Conflit Israël-Iran: où s’arrêtera l’engrenage infernal?
De la nature des représailles israéliennes contre Téhéran dépend l’avenir de la région. L’hubris dont a fait preuve Benjamin Netanyahou n’incline pas à l’optimisme. Joe Biden peut-il le contenir?
Jusqu’où ira Benjamin Netanyahou dans ses représailles à l’attaque de missiles de l’Iran sur Israël le 1er octobre? De la réponse à cette question dépend l’avenir de la région, et, le cas échéant, la stabilité du monde. Deux registres peuvent être envisagés. Soit une réplique ponctuelle et relativement proportionnée: le régime de Téhéran pourrait ne pas y répondre, comme il l’a fait à certaines occasions par le passé. Soit des représailles massives touchant des centres névralgiques ou des personnalités centrales de la République islamique iranienne: les belligérants s’engageraient dans une guerre de longue durée et entraîneraient leurs voisins et leurs soutiens dans un cycle de violences à l’issue incertaine.
Dans ce contexte, le constat que le Premier ministre israélien a opté pour la disproportion de grande ampleur à chaque étape de sa réaction vengeresse contre le Hamas, auteur de la plus meurtrière attaque de l’histoire d’Israël, et contre ses alliés, dans la bande de Gaza dès le 8 octobre 2023, au Liban depuis le 17 septembre dernier, fait craindre un engrenage incontrôlé. Est-ce l’objectif recherché par les dirigeants israéliens? Veulent-ils profiter de «la fenêtre d’opportunité» ouverte par les répliques opposées au Hamas et au Hezbollah pour aussi «régler son compte» au régime iranien, péril suprême pour l’Etat hébreu par la volonté affichée de ses dirigeants de l’éradiquer et par la probabilité qu’ils disposent à court terme d’un armement pour y parvenir, l’arme nucléaire? «Les bras du poulpe terroriste iranien, le Hezbollah et le Hamas, les branches les plus fortes, sont affaiblis. Nous avons pour la première fois la capacité d’agir contre l’Iran sans craindre une réaction terrible et insupportable», a soutenu le 8 octobre l’ancien Premier ministre, de droite radicale et retiré provisoirement de la vie politique, Naftali Bennett, qui a estimé qu’Israël ne devait pas se contenter d’attaquer des bases militaires.
«Nous avons pour la première fois la capacité d’agir contre l’Iran sans craindre une réaction terrible et insupportable.»
L’enjeu nucléaire
L’Iran ne possède pas encore de bombes atomiques, même s’il y travaille. La sécurité d’Israël passe nécessairement par le renoncement à chercher à s’en doter. L’objectif peut être atteint par un accord négocié comme celui scellé en 2015 avec les grandes puissances prévoyant le développement d’un programme civil sous surveillance de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Il est devenu caduc après le retrait de l’Amérique de Donald Trump du processus et la relance du cycle d’enrichissement de l’uranium par les Iraniens. Le nouveau président, élu le 5 juillet, Masoud Pezeshkian, s’était montré disposé à reprendre les négociations pour aboutir à un nouvel arrangement. L’objectif était d’obtenir la levée des sanctions économiques qui frappent un pays à bout de souffle. La guerre lancée par le Hamas contre Israël a radicalement changé la perspective. Et de toute façon, les Israéliens ne croient pas aux discussions avec Téhéran. L’objectif du renoncement à l’arme nucléaire peut aussi être rencontré, au moins provisoirement, par la destruction des infrastructures afférentes de l’Iran. Une tâche qui n’est pas évidente: certaines sont enfouies dans les sous-sols du pays. Mais cette complexité arrêterait-elle l’armée et le gouvernement israéliens?
Peut-être. Hormis pour son approvisionnement en armes, Israël n’a pas eu besoin du concours direct massif des Etats-Unis pour mener ses opérations contre le Hamas et le Hezbollah. En revanche, il ne pourrait pas s’en passer s’il voulait mener une campagne militaire de grande ampleur contre l’Iran. Joe Biden a là un moyen de contenir les velléités par trop belliqueuses de Benjamin Netanyahou, qu’il s’est montré incapable de réfréner depuis le 7-Octobre, contraint qu’il est également par le contexte électoral aux Etats-Unis qui n’autorise pas à s’aliéner l’électorat juif. Aujourd’hui, le président démocrate, s’il veut préserver les chances de victoire de Kamala Harris le 5 novembre, doit éviter un embrasement majeur entre Israël et l’Iran et, si possible, une montée en flèche des prix pétroliers. Il a donc déconseillé l’attaque d’installations nucléaires et pétrolières. Mais que valent ses conseils pour un Benjamin Netanyahou qui rêve de revoir Donald Trump à la Maison Blanche?
Joe Biden réussira-t-il à éviter le piège dans lequel son «allié» l’a embarqué? La même équation se pose aux dirigeants iraniens: peuvent-ils s’extirper du piège dans lequel le Hamas et Netanyahou les ont plongés? Ils ne peuvent pas se permettre d’engager une guerre totale avec les Etats-Unis et Israël. La survie de leur régime serait en jeu. Et ils ne pouvaient pas, dans leur entendement, ne pas réagir à l’assassinat de leur plus solide allié, Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah. Il en allait de leur crédibilité. Faire le gros dos après des représailles limitées sera possible. Après une solide correction ayant valeur d’humiliation, cela ne le sera pas. Et l’engrenage de violences prendra une nouvelle dimension.
«Joe Biden réussira-t-il à éviter le piège dans lequel son «allié» l’a embarqué?»
Pasdarans ciblés par Israël?
Si Joe Biden parvient à «tenir» Benjamin Netanyahou et le convainc de la pertinence de ses «lignes rouges», la réplique israélienne pourrait cibler des infrastructures et des dirigeants du corps des Gardiens de la révolution, l’armée idéologique du régime, dont la force Al-Qods, en charge des opérations à l’étranger, est accusée par l’Etat hébreu d’avoir participé à l’élaboration du Déluge d’al-Aqsa par le Hamas le 7 octobre 2023. Son commandant pour la Syrie et le Liban, le général Mohammad Reza Zahedi, a été assassiné le 1er avril dans le bombardement du consulat iranien à Damas. Précédemment, le 3 janvier 2020, son chef, Qassem Soleimani, avait été tué par les Américains à Bagdad.
Le droit d’Israël à se défendre est légitime. Il a été consacré par les pays occidentaux en blanc-seing pour toute action du gouvernement israélien contre ses ennemis. Au risque de l’excès, au risque de l’embrasement. Le choc du 7-Octobre rend difficile pour les Occidentaux l’encadrement de ce droit. Les réactions mitigées de ses partenaires à la proposition, maladroite, du président français Emmanuel Macron d’arrêter les livraisons d’armes à Israël pour la guerre à Gaza, l’ont démontré. Américains et Européens ont pourtant intérêt à contenir les trois guerres du Proche-Orient, à Gaza, au Liban et contre l’Iran. Sous peine de subir les affres d’une crise, à tout le moins économique.
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