Explosion des bipeurs du Hezbollah: vers «un point de non-retour» au Moyen-Orient (analyse)
L’explosion des bipeurs employés par le Hezbollah au Liban a provoqué une dizaine de morts et des milliers de blessés. L’ampleur de la cyberattaque inquiète: les observateurs craignent l’embrasement des tensions qui couvent au Moyen-Orient, alors qu’Israël est pointé du doigt dans cette affaire.
Il est 15h30 ce mardi 17 septembre, lorsque des centaines de bipeurs explosent simultanément au Liban. La cible de cette cyberattaque surprise de grande envergure: les membres du Hezbollah, parti politique et groupe paramilitaire islamiste considéré par beaucoup d’Etats comme une organisation terroriste. Bilan: une dizaine de morts et des milliers de blessés, dont des civils touchés par les explosions de manière collatérale.
À l’heure d’écrire ses lignes, personne n’a encore revendiqué la cyberattaque. Mais un nom circule sur toutes les lèvres, dont celles de la spécialiste du Moyen-Orient Elena Aoun (UCLouvain). «C’est un secret de Polichinelle que l’attaque a été perpétrée par les Israéliens. Je suis effarée que leur gouvernement, qui fait son lit sur le tout militaire, puisse aller aussi loin.» Des révélations du New York Times semblent aller dans le même sens. Des responsables, américains et d’autres nationalités, ont affirmé au célèbre quotidien américain qu’Israël était parvenu à cacher des petits explosifs dans des bipeurs achetés par le Hezbollah à Taïwan et les a déclenchés à distance. Les petits appareils ont été interceptés par les services israéliens avant leur arrivée au Liban. Quelques dizaines de grammes de matériel explosif ont été insérés à côté de la batterie avec un déclencheur, précise encore le New York Times.
«Les Israéliens sont les meilleurs du monde dans ce domaine, bien au-dessus des Américains»
L’expert en cybersécurité Axel Legay (UCLouvain)
Que sont ces bipeurs utilisés par le Hezbollah?
Les bipeurs utilisés par le Hezbollah sont des petits boitiers permettant de recevoir des messages, alertes sonores ou numéros de téléphone en utilisant leur propre fréquence radio et donc sans passer par les réseaux de téléphonie mobile, qui peuvent connaître interruptions, problèmes de connections ou interception des communications. Les petits appareils émettant un «bip» caractéristique sont utilisés par le Hezbollah pour ces différentes raisons. Mais les bipeurs sont également utilisés dans la vie de tous les jours par les médecins et infirmiers dans les hôpitaux.
«Ce qui s’est passé avec les bipeurs fait figure de prouesse technologique, décrypte l’expert en cybersécurité Axel Legay (UCLouvain). Un logiciel (software) a été injecté pour avoir un effet sur le matériel (hardware). À l’aide d’un stimuli (qui semble être dans ce cas un message envoyé aux membres du Hezbollah, NDLR), le logiciel réagit pour chauffer la batterie ou faire exploser la charge.» Axel Legay confirme que ce genre d’attaques est amené à se répéter à l’avenir, et que «les Israéliens sont les meilleurs du monde dans ce domaine, bien au-dessus des Américains».
«On a été à plusieurs reprises au bord du précipice, comme lorsqu’Israël a assassiné plusieurs têtes pensantes du Hamas réfugiées au Liban»
La spécialiste du Moyen-Orient Elena Aoun (UCLouvain)
Bipeurs: une nouvelle étape franchie dans le conflit?
Selon Elena Aoun, la cyberattaque fait partie d’une stratégie plus large dans le chef du régime de «colonisation technologique» de Tel-Aviv. «Les Palestiniens sont étroitement contrôlés par l’imagerie, l’écoute, les drônes et même l’intelligence artificielle, récemment utilisée dans le cadre des bombardements.» La chercheuse rappelle que l’Europe participe au développement de la toute-puissance technologique israélienne, via le financement de certains programmes de recherche.
D’après les observateurs, la cyberattaque des bipeurs visant le Hezbollah pourrait embraser un Moyen-Orient sous tension depuis des mois. «On a été à plusieurs reprises au bord du précipice, comme lorsqu’Israël a assassiné plusieurs têtes pensantes du Hamas réfugiées au Liban», reprend Elena Aoun. La chercheuse, fine connaisseuse du Liban, craint que cette opération soit la goutte d’eau qui fasse déborder le vase du conflit. «Une limite a peut-être été franchie, et je m’inquiète aussi de la question éthique que cela pose: la communauté internationale va-t-elle laisser la porte ouverte à ce genre de guerre à distance?».
Quelle réplique du Hezbollah?
Les tensions entre le Hezbollah libanais et Israël s’imbriquent dans le plus large conflit israélo-palestinien, l’organisation terroriste se plaçant du côté du Hamas. Selon Elena Aoun, la pression exercée par le Hezbollah au nord d’Israël permet d’éviter que Tel-Aviv concentre tous ses efforts sur Gaza et la Cisjordanie. Le Hezbollah a d’ores et déjà promis de «punir Israël», en représailles de la cyberattaque subie par le mouvement. Une menace à prendre au sérieux? «Il n’est pas exclu qu’on soit en train de franchir un point de non-retour, estime la chercheuse. Le Hezbollah pourrait considérer que l’opération a été trop loin.» Mais la milice paramilitaire, qui agit en soutien du Hamas dans le conflit israélo-palestinien, pourrait tout aussi bien mesurer sa réaction, afin de ne pas se retrouver aux avant-postes.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici