Yoav Gallant
Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, pourrait démissionner au vu du contexte de la guerre avec le Hamas. Il ne le fait pas. ©BelgaImage

Guerre Israël-Hamas: «Yahya Sinouar a opté pour une fuite en avant de type apocalyptique»

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour le géopolitologue Frédéric Encel, Benjamin Netanyahou est coresponsable de l’échec des négociations avec le Hamas sur la guerre à Gaza, mais Yahya Sinouar est dans «une fuite en avant apocalyptique».

Professeur à Sciences Po Paris, auteur de Petites leçons de diplomatie (Autrement, 2023) et spécialiste d’Israël, Frédéric Encel analyse les enjeux de la mobilisation contre Benjamin Netanyahou après l’annonce de l’assassinat de six otages dans le contexte de la guerre à Gaza.

En persistant à maintenir l’armée israélienne dans le corridor de Philadelphie à Gaza, Benjamin Netanyahou ruine-t-il l’espoir d’un accord de libération des otages?

Il y a deux belligérants. Il n’y en a pas qu’un. En réclamant le retrait de Tsahal du couloir de Philadelphie, le Hamas, au bord de l’effondrement précisément parce qu’il ne peut plus s’approvisionner sous la frontière égypto-gazaouie, ce qu’il fait depuis plus de 20 ans, formule une demande incontournable. Et Benjamin Netanyahou, qui a cruellement besoin d’une victoire complète au plan militaire face au Hamas, ne souhaite pas sortir de cet axe frontalier. Il est bien évident que si aucun des deux belligérants ne transige, on n’arrivera pas à un accord, sachant que ce n’est pas la seule pierre d’achoppement. Mais aujourd’hui, c’est la principale.

«Une partie de l’opinion publique suit Netanyahou dans le fait de dire que la vie des otages n’est pas liée à un accord avec le Hamas.»

La responsabilité de l’échec des discussions est-elle partagée?

D’abord, ceux qui ont abattu de sang-froid des otages civils, ce sont les hommes du Hamas, un groupe islamiste radical considéré par tout l’Occident comme terroriste, qui non seulement n’a jamais reconnu Israël mais qui n’a jamais non plus reconnu les accords d’Oslo que la gauche israélienne au pouvoir avait signés avec Yasser Arafat, donc l’Autorité palestinienne, la seule entité légale et légitime reconnue par les Nations unies. C’est ce Hamas-là qui perpètre, le 7 octobre 2023, un gigantesque pogrom contre des civils. La responsabilité première est celle du Hamas. Maintenant, en ne transigeant pas sur l’axe de Philadelphie, Benjamin Netanyahou, qui serait bien inspiré de reconnaître l’Autorité palestinienne comme un véritable interlocuteur pour qu’enfin se réenclenche un processus de paix, est coresponsable dans la mesure où il sait très bien que le Hamas était et est susceptible d’abattre de sang-froid des otages. Un certain nombre ont déjà été abattus par le Hamas hors négociations. Aujourd’hui, une partie de l’opinion publique israélienne suit Netanyahou dans le fait de dire que de toute façon, la vie des otages ne tient qu’à un fil et n’est pas nécessairement liée à un accord avec le Hamas.

La mobilisation des familles des otages, la contestation de l’opposition politique, les critiques de son ministre de la Défense n’ont-elles aucun effet sur Netanyahou?

Cela a des effets. D’une part, s’il n’y avait pas cette opposition, les opérations militaires israéliennes seraient plus incisives, plus massives encore. D’autre part, politiquement, Benjamin Netanyahou ne se sentirait pas contraint de présenter ses excuses ou de tenir des conférences de presse à un rythme plurihebdomadaire. Malgré tout, cela a une influence au plan intérieur. Mais elle n’est pas décisive pour une raison qui tient au caractère parfaitement démocratique de l’Etat d’Israël. C’est un système monocaméral. La coalition issue des élections législatives du 1er novembre 2022, ce sont 64 députés sur 120. Si cinq députés de la coalition la quittent, on bascule à 59 députés, et il n’y a plus de coalition. Trouvera-t-on ces cinq députés? Peut-être. Cela s’est déjà produit. Il y a eu à maintes reprises ce genre de défections. Institutionnellement, c’est le seul moyen de faire tomber le Premier ministre. Mais là, je pense que cette alliance tient bon.

La faiblesse de Yoav Gallant est-elle de ne pas avoir de troupes parlementaires derrière lui?

C’est pire que cela. Il pourrait démissionner. Il ne l’a jamais fait. Il ne le fait sans doute pas pour des raisons patriotiques. Il considère qu’en temps de guerre, un chef militaire ne peut pas quitter son poste. Il n’est pas seulement ministre, il est général. Il aurait pu faire comme Benny Gantz, qui pendant huit mois a fait partie du cabinet de guerre même s’il est le chef de l’opposition, et qui est parti quand il s’est aperçu qu’il n’avait que très peu d’influence sur Netanyahou.

La frontière entre Gaza et l’Egypte, pierre d’achoppement entre le gouvernement israélien et le Hamas dans les discussions sur la libération des otages. ©BelgaImage

Dès lors, Netanyahou est-il «otage» de ces ministres d’extrême droite?

Oui, mais «otage» volontaire. A l’issue du scrutin de novembre 2022, Il pouvait mathématiquement faire une coalition davantage au centre. Les deux listes électorales d’extrême droite n’ont pas fait beaucoup de voix. Il pouvait très bien les remplacer par celle de Benny Gantz et celle d’un autre petit parti. Mais il n’a pas voulu. C’est un «otage» volontaire, et maintenant c’est trop tard: s’il voulait changer de coalition, il est tellement détesté par le centre et la gauche que personne ne voudrait nouer d’alliance avec lui.

L’hypothèse d’élections anticipées n’est pas réaliste à ce stade?

Elle est réaliste. Elle est peu probable.

«La pression des familles a une influence sur Netanyahou. Mais elle n’est pas décisive.»

En désignant Yahya Sinouar comme chef politique, le Hamas a-t-il opté pour une fuite en avant radicale?

Oui. J’irais même plus loin: c’est une fuite en avant de type apocalyptique. Yahya Sinouar, qui a toujours été un fanatique, qui n’a jamais accepté la réalité politique de l’Autorité palestinienne, qui a toujours rejeté en bloc la simple existence de l’Etat d’Israël et, au-delà, la simple réalité d’un peuple juif, a, je pense, basculé. Sachant ne plus pouvoir l’emporter, sachant qu’en face, le gouvernement israélien, malgré ses difficultés politiques, tiendra et que la population et la gauche ne soutiendraient en aucun cas de futures négociations avec lui tellement il a assumé les massacres du 7 octobre dernier, et voyant bien que ni l’Iran ni le Hezbollah libanais n’entreront sérieusement en guerre pour le défendre, perdu pour perdu, il sombre dans une dimension apocalyptique.

Le géopolitologue Frédéric Encel © CLAUDE TRUONG-NGOC

Depuis le 7 octobre dernier, entre deux objectifs de guerre, celui de l’éradication du Hamas n’a-t-il pas toujours supplanté celui de la libération des otages?

Les Israéliens mettent objectivement beaucoup de moyens –militaires, de renseignement, budgétaires– pour tenter de récupérer les otages. Mais peut-être que pour la première fois depuis 1948 –c’est une hypothèse–, la libération d’otages et la récupération de dépouilles de personnes tuées, qui jusque-là constituaient l’objectif principal, sont passées au second plan par rapport à l’objectif de la destruction militaire du Hamas. Il me paraît important de rappeler que ceux qui ne manifestent pas en Israël, qui ne sont pas nécessairement minoritaires, souhaitent la libération de leurs compatriotes. Mais pas à n’importe quel prix. Souvenez du soldat Gilad Shalit et de sa libération contre 1.072 prisonniers palestiniens. Parmi eux, il y avait un certain Yahya Sinouar… Beaucoup d’Israéliens se disent que si c’est pour libérer des barbares qui dans un mois, six mois, un an perpétreront à nouveau de gigantesques pogroms à une frontière, qu’auront-ils à y gagner? C’est un dilemme moral quasiment philosophique auquel est soumise aujourd’hui la société israélienne.

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