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Quel avenir pour la bande de Gaza? «Pour Trump, seule la force peut permettre d’imposer sa volonté»
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Les déclarations du président américain sur Gaza? «Des outrances verbales qui montrent qu’il se moque du sort des Gazaouis», selon le politologue Bruno Tertrais.
Après la «question juive» en Europe au XIXe siècle et la «question de Palestine» aux Nations unies au XXe, le XXIe siècle sera-t-il celui de la «question d’Israël», et de son intégration au Moyen-Orient et dans le monde, comme la définit le directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, Bruno Tertrais? Le politologue rappelle quelques vérités sur Israël dans La Question israélienne, et quelques autres, ici, sur le débat actuel concernant l’avenir de la bande de Gaza.
La «question israélienne» se révèle-t-elle plus complexe à résoudre après le 7-Octobre?
Le processus de paix était bloqué ou enkysté depuis longtemps. Le 7-Octobre a malheureusement conduit à rendre plus difficile encore l’idée d’une coexistence pacifique entre Israéliens et Palestiniens. En ce sens, il a rendu le règlement de ce que j’appelle la question israélienne plus difficile.
Comment analysez-vous l’idée de Donald Trump de transformer Gaza en riviera balnéaire, le cas échéant vidée de sa population palestinienne?
C’est une idée sans queue ni tête ou plutôt une provocation verbale destinée, comme à son habitude, à renverser la table et à modifier les termes du débat. En soi, le fait de proposer des options nouvelles n’est pas une mauvaise chose. Mais en l’espèce, les idées avancées par Donald Trump ne sont rien d’autre que des outrances verbales qui montrent qu’il se moque totalement du sort des Gazaouis.
Dans votre livre, vous semblez exclure l’idée de la commission d’un génocide à Gaza. La question ne doit-elle tout de même pas être posée au vu de certains faits?
Poser la question est une chose, y répondre en est une autre. Je n’exclus rien. Je dis simplement que s’agissant de cette accusation qui est la plus grave possible, ceux qui prétendent que génocide il y a n’apportent pas les éléments nécessaires à cette caractérisation. A mon sens, seule une juridiction internationale peut poser un tel diagnostic. Et contrairement à ce qu’une lecture trop hâtive des décisions de la Cour internationale de justice laisse accroire, l’existence même d’un risque de génocide n’est pas affirmée par elle.
«Ceux qui prétendent que génocide il y a à Gaza n’apportent pas les éléments nécessaires à cette caractérisation.»
Le gouvernement israélien a-t-il un projet pour Gaza après la fin du conflit, après la libération de tous les otages, si elle advient?
Il était assez injuste de reprocher à Israël de ne pas avoir de projet politique précis alors que l’offensive militaire battait son plein. Aujourd’hui, toutefois, on attendrait effectivement que le gouvernement israélien propose un avenir politique clair aux Gazaouis. A ce stade, seule l’idée selon laquelle le Hamas ne doit pas gouverner la bande de Gaza fait consensus en Israël. Les paramètres d’un avenir politique pour ce territoire sont cependant relativement clairs pour la plupart des observateurs: ni le Hamas ni Israël ne doit gouverner la bande de Gaza; le pouvoir légitime à la gouverner est l’Autorité palestinienne; sa reconstruction pourra bénéficier d’une assistance des pays du Golfe. Il n’empêche qu’en Israël, certains imaginent une réoccupation au moins partielle et temporaire de la bande de Gaza, non pas tant pour de quelconques raisons bibliques que pour des raisons sécuritaires. L’idée qu’il puisse se produire un jour un nouveau 7-Octobre est inadmissible, même pour les plus modérés des Israéliens.
Même si le Hamas n’a pas été totalement éradiqué, le spectre d’une répétition d’un 7-Octobre n’est-il pas durablement écarté pour Israël?
Lorsque l’on a vécu le choc du 7-Octobre, on veut –et c’est bien naturel– que la probabilité d’un nouvel événement de ce type soit aussi faible que possible, et cela tant au sud qu’au nord d’Israël depuis le Liban. Le Hamas continuera à exister. Les Israéliens le savent bien. Leur objectif est qu’il n’ait plus les capacités d’organiser et de perpétrer une telle horreur.
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Les initiatives de Donald Trump en politique étrangère peuvent-elles avoir une force performative, dans le sens où même si elles n’aboutissent pas, elles provoquent des réactions allant dans le sens voulu par lui?
Je ne crois pas que cela puisse être le cas s’agissant de Gaza. Et si performativité il y a, cela pourrait rendre plus facile l’annexion d’une partie au moins de la Cisjordanie par le gouvernement israélien. Si ces idées avancées par Donald Trump avaient une suite, je pense qu’elles risquent davantage d’être un prolongement défavorable aux intérêts palestiniens.
Vous écrivez qu’Israël mène une politique d’annexion de fait de la Cisjordanie, en tout cas dans sa zone C. Donald Trump donnera-t-il un coup de pouce supplémentaire à cette politique?
Cette politique n’a pas besoin de coup de pouce américain. Elle se développe jour après jour sous nos yeux. C’est l’occasion malgré tout de rappeler qu’à la différence d’un pays comme la Russie, Israël n’a jamais procédé à l’annexion formelle des territoires qu’il occupe, à l’exception du Golan mais c’était à la suite de l’agression de la Syrie. Il n’est pas dans mon propos de créditer Israël pour cette non-annexion formelle, mais plutôt de remettre en perspective ce que certains appellent un «deux poids, deux mesures». Le «deux poids, deux mesures» concerne plutôt ceux qui prétendent que la politique d’Israël est la même que celle de la Russie. Il y en effet des raisons de penser que l’analogie pertinente, c’est plutôt de considérer que face à ses adversaires, Israël connaît le sort de l’Ukraine plutôt que celui de la Russie.
«Donald Trump préfère la paix à la guerre, cette dernière étant mauvaise pour les affaires.»
Le 7-Octobre a notamment eu pour conséquence de suspendre le processus d’adhésion de l’Arabie saoudite aux accords d’Abraham. Est-ce un coup d’arrêt durable ou temporaire?
Il n’y a pas vraiment eu de suspension. Il ne s’agissait pas d’une négociation formelle, plutôt de discussions informelles commencées il y a plusieurs années déjà. Après le 7-Octobre, l’Arabie saoudite s’est caractérisée par une relative modération dans ses critiques vis-à-vis de la stratégie militaire israélienne. Toutefois, l’ampleur des destructions opérées dans la bande de Gaza a conduit par la suite Riyad à durcir sa position. En d’autres termes, alors que l’on pouvait penser avant le 7-Octobre que la perspective d’une solution politique suffirait à conduire l’Arabie saoudite à normaliser ses relations avec Israël, c’est bel et bien la création d’un Etat palestinien souverain qui est aujourd’hui exigée par Riyad. Cette réaction a été d’autant plus fermement rappelée que les outrances verbales du président des Etats-Unis sont provocatrices aux yeux de l’opinion saoudienne.
Une des autres menaces qui pèsent sur Israël est celle de l’Iran. Comment analysez-vous la modération de Donald Trump vis-à-vis de Téhéran, qui s’est dit ouvert au dialogue sur le programme nucléaire?
Elle s’explique par le fait que Donald Trump préfère la paix à la guerre, cette dernière étant mauvaise pour les affaires. Mais aussi parce qu’il s’imagine comme récipiendaire du prix Nobel de la paix. Il est certainement jaloux de Barack Obama qui l’avait obtenu avant même d’avoir quelque action concrète sur la scène internationale. Rappelons que Trump avait essayé lors de son premier mandat de poser les bases d’un accord global avec la Corée du Nord. Cela semble totalement impossible avec l’Iran, y compris parce que c’est la nature même du régime de Téhéran de se poser en confrontation avec les Etats-Unis. Mais dans l’esprit du président américain, tout est possible.
Sous Donald Trump, pourrait-on assister à une «israélisation» de la politique étrangère américaine: une action en toute impunité au mépris du droit international?
Je ne partage pas cette caractérisation. Je ne pense pas que l’on puisse dire qu’Israël agit sans égard pour le droit international. Quant à savoir si les idées et les politiques de Donald Trump peuvent rappeler le mode de fonctionnement des autorités israéliennes, je dirais que c’est seulement dans la mesure où les leaders des deux pays semblent estimer aujourd’hui que seule la force peut permettre d’imposer sa volonté à ses adversaires.
Cette politique ne risque-t-elle pas de nuire à la crédibilité des Etats-Unis dans le monde? Réduire drastiquement les moyens de l’agence USAID ne laisse-t-il pas un boulevard pour l’exercice du soft power de la Chine?
Donald Trump estime que le hard power suffit à asseoir la puissance mais aussi la crédibilité des Etats-Unis. Par ailleurs, comme on le sait, l’Amérique est sujette à des à-coups et à des virages importants dans sa politique extérieure. Même si les prédécesseurs républicains de Donald Trump ne lui ressemblent pas, on peut quand même rappeler que des présidents comme Ronald Reagan ou George W. Bush ont, eux aussi, à certains moments, conduit des politiques qui ont affecté négativement la réputation des Etats-Unis, au moins dans une partie du monde. Je crois que les zigzags de la politique américaine, dus à la brièveté des mandats présidentiels notamment, peuvent davantage nuire sur le long terme à la crédibilité de l’Amérique en tant que puissance que certaines décisions ponctuelles prises par une administration.
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