
Retour de la guerre à Gaza: que cherche Netanyahou en rompant la trêve?

L’enlisement des négociations sur la libération des otages ne peut pas expliquer à lui seul la reprise des bombardements. Restructuration du Hamas ou structuration de l’avenir politique du Premier ministre israélien?
Et après 58 jours de trêve, Benjamin Netanyahou décida que Tsahal reprendrait ses bombardements sur la bande de Gaza… Dans la nuit du 17 au 18 mars, des centres de commandement intermédiaires, des infrastructures et des dirigeants du Hamas, groupe islamiste palestinien responsable du massacre du 7 octobre 2023 en Israël, ont été visés par des frappes israéliennes du nord au sud du territoire côtier. Les attaques ont causé la mort de plus de 400 personnes. Dont de nombreux civils. Dont le chef du gouvernement du Hamas à Gaza, Issam Daalis, le directeur général du ministère de l’Intérieur et son homologue des services de sécurité intérieure.
La détérioration du climat entre le groupe palestinien et le gouvernement israélien était patente depuis la fin de la première phase de l’accord sur la libération des otages, le retrait de l’armée israélienne et la livraison d’aide humanitaire, scellée dans la nuit du 26 au 27 février par la restitution des corps de quatre captifs, Tsachi Idan, Itzik Elgarat, Shlomo Mansour et Ohad Yahalomi. Rien n’indiquait qu’elle conduise nécessairement à la reprise du conflit.
Prorogation de l’accord, l’échec
Officiellement, le gouvernement de Benjamin Netanyahou attribue la reprise des bombardements de grande ampleur à l’échec des négociations sur la deuxième phase de l’accord qui devait comprendre un retrait total de Tsahal du territoire palestinien et la libération des derniers otages (59, dont 35 sont enregistrés comme décédés). Sa paternité échoit, selon les Israéliens, au Hamas qui «a rejeté toutes les propositions présentées par les médiateurs» et qui se serait opposé à toute nouvelle libération.
La responsabilité de l’enlisement des discussions ne semble pourtant pas univoque. Israël en porte une part. Il a réduit l’aide humanitaire acheminée aux Gazaouis; il a repris le contrôle de la zone frontalière entre le territoire palestinien et l’Egypte, voie principale de livraison de biens. La médiation du pays d’Abdel Fattah al-Sissi et du Qatar n’aura pas suffi, cette fois-ci, à maintenir le dialogue et à faire accoucher d’une solution.
En prolongeant le conflit, Benjamin Netanyahou s’octroie un sursis politique supplémentaire.
Des préparatifs d’attaque?
Le gouvernement israélien perçoit-il que son argumentaire, restreint à la question des négociations, est trop faible pour justifier une reprise des violences? Des informations ont été distillées par des représentants des services de sécurité en commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, et par des médias comme Kan News, sur la préparation d’une nouvelle offensive du Hamas. Le groupe palestinien aurait ainsi recruté 20.000 nouveaux miliciens depuis le début de la guerre, en ce compris plusieurs milliers depuis le cessez-le-feu. Les 20.000 hommes qu’il aurait perdus pendant les combats depuis octobre 2023 auraient été numériquement remplacés.
A côté de la reconstitution d’une force significative, les services de renseignement israéliens auraient repéré dans les quinze jours précédant la reprise du conflit des indices d’une possible réplique du Hamas: distribution d’armes et d’équipements, rétablissement de positions défensives, réhabilitation de structures de commandement… Dans la nuit des bombardements israéliens, une opération aérienne aurait même observé le déploiement de 30.000 miliciens du Hamas et du Djihad islamique sur l’ensemble de la bande de Gaza. On a évalué à dix fois moins le nombre d’assaillants palestiniens responsables du carnage du 7-Octobre.
Il est impossible de vérifier la véracité de ces informations. Tout juste peut-on constater que les «cérémonies» de libération d’otages qui se sont déroulées depuis janvier en différents endroits de la bande de Gaza ont été à chaque fois l’occasion d’une «démonstration de force» du Hamas et, moins souvent, du Djihad islamique. On peut aussi penser que la démesure de la guerre administrée par Israël, avec son flot de morts (quelque 48.000, selon un décompte du ministère Hamas de la Santé) et de destructions, a alimenté une vague de ralliements aux forces miliciennes principalement présentes dans le territoire. De là à considérer que les groupes palestiniens aient été en mesure, en particulier en matière d’armements, de lancer une nouvelle attaque, et y aient trouvé un intérêt à ce moment-ci, il y a une marge que l’on peut difficilement franchir.

L’intérêt de Netanyahou
«Les soldats en première ligne et les otages à Gaza ne sont que des cartes dans son jeu de survie. Netanyahou utilise la vie de nos citoyens et de nos soldats parce qu’il tremble de peur à cause de la protestation publique contre le témoignage du chef du Shin Bet», a réagi, dans une rare critique au sein de la classe politique israélienne, Yaïr Golan, ancien chef d’état-major adjoint de l’armée et leader du parti Les Démocrates, issu de la fusion du Parti travailliste et du Meretz. Le témoignage dont il est question, celui de Ronen Bar, le chef du service de renseignement intérieur, est une source d’embarras pour le Premier ministre israélien depuis que l’institution a publié un rapport interne qui pointe ses propres défaillances dans la tragédie du 7-Octobre mais stigmatise aussi l’attitude du gouvernement de Netanyahou dont, dit un passage du document, «la politique de calme a permis au Hamas de bâtir un arsenal militaire».
On peut se demander si le Proche-Orient n’est pas entré dans une nouvelle période de «feu et de fureur».
La confiance étant selon lui rompue alors qu’elle est indispensable en temps troublés, Benjamin Netanyahou aurait signifié qu’il projetait de démettre le chef du Shin Bet. Déjà aux prises avec un procès pour corruption, l’indéboulonnable de la politique israélienne doit redouter l’issue d’une commission d’enquête parlementaire qui, tôt ou tard, tirera les enseignements du fiasco de 2023. En prolongeant le conflit, il s’octroie un sursis supplémentaire. Il renforce l’assise de son gouvernement, Force juive, le parti d’extrême droite d’Itamar Ben-Gvir qui s’en était écarté au moment de l’accord sur la libération des otages l’ayant réintégré. Et il rebooste le sentiment d’union nationale. Malgré la détresse des familles des otages, qui ont vu dans les bombardements du 18 mars «une condamnation à mort» de leurs proches.

Un embrasement plus large?
L’opération Force et glaive désespère ceux qui pensaient que le pli de la négociation avait été pris avec l’accord de janvier. Ils sont d’autant plus inquiets que Donald Trump, qui l’avait tant célébré comme une victoire personnelle, a été informé du projet de son ami, et le soutient apparemment sans condition, allant parfois plus loin dans les menaces contre les Gazaouis (les «feux de l’enfer», la déportation…).
Si on ajoute à cette surenchère le constat que les Etats-Unis ont mené le 15 mars les bombardements les plus meurtriers (53 personnes décédées) depuis le début de la confrontation contre les alliés yéménites du Hamas, les rebelles houthis, on peut se demander si le Proche-Orient n’est pas entré dans une nouvelle période de «feu et de fureur».
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