée israélienne?
Depuis la guerre menée en 2006 par Israël, soldée par ce qui fut considéré comme un fiasco, les leçons qui en ont été tirées se sont traduites par le fait que l’armée israélienne ne prend plus de risque. Elle est en plein dans ce qui fut appelé, dans le temps par un commentateur américain qui parlait des Etats-Unis, une «guerre post-héroïque». Il n’y a plus d’héroïsme. Il n’y a même plus de courage. Vous aplatissez complètement la région que vous voulez investir, et vous y allez, il n’y a plus âme qui vive. On peut très bien concevoir que des opérations de ce type se feront là où l’armée israélienne estime qu’il y a des sites souterrains à détruire. Mais je crois qu’elle se gardera bien –elle le devrait, si elle a bien retenu les leçons de 2006– de trop s’y attarder parce que la résistance ne tardera pas à jaillir et à s’organiser.
«L’armée israélienne ne prend plus de risque. Il n’y a plus d’héroïsme. Il n’y a même plus de courage.»
Le gouvernement de Benjamin Netanyahou n’a laissé que deux options possibles au Hezbollah. Soit la capitulation qui se traduirait par une décision du Hezbollah d’arrêter le combat et de se retirer au nord du fleuve Litani, c’est-à-dire sur plusieurs dizaines de kilomètres, en application de la résolution 1701 des Nations unies adoptée à la suite de la guerre de 2006. Soit une guerre totale. La balle est dans le camp du Hezbollah. Il est très affaibli non seulement parce qu’il a été décapité, mais aussi parce que l’opération des bipeurs et des talkies-walkies l’a largement désorganisé. Cet affaiblissement a d’ailleurs préludé à la décapitation. Elle est devenue d’autant plus réalisable, côté israélien, qu’elle avait été précédée par ce démantèlement du réseau de communication.
Le Liban peut-il survivre à la guerre entre Israël et le Hezbollah?
Je ne crois pas qu’il y aura une occupation par Israël. S’il s’agit de frappes ponctuelles et d’interventions au sol de courte durée, cela aura un coût élevé. Mais comme ce sera limité aux régions contrôlées par le Hezbollah, environ un tiers du territoire, l’impact sur le pays restera tout de même contenu. L’hypothèse que le Liban explose dans une nouvelle guerre civile (NDLR: à la suite d’initiatives d’acteurs libanais «profitant» de l’affaiblissement du Hezbollah) présenterait un scénario très différent. L’économie est complètement à plat, contrairement à tous les épisodes de guerre précédents où l’économie s’était tout de même maintenue, parfois même à l’étonnement des commentateurs internationaux. Une nouvelle guerre civile au Liban serait la fin de l’Etat libanais tel qu’il a existé depuis 1920, quand la France, en tant que puissance mandataire, a dessiné les frontières de cet Etat.
L’Iran pouvait-il ne pas réagir à l’assassinat de son allié Hassan Nasrallah?
C’est difficile à dire. Jusqu’à présent, à chaque fois que l’Iran a subi un affront de la part d’Israël, on a entendu des promesses de revanche mais on n’a pas vu grand-chose. Il y a quand même eu en avril dernier, après l’assassinat, par l’aviation israélienne de dirigeants en territoire consulaire iranien à Damas, des tirs de missiles précédés de quelques heures de préavis comme si l’Etat iranien faisait tout pour s’assurer que les conséquences ne soient pas trop grandes (NDLR: le mardi 1er octobre, l’Iran a lancé une nouvelle attaque, limitée, contre Israël). Une crainte est très présente en Iran, celle que les Israéliens entraînent le régime de Téhéran dans un piège pour précipiter les Américains dans une guerre contre l’Iran. Comme les Iraniens ne peuvent pas prétendre rivaliser avec les Etats-Unis, ils ont un argument pour limiter leur réaction. Après l’assassinat en plein Téhéran du chef politique du Hamas Ismaïl Haniyeh, l’Iran n’a rien fait. Je ne vois donc pas les Iraniens lancer une guerre massive. Malgré toutes les déclarations qu’elle peut faire et qui, souvent, sont hypocrites, l’administration Biden soutient à bout de bras tout ce qu’entreprend Israël.
Il n’y a pas de pressions à attendre des Etats-Unis sur Israël pour favoriser une issue négociée?
Depuis octobre 2023, le gouvernement Netanyahou a reçu de façon ininterrompue des livraisons en tous genres, y compris les bombes d’une tonne qui font le plus de dévastations et qui ont de nouveau été utilisées au Liban. Israël en a réceptionné des milliers. Il y a eu une interruption des livraisons pendant quelques semaines, quand l’administration Biden a été très fortement critiquée aux Etats-Unis, mais cela n’a pas duré. Le 27 septembre, elle a décidé une rallonge de 8,7 milliards de dollars en armements à Israël.
«Dans l’histoire militaire, cette opération de décapitation d’une organisation est probablement la plus spectaculaire.»
La première réaction à l’intensification des bombardements d’Israël au Liban est de dépêcher des renforts américains et de réaffirmer son soutien en Israël dans des déclarations. Les choses sont claires. Le régime iranien, qui, en plus, se sait impopulaire au sein d’une bonne partie de sa population, n’est pas vraiment en mesure de se lancer dans une guerre de vaste envergure. La démonstration des moyens de décapitation israéliens fait peur à ses dirigeants. Ils savent que déclencher une guerre leur ferait prendre un risque énorme. S’il devait y avoir un développement à propos de l’Iran, ce serait plutôt une offensive israélienne. On sait que les gouvernements israéliens successifs ont toujours fait pression sur les Etats-Unis pour une action d’ampleur qui viserait les installations nucléaires iraniennes.
Si Donald Trump remporte les élections de novembre, ce que souhaite Benjamin Netanyahou, la probabilité de cette opération contre l’Iran sera très grande. Si Kamala Harris est élue, le risque sera plus limité parce qu’elle a montré moins de sympathie pour Netanyahou que Joe Biden. On s’attendait à ce que celui-ci revienne à la politique d’Obama, qui avait été en froid avec Netanyahou. Mais de fait, il a continué la politique de Trump, c’est-à-dire un soutien quasi inconditionnel. Harris pourrait revenir à ce cycle de relations froides qui avait caractérisé l’administration Obama. Pour le gouvernement israélien, ce ne serait pas une bonne chose. Cela signifierait que l’accord sur le nucléaire pourrait être remis en selle. Le nouveau président iranien, Masoud Pezeshkian, a été mis en place pour œuvrer à cet objectif. ●
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