L’attaque d’Israël par le Hamas a-t-elle été planifiée depuis Beyrouth?

Laurent Perpigna Journaliste, correspondant à Beyrouth

Le rapprochement, ces derniers mois, du mouvement libanais Hezbollah et de l’Iran avec le Hamas laisse craindre l’ouverture d’un nouveau front en Israël.

L’attaque d’Israël par le Hamas le 7 octobre a-t-elle été planifiée depuis Beyrouth? Au Liban, l’idée fait son chemin. Car ce n’est un secret pour personne: ces derniers mois, les rencontres entre le Hezbollah libanais, le Hamas et le Jihad islamique palestiniens et de hauts gradés iraniens se sont intensifiées dans la capitale libanaise, faisant d’elle le véritable «centre opérationnel» d’un axe résolument hostile à Israël.

Pour le Liban, il y a plus inquiétant encore: il semble que le Hezbollah, Etat dans l’Etat et fort d’une puissance militaire redoutable, probablement bien supérieure à celle de l’armée libanaise, soit en passe d’ouvrir un front contre Israël à sa frontière nord. Le 10 octobre, le Liban était suspendu aux nouvelles en provenance de la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah, qui multiplie les avertissements à l’encontre de l’Etat hébreu. Plus que les mots, il y a les actes: à la mort de plusieurs de ses combattants dans des tirs israéliens, le «parti de Dieu» a répondu par des frappes ciblées sur le territoire israélien, laissant craindre un embrasement régional.

Conséquence, le sud du Liban est sur des charbons ardents: en début de semaine, face à l’imminence du danger, des milliers de véhicules ont quitté la région, remontant vers la capitale. Cette agitation réveille les fantômes du passé: dans un pays en proie à une crise économique majeure, en plein vide institutionnel et avec des tensions persistantes entre les forces politico-confessionnelles, une guerre d’ampleur pourrait être le dernier clou dans le cercueil du Liban.

Israël : réconciliation récente

Les dirigeants israéliens ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, en avertissant, le 9 octobre au soir, qu’ils n’hésiteraient pas à attaquer Beyrouth si le Hezbollah venait à ouvrir ce nouveau front face à Tsahal. Une mise en garde que Washington n’a pas tardé à faire sienne, exhortant le Hezbollah «à ne pas faire les mauvais choix».

C’est un enseignement majeur de cette crise: le Hamas et le Hezbollah semblent vouloir faire front commun contre Israël. La réconciliation est récente. Les deux mouvements, qui avaient pris leurs distances au début de la guerre civile en Syrie, ont renoué spectaculairement ces derniers mois. Plus qu’une alliance circonstancielle, il s’agit d’un modèle inspirant pour le Hamas, comme l’explique un éminent connaisseur de ces groupes, qui tient à garder l’anonymat: «Le Hezbollah a toujours été considéré comme un exemple à suivre pour le Hamas. Il faut rappeler que le groupe libanais a longtemps conseillé le Hamas, et a même aidé à la création de sa formation militaire depuis le début des années 2000. Les changements récents à la tête du Hamas ont convaincu le parti de rejoindre la moumanaa (NDLR: l’axe de la résistance), articulé autour de l’Iran et de ses représentants régionaux. Le tout dans une stratégie d’imbrication des fronts, qui unirait le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban et une multitude de groupes armés proiraniens dans le sud de la Syrie, et qui serait en mesure de prendre en étau Israël en cas de crise. C’est précisément ce qui est en train de se passer.»

Pour Karim El Mufti, professeur de géopolitique à Sciences Po Paris, l’offensive du Hamas porte définitivement la marque de fabrique du Hezbollah libanais. «C’est un tournant opérationnel auquel nous assistons avec une “hezbollaïsation” du Hamas que les services de renseignement israéliens ont raté, sur les plans de la discipline, de la stratégie, des équipements…» Car si, longtemps, la formation palestinienne s’est «contentée» de tirs de roquettes, ou d’attaques menées sur le territoire israélien par des «loups solitaires», elle semble avoir aujourd’hui changé de logiciel. «Dans l’offensive du 7 octobre, la touche du Hezbollah est perceptible. C’est indéniable», poursuit Karim El Mufti.

Le précédent du Liban en 2006

Il est vrai que la volonté affichée du Hamas d’attirer l’armée israélienne dans la souricière de Gaza n’est pas sans rappeler un précédent au Liban: la guerre de 33 jours qui avait vu les forces israéliennes s’enliser dans le sud du pays en 2006. Une opération militaire coûteuse qui a traumatisé toute une génération de militaires israéliens et a renforcé le Hezbollah sur son terrain. Face aux Israéliens pressés par la présence d’un nombre important d’otages et galvanisés par un sentiment de vengeance, étant décidés à lancer une offensive terrestre, quelle sera la réaction du Hezbollah?

Beaucoup se posent la question au Liban. «Il est très improbable que la résistance laisse les Palestiniens se faire massacrer sans rien dire. D’autant que tout le monde est prêt», tranche une source proche du mouvement chiite libanais. Un scénario possible, mais pas certain, selon Karim El Mufti: «Le Hamas est dans une œuvre transformatrice dont le Hezbollah est le maître d’œuvre ; par conséquent, il n’a pas besoin de rentrer en guerre pour jouer son rôle. Il occupe déjà les forces israéliennes à ses frontières, c’est une ouverture de front qui est pour l’instant surtout solidaire. Le Hezbollah semble avoir confiance dans les capacités de riposte du Hamas sur son terrain.»

Pour combien de temps? «Cependant, si le rapport de force venait à changer, si les Israéliens arrivaient à avancer à Gaza, le Hezbollah pourrait intervenir et s’investir fermement afin de changer la donne. Même chose côté syrien, où beaucoup de groupes armés pro-iraniens sont en mesure d’ouvrir un front. Nul ne sait comment cette flambée de violence pourrait se terminer», prévient Karim El Mufti.

Israël
En 2006, l’enlisement de l’armée israélienne au sud du Liban avait été perçue comme une victoire pour le Hezbollah. © getty images

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