L'émir du Qatar

Guerre Israël-Hamas: « Si le Qatar joue les médiateurs, ce n’est pas par empathie »

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Six jours durant, Israël et le Hamas ont observé une trêve. Chaque jour du cessez-le-feu, le mouvement islamiste a relâché une dizaine d’otages en échange de trois fois plus de détenus palestiniens, un accord rendu possible grâce à l’intervention du Qatar.

Négocié par le Qatar, le cessez-le-feu est entré en vigueur le 24 novembre après plus de sept semaines de bombardements israéliens sur la bande de Gaza menés en représailles à une attaque le 7 octobre lancée par le Hamas sur le sol israélien depuis le territoire palestinien.

La trêve entre Israël et le mouvement islamiste palestinien a expiré ce 1er décembre, et les hostilités ont repris entre les belligérants. Le Hamas et Israël se rejettent mutuellement la responsabilité de l’échec de la prolongation de la trêve, en reconnaissant notamment ne pas s’être entendus sur la liste des otages.

La Suisse du Golfe persique

Comment le Qatar, petit Etat du Golfe, a-t-il réussi à faire taire les armes des belligérants, même temporairement, et à négocier un accord sur les otages? Petit poucet entouré de géants tels que l’Iran et l’Arabie saoudite, le Qatar tente de rester aussi neutre que possible, souligne Didier Leroy chercheur à l’Ecole royale militaire et professeur à l’ULB.

« Le Qatar s’est taillé une sorte de rôle de médiateur régional depuis maintenant une vingtaine d’années, c’est inscrit dans sa constitution. Il faut comprendre derrière cela la volonté d’un micro-état de trouver un moyen de décupler sa modeste carrure territoriale face à des voisins infiniment plus ‘grands’, l’Arabie saoudite d’un côté et à l’Iran de l’autre. Il tente de devenir un peu la Suisse de ce golfe persique en jouant ce rôle de méditation », déclare le chercheur.

Le Qatar entretient des relations de longue date avec les belligérants. En 1996, s’ouvre ainsi un bureau israélien d’échanges commerciaux à Doha. Quant au Hamas, « non seulement le Qatar héberge sa branche politique, mais il réalise aussi toute une série d’investissements dans la bande de Gaza, principalement sociaux. Durant d’autres crises, le Qatar a été présent pour pacifier les tensions entre le Hamas et Israël. Il n’y a donc pas de surprise dans la mobilisation du Qatar, puisqu’il a l’expérience de la situation et qu’il connaît les acteurs », souligne Jonathan Piron, spécialiste du Moyen-Orient (Etopia, Grip, Helmo), et auteur du livre Qatar : le pays des possédants.

Même si le Qatar parle à Israël, il se prémunit de normaliser ses relations avec l’état hébreu. « Il s’est toujours accroché à la posture arabe traditionnelle qui, même si elle a volé en éclats ces dernières années, consiste à dire qu’aucune forme de normalisation avec l’état hébreu n’est possible tant qu’il n’y a pas de solution à deux états », souligne Didier Leroy.

La solution dite « à deux Etats », l’un israélien et l’autre palestinien, coexistant côte-à-côte en paix signifie dans les faits la création d’un Etat de Palestine dans les frontières héritées du conflit israélo-arabe de 1967, la Ligne verte qui délimite la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem-Est, que les Palestiniens revendiquent comme leur capitale.

Un numéro d’équilibriste

Pour assurer sa survie, le Qatar – indépendant depuis seulement 1970 – doit réaliser un véritable numéro d’équilibriste, que ce soit au niveau régional ou global. « Il y a eu, à l’échelle des pétromonarchies du Golfe, un déplacement assez important vers la Chine et la Russie, qui s’accompagne d’une volonté de ne pas ‘trop’ fâcher Washington. A ce niveau-là, le Qatar s’est un peu démarqué de l’Arabie saoudite ou des émirats, en essayant certes de bien s’entendre avec tout le monde mais en marquant tout de même l’aspect prioritaire du lien avec Washington, dont le Qatar est devenu l’allier golfien le plus solide. Il y a une raison pour laquelle les Etats-Unis ont établi une de leurs principales bases du Moyen-Orient sur le territoire qatari», explique Didier Leroy.

Au niveau régional, le Qatar doit également tenir un rôle d’équilibriste. Tout comme l’Arabie saoudite, Oman, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Qatar fait partie du CCG (Conseil de coopération des États arabes du Golfe) . « La principale ressource rentière du Qatar n’est pas le pétrole, mais le gaz naturel et le champ gazier qui est à l’origine de cette manne prolifique est un champ gazier partagé entre les eaux territoriales du Qatar et de l’Iran, l’autre grand rival de l’Arabie Saoudite. Le Qatar doit donc tenir une sorte de posture d’équilibrisme entre ces deux géants », explique Didier Leroy.

Le Qatar parmi les vainqueurs du conflit

Pour Jonathan Piron, le Qatar est d’ailleurs l’un des deux vainqueurs du conflit Israël-Hamas, avec l’Iran qui a réussi à déstabiliser Israël en cassant des accords de réconciliation qui existaient entre certains états arabes et l’état hébreu. Le second vainqueur c’est le Qatar… « Doha s’est imposé comme l’acteur qui parvenait à libérer les otages, à amener une trêve et être l’intermédiaire au fond indispensable entre Israël et Hamas, mais aussi au regard des États-Unis pour essayer justement d’arriver à une stabilisation du conflit ».

Si le Qatar joue les médiateurs dans les conflits de la région, ce n’est donc pas pour empathie, mais pour lui assurer une légitimité, une reconnaissance et donc son indépendance. « C’est une manière d’attirer les spotlights du monde en permanence sur eux et de les rendre moins facilement attaquables par leurs rivaux directs », conclut Didier Leroy.

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