Les douze adolescents tués lors de l’attaque du Hezbollah à Majdal Shams étaient issus de familles druzes. © GETTY IMAGES

Entre solidarité et haine, la société israélienne fracturée

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Des Israéliens se montrent solidaires avec les familles des enfants druzes tués par le Hezbollah. D’autres entravent l’exercice de la justice contre des soldats accusés d’exactions contre des Palestiniens.

Israël aux deux visages. En quelques jours, l’Etat hébreu a présenté sa face la plus avenante et celle la plus sombre. Au carrefour de ces perceptions, figurent son rapport complexe avec les populations d’autres confessions.

Par un mouvement qualifié de sans précédent, environ 7.000 donateurs privés et plusieurs associations juives avaient alimenté à la date du 30 juillet, à hauteur d’un montant de 530.000 dollars, une caisse de solidarité en faveur des familles des douze enfants druzes de la localité de Majdal Shams, la plus importante du territoire qu’occupe Israël sur le plateau du Golan annexé, tués trois jours plus tôt par le tir d’une roquette Falaq-1 de fabrication iranienne. Les enfants jouaient au football sur un terrain de la ville au moment du drame. Tout indique que le Hezbollah, mouvement chiite libanais, est à l’origine de cette attaque. Les services de renseignement américains ont laissé entendre qu’elle pourrait résulter d’une erreur de ciblage.

Dans un pays qui a connu le 7 octobre dernier un pogrom contre plus d’un millier de ses citoyens à la suite de l’attaque du Hamas palestinien sur le pourtour de la bande de Gaza, le drame a néanmoins engendré une forte émotion en raison de l’âge des victimes, entre 12 et 16 ans, alors même que la mort de milliers d’enfants palestiniens sous les bombardements de Tsahal dans la bande de Gaza depuis bientôt dix mois n’en suscite plus guère. Il n’empêche que l’élan d’empathie avec les familles de Majdal Shams a quelque chose de remarquable dans le contexte israélien.

Allégeance à Israël

Les druzes, groupe religieux issu de l’école ismaélite de l’islam, forment une population de 800.000 à un million d’habitants répartie entre le Liban, le sud de la Syrie et le nord d’Israël. Les druzes israéliens, qui comptent quelque 150.000 personnes, ont une tradition d’allégeance à l’Etat. Preuve de cette intégration et de la confiance qui en découle, ils sont la seule minorité d’Israël dont les membres sont autorisés à effectuer leurs service militaire. Après le massacre du 7 octobre dernier, ils ont pris fait et cause pour l’armée israélienne face au Hamas. Certains des quelque 2.500 druzes israéliens enrôlés dans celle-ci ont été pris en otage par le groupe islamiste palestinien ou tués au combat.

La manifestation de l’extrême droite devant le centre de détention de Sde Teiman a dégénéré en affrontements le 29 juillet. © GETTY IMAGES

Les druzes du plateau du Golan annexé, au nombre d’environ 22.000, se distinguent cependant de leurs coreligionnaires israéliens par le fait qu’ils sont, à l’origine, syriens, et n’entretiennent pas la même relation avec les institutions israéliennes. Seule une minorité, entre 20 et 25%, a pris la nationalité. Leur loyauté à Israël n’a pas été mise en cause depuis le début de la guerre actuelle. Mais que quelques plus jeunes d’entre eux aient été victimes de son extension sur le front nord d’Israël ajoute à l’incompréhension qu’a suscitée l’attaque du Hezbollah.

Réplique mesurée?

«Ces enfants sont nos enfants. Ils sont les enfants de nous tous, a tenu à insister le Premier ministre Benjamin Netanyahou en visite à Majdal Shams le 28 juillet. Nous avons une alliance de vie, mais malheureusement aussi une alliance dans les moments de deuil et de chagrin.» Une proclamation qui aura sans doute fait tiquer une partie de la communauté druze d’Israël en butte à l’arbitraire de l’Etat, en matière foncière notamment.

Plus fondamentalement, le chef du gouvernement a promis une «réponse sévère» à l’opération du Hezbollah qui, à son estime, a franchi «une ligne rouge». Le sentiment prévaut cependant que si elle sera rude, la réaction israélienne devait être contenue dans certaines limites pour éviter de plonger dans une guerre totale. Elle s’est principalement traduite par le bombardement le mardi 30 juillet d’un bâtiment de la banlieue sud de Beyrouth, dans lequel le plus important commandant militaire du Hezbollah, Fouad Chockr, a été tué.

Assaut de la prison

Les dirigeants israéliens sont en effet principalement mobilisés par la confrontation avec les Palestiniens qui a connu un nouveau tournant le 31 juillet avec l’assassinat à Téhéran du chef politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh. Se révèle ici la face la plus sombre de la société israélienne.

Le 28 juillet, des manifestants de droite et d’extrême droite ont réussi à investir partiellement le centre de détention de Sde Teiman dans le Néguev, sas de transit pour les Palestiniens interpellés à Gaza. A l’origine de leur colère, l’arrestation, sur décision d’une procureure militaire, de neuf réservistes accusés d’avoir sodomisé un détenu palestinien. Un ministre membre du parti d’extrême droite Force juive, Amihai Eliyahu, en charge du Patrimoine, faisait partie des protestataires de Sde Teiman. Son collègue de la Justice, Yariv Levin, du parti Likoud du Premier ministre, s’est déclaré «choqué de voir de douloureuses photographies de soldats arrêtés» et a estimé «impossible d’accepter cela». Le ministre de la Sécurité intérieure, emblème de l’extrême droite au sein du gouvernement, Itamar Ben Gvir, s’est enfin vu accuser à demi-mots par son collègue de la Défense, Yoav Gallant, d’avoir sciemment retardé l’intervention de la police pour mettre fin à la manifestation au centre de détention. Benjamin Netanyahou s’est contenté de condamner l’intrusion dans la base militaire. Son avenir politique dépend en effet du soutien des partis d’extrême droite.

Bref, pour certains dirigeants, le contexte de guerre à outrance contre les Palestiniens à Gaza autoriserait de transiger avec l’Etat de droit. Ajoutée aux crimes de guerre, crimes contre l’humanité, et autres violations délibérées du droit prêtées à plusieurs soldats israéliens, cette accusation confirme que le conflit met aussi en péril la démocratie israélienne menacée de l’extérieure et rongée de l’intérieur par des maux qu’elle parvient de moins en moins à contenir.

Pour certains dirigeants israéliens, le contexte de guerre autoriserait de transiger avec l’Etat de droit.

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