Israël renforce son emprise sur la Cisjordanie: «La colonisation s’intensifie»
Dans l’ombre des combats à Gaza et au Liban, les Cisjordaniens subissent eux aussi la guerre en cours au Proche-Orient. Un quotidien marqué par les expropriations, les destructions de leurs infrastructures, ou encore des intimidations multiples de la part des colons israéliens.
A Tulkarem et à Jénine, le paysage ressemble à un champ de bataille. Des maisons en ruines bordent des rues jonchées de gravas et à peine praticables. Les canalisations et les câbles étant détruits, seule une infime part des habitations bénéficie d’un apport en eau courante et en électricité. Même les établissements de santé ne peuvent fonctionner normalement, au grand désespoir d’ONG comme Médecins sans Frontières. Ces villes ne se trouvent pourtant pas dans la bande de Gaza mais dans l’extrême nord de la Cisjordanie.
La cause de tant de désolation: des frappes aériennes, mais surtout les bulldozers de l’armée israélienne, qui y mène des raids présentés comme des opérations antiterroristes. Rendues quasi inhabitables, Tulkarem et Jénine se vident de leurs populations.
A la campagne, les violences commises par les colons israéliens sont également nombreuses. Parmi leurs cibles privilégiées: les paysans détenant de grandes propriétés agricoles. Victimes d’intimidations pour ne pas exploiter leurs terres, voire de «razzias», leur sort se termine parfois dans le sang. Comme à Faqoua, non loin de Jénine, où une Palestienne a été tuée par un Israélien alors qu’elle cultivait des olives, comme l’a dénoncé le ministère palestinien de la Santé le 17 octobre.
La colonisation croissante de la Cisjordanie
«La violence des colons est ancienne mais elle connaît un regain avec le gouvernement israélien actuel, et les assassinats de ce type se multiplient», confirme Bichara Khader, professeur à l’UCLouvain et spécialiste du conflit israélo-palestinien. Les chiffres l’attestent: depuis l’attaque du Hamas du 7-Octobre, quelques 712 Cisjordaniens ont été tués, dont 580 civils (contre une vingtaine d’Israéliens sur la même période dans la région). Sur les quinze années précédentes, ce bilan s’élevait à près d’un millier de victimes.
Selon l’ONG B’Tselem, ces violences sont surtout commises à proximité immédiate des colonies. Pour Bachira Khader, c’est un signe que «la colonisation s’intensifie». D’autres statistiques le confirment. Depuis l’attaque du Hamas du 7-Octobre, 24,2 kilomètres carrés de territoires cisjordaniens ont été déclarés propriété de l’Etat hébreu, d’après les relevés de l’ONG Peace Now. Un record absolu, qui représente près de la moitié des terres ayant subi le même sort depuis l’accord d’Oslo de 1993.
«Les collines de Cisjordanie se couvrent de colonies avec des tunnels et des routes à seul usage des Israéliens. Il y aurait aujourd’hui 286 colonies « légales au regard du droit israélien », 196 avant-postes que le gouvernement actuel souhaite légaliser et 730.000 colons juifs en Cisjordanie. Désormais, 61% de la Cisjordanie est zone interdite aux Palestiniens», rappelle l’expert néolouvaniste.
La multiplication des checkpoints représente le coup de grâce. Ils ralentissent considérablement les Cisjordaniens dans leurs déplacements, notamment pour aller au travail, et cela n’est pas sans effet sur l’économie locale. Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, le taux de chômage est passé en un an de 12,9 à 32%.
«La vie des Palestiniens est devenue un véritable calvaire, observe Bichara Khader. L’accès aux services de base est un chemin de croix quotidien. Souvent, des ambulances sont empêchées de conduire les blessés à un hôpital. Les incursions de l’armée israélienne sont quotidiennes, terrorisant la population, qui craint une nouvelle Nakba (NDLR: l’exode palestinien de 1948). La situation devient vraiment invivable.»
Une absence de solution
En guise de réponse, des organisations internationales comme l’ONU et l’Union européenne ont imposé des sanctions sur des colons ces derniers mois. La Cour internationale de justice a elle aussi tapé du poing sur la table, en déclarant le 19 juillet dernier l’illégalité de l’occupation du territoire palestinien. Mais l’effet de ces mesures n’est pas de nature à renverser la table, estime l’universitaire.
Le gouvernement palestinien, dirigé par Mahmoud Abbas et son parti, le Fatah, devrait théoriquement être en mesure de réagir. Mais dans les faits, «il est anémique et apathique, et n’a aucune autorité», résume le professeur. Selon un sondage publié en septembre par le (PSR), un institut de recherche palestinien indépendant, 90% des Cisjordaniens seraient favorables à une démission de Mahmoud Abbas.
Autres enseignements de cette enquête: le scepticisme est omniprésent. 77% des Cisjordaniens disent craindre une extension de la guerre à leur région et 63% estiment que dans ce cas, la plupart de leurs villes seraient détruites. 33% craignent même un «génocide». Interrogés sur la solution à apporter au conflit, la moitié des Cisjordaniens estiment que leur liberté se gagnera par les armes, et non par des négociations. Une montée de la violence qui risque de provoquer des ripostes israéliennes. Un cercle vicieux. «La tragédie palestinienne est permanente», se désole Bichara Khader.
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