L’assaut opéré le 19 novembre par les Houthis contre le navire Galaxy Leader a de quoi inquiéter les armateurs. © belgaimage

Pourquoi l’extension du conflit Israël-Hamas au Yemen est inattendue (et une menace potentielle pour le commerce mondial)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les Etats-Unis mobilisent une coalition internationale pour contenir les attaques des rebelles yéménites contre la navigation en mer Rouge. Suffisant?

Le risque d’extension du conflit entre Israël et le Hamas était principalement redouté en Cisjordanie, au sud du Liban, au sud de la Syrie ou en Irak, après le massacre de 1 200 militaires et civils israéliens par le groupe islamiste palestinien Hamas, le 7 octobre. Il se concrétise surtout aujourd’hui à partir du nord-ouest du Yémen, à deux mille kilomètres d’Israël. Extension régionale, voire mondiale.

Même distants, ces foyers de tensions ont en commun d’abriter des groupes chiites inféodés à l’Iran. La région yéménite d’où partent des missiles balistiques et des drones armés pour frapper des «intérêts israéliens» est contrôlée par la rébellion houthie opposée au gouvernement légal yéménite depuis les premiers mois du conflit engagé dans ce pays en 2014. Elle a été soutenue et aidée par Téhéran face à une coalition venue au secours du président Abdrabbo Mansour Hadi (remplacé par Rachad al-Alimi en avril 2022) et dominée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis.

D’Eilat à la mer Rouge

Au moyen de missiles balistiques et de drones armés, les Houthis ont d’abord visé des portions du territoire israélien, en l’occurrence la ville balnéaire d’Eilat à son extrêmité sud. La plupart des engins ont été interceptés et détruits par le système de défense Arrow et les avions de chasse israéliens. Un autre a encore été abattu par l’Egypte dans le Sinaï et un dernier aurait atterri dans le désert jordanien. Eilat est voisine de la ville jordanienne d’Aqaba et distante de quelques kilomètres seulement de celle de Taba, en Egypte. Dans le même temps, les rebelles yéménites ont attaqué des navires en mer Rouge supposés avoir des liens avec Israël. Le 19 novembre, ils ont même arraisonné l’un d’entre eux, le Galaxy Leader, un transporteur de voitures sous pavillon des Bahamas, au large du port de As-Salif. Vingt-cinq membres d’équipage y sont retenus. Son propriétaire est un homme d’affaires israélien.

Quand on connaît la valeur d’un porte-conteneurs, deux semaines de transport en plus, c’est beaucoup.

Des bâtiments des marines américaine, britannique et française sont parvenus à prévenir quelques attaques en interceptant certains missiles ou drones. Pour autant, une sécurisation complète n’a pas pu être assurée. La conséquence est devenue inévitable. Depuis le 15 décembre, les gros transporteurs internationaux, le danois Maersk, l’allemand Hapag-Lloyd, le français CMA CGM, le suisse MSC et le groupe pétrolier britannique BP ont décidé successivement de suspendre la navigation de leurs navires entre le canal de Suez et le détroit de Bab el-Mandeb. «Ce détroit commande rien de moins que la liaison maritime entre la Méditerranée et l’océan Indien, entre l’Europe et l’Asie. Entre 10% et 40% du commerce mondial transitent par cette voie, rappelle Adel El Gammal, professeur de géopolitique de l’énergie à l’ULB. A défaut, il faut contourner l’Afrique, ce qui cause un détour de quelque sept mille kilomètres et a un impact sur les délais et les coûts. Quand on connaît la valeur capitalistique d’un porte-conteneurs, deux semaines de transport en plus, c’est beaucoup.»

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Réaction suffisante?

Cette menace directe sur le commerce mondial a poussé les Etats-Unis à constituer une coalition internationale pour mettre en place une mission de protection des navires dénommée «Gardiens de la prospérité», une appellation «indécente quand on sait qu’à deux mille kilomètres de là, une population est en train d’être massacrée», note le professeur de l’ULB. Dix Etats constituent cette force: outre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France, y figurent Bahreïn, le Canada, l’Espagne, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas et les Seychelles. «Même si l’Amérique mobilise le monde entier, nos opérations militaires ne s’arrêteront pas, quels que soient les sacrifices que cela nous coûte», a assuré, en réaction, le porte-parole des Houthis Mohammed al-Bukhaiti. Leur arrêt n’interviendra que «si Israël cesse ses crimes et que la nourriture et le carburant parviennent à la population assiégée» de la bande de Gaza.

Je ne vois pas les Houthis avoir la capacité militaire et financière de s’opposer à la coalition.

Pétrole et gaz à l’abri?

Cette extension inattendue de la guerre entre Israël et le Hamas pourrait-elle se doubler d’une crise économique? Adel El Gammal se montre mesuré. «On est dans les tout premiers jours de cette crise. La question de savoir comment elle perturbera le commerce mondial en général et celui des hydrocarbures en particulier est relativement ouverte. Mais je ne pense pas que ce conflit s’étendra parce que la réaction occidentale, avec la mise en place de cette coalition, est suffisamment musclée. Je ne vois pas vraiment les Houthis avoir la capacité à la fois technique, technologique, militaire et financière de s’opposer à elle. C’est à mon sens la conclusion que tirent les analystes puisque les prix à la fois du pétrole et du gaz n’ont virtuellement pas réagi à cette montée des tensions. Au contraire, ils se sont plutôt repliés.» Seul bémol avancé par le professeur de l’ULB, «si le conflit entre Israël et le Hamas devait s’approfondir, si l’Iran devait entrer plus directement dans le conflit, la réflexion serait évidemment totalement différente. Mais je ne pense pas que l’Iran y ait intérêt. Et donc, je ne pense pas que cela se passera.»

Ainsi, au même titre que le déclenchement de la guerre le 7 octobre n’a pas pesé significativement sur les prix du pétrole et du gaz parce qu’aucune zone de production n’était affectée, l’escalade observée en mer Rouge deux mois plus tard pourrait, elle aussi, avoir des effets limités sur le commerce mondial. Pour autant qu’elle reste maîtrisée…

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