Une capture vidéo du rapt par des terroristes du Hamas de soldates de la base militaire de Nahal Oz, située à proximité du kibboutz éponyme.

7-Octobre, un an après: pourquoi le traumatisme est toujours omniprésent en Israël

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le souvenir du massacre du Hamas ravive les souffrances de tout un peuple. Mais le sort des otages semble être définitivement supplanté par les «impératifs» de sécurité.

Le 7 octobre 2023 au soir, le kibboutz de Nahal Oz, à quelques centaines de mètres du nord-est de la bande de Gaza, devait célébrer le 70e anniversaire de sa création en Israël. Une répétition du spectacle que les enfants devaient présenter à cette occasion avait été organisée la veille. Galia, la fille du journaliste Amir Tibon, du quotidien Haaretz, qui y habitait avec son épouse Miri et sa plus petite enfant Carmel, se réjouissait de la fête annoncée devant une assistance «chaleureuse et bienveillante». Nahal Oz rassemblait une communauté plutôt de gauche, tolérante et ouverte, aussi à l’égard des Palestiniens de Gaza. Malgré les murs qui s’étaient dressés entre les populations depuis 2007 et la prise de pouvoir par le mouvement islamiste Hamas, malgré ceux qui s’étaient encore fortifiés après 2014 et la guerre qui avait connu un développement tragique dans le kibboutz, avec la mort, après un tir de roquette sur un bus, de Daniel Tregerman, 4 ans, la plus jeune victime depuis l’établissement de la communauté.

Ce n’était cependant qu’un prélude à ce qu’Amir, Miri, Galia et Carmel vivraient à partir de 6h29 le lendemain. A ce moment précis, le «Déluge d’al-Aqsa» commence à s’abattre sur Nahal Oz. Des frappes de roquettes plus intenses qu’à l’ordinaire donnent un premier indice qu’une attaque inédite est en train de se produire. Mais la protection de la pièce sécurisée que comprend chaque habitation et les moyens de défense de l’armée, même si le Dôme de fer est inopérant à si courte distance de tir, rassurent la famille. La sidération la gagne subitement quand aux fracas des bombardements succèdent les détonations des armes légères. Des terroristes sont entrés dans le kibboutz, et cela change tout. Pour la famille Tibon, mais aussi pour le destin d’Israël et de toute la région.

Sept cents mètres séparent Gaza du kibboutz de Nahal Oz, en Israël. Il fut l’un des premiers à être attaqué le 7 octobre 2023. © GETTY IMAGES

La peur, la solidarité en Israël

Amir Tibon fait le récit de ce basculement dans Les Portes de Gaza (1), une histoire emblématique de ce que fut le 7-Octobre. Ce basculement est marqué par la peur, celle de quatre êtres réunis dans une pièce sécurisée qui peut à tout moment perdre sa dimension protectrice parce qu’elle est davantage conçue pour échapper à des frappes de roquettes que pour prévenir des défoncements de porte par des terroristes. La famille Tibon y survivra, de longues heures durant, par on ne sait quel miracle, peut-être celui d’avoir réussi à apaiser l’effroi des fillettes, dont la détresse restera muette. Le journaliste ne vivra donc pas directement les assassinats à bout portant, les violences délibérées ou les kidnappings que subiront d’autres résidents du kibboutz. Nahal Oz comptait 450 habitants. Quinze ont été tués. Sept ont été enlevés.

«Nahal Oz comptait 450 habitants. Quinze ont été tués. Sept ont été enlevés.»

Ce basculement n’est pas déserté par la solidarité. Le caractère remarquable de la prise en otage d’un jour de la famille Tibon réside dans le concours qu’a pris dans sa libération le père du journaliste, Noam Tibon, général à la retraite, parti au secours de ses proches depuis Tel-Aviv dès l’annonce de l’attaque du Hamas. Son courage et celui des quelques militaires d’active qu’il rejoignit ce matin-là, leur sang-froid, leur efficacité, tranchent avec l’incroyable désorganisation qui prévaut alors dans l’action des forces de défense. Quatre bataillons de l’armée seulement sont déployés autour de la bande de Gaza, contre 30 présents en Cisjordanie où les ministres d’extrême droite du gouvernement, Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, ont décidé d’imposer la loi des colons extrémistes avec la complaisance des militaires. Conjuguée aux permissions accordées à l’occasion de la fête de Sim’hat Torah, cette erreur stratégique transformera les casernements militaires du pourtour gazaoui en cibles abordables pour les miliciens du Hamas et donc exposer les habitants du kibboutz à leur déferlement meurtrier avec comme seule protection l’équipe de défense de la communauté…

«Conflit existentiel»

Ce basculement du 7-Octobre ne sort pas du néant. C’est le grand mérite du livre d’Amir Tibon de rappeler, en parallèle au récit de la journée du massacre, comment la bande de Gaza s’est muée en bastion islamiste, avec notamment le concours d’un certain Benjamin Netanyahou qui, outre sa volonté d’affaiblir l’Autorité palestinienne en lui opposant un adversaire, n’hésite pas à plusieurs reprises à «acheter» la modération présumée du Hamas et de ses dirigeants en autorisant le Qatar à y verser ses pétrodollars. Cette complaisance n’arrêtera pourtant pas la radicalisation du chef du groupe islamiste, Yahya Sinouar, qui, en décembre 2022, prononce un discours public qui annonce le Déluge d’al-Aqsa. Avertissement ignoré, comme d’autres.

«Une contradiction s’est pourtant insinuée entre le but de guerre et l’objectif de libération des otages.»

Porté par une population traumatisée par l’assassinat de 1.143 des siens et déterminé à asséner un coup décisif à leurs auteurs et concepteurs, le gouvernement israélien lancera dès le 8 octobre une attaque contre le Hamas à Gaza. «Le massacre de masse du 7 octobre et les représailles israéliennes qui ont touché une proportion énorme de civils palestiniens, sans précédent dans l’histoire du conflit (NDLR: 41.615, selon le ministère de la Santé du Hamas au 30 septembre), ont conduit à requalifier l’antagonisme séculaire de « conflit religieux », voire de « conflit existentiel »», analyse le professeur de sciences politiques de l’Open University of Israël, Denis Charbit dans Israël, l’impossible Etat normal (2). «Pour mener l’opération militaire jusqu’à son terme, le gouvernement a besoin du consensus général de la population israélienne, complète le chercheur. Il l’a obtenu […]. Une contradiction s’est pourtant insinuée entre le but de guerre et l’objectif de libération des otages. C’est le seul clivage autorisé en Israël, ou plus exactement le seul clivage qu’on s’autorise: une opposition encore feutrée entre les fervents de la Raison d’Etat et les adeptes du Contrat social ou de la Raison de la nation.» Cent-un otages seraient toujours dans la bande de Gaza, une cinquantaine seraient encore en vie. De Beyrouth à Eilat, peu s’en soucient encore. Qu’est devenue l’humanité depuis le 7-Octobre?

(1) Les Portes de Gaza, par Amir Tibon, Christian Bourgois éditeur, 480 p.

(2) Israël, l’impossible Etat normal, par Denis Charbit, Calmann-Lévy, 256 p.

© DR
© DR

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire