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Comment Gaza oscille entre libération d’otages et escalade militaire

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les préparatifs d’une offensive terrestre sur Rafah forcent le Hamas à accepter la libération de captifs. Mais la méfiance entre les parties fait craindre un échec fatal.

«D’ici à Jérusalem, j’envoie un message très clair: vous ne nous enchaînerez pas les mains, et même si Israël doit rester seul, il restera seul et continuera à combattre nos ennemis jusqu’à la victoire.» La déclaration du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, le 5 mai à l’occasion de la commémoration de la Journée du souvenir de la Shoah au mémorial Yad Vashem à Jérusalem, répondait à la menace du lancement de mandats d’arrêt par la Cour pénale internationale contre des hauts responsables israéliens, dont lui-même, pour le traitement de la population palestinienne de Gaza. Mais elle aurait tout aussi bien pu répondre à l’accroissement des pressions internationales pour qu’Israël mette un terme à son offensive dans le territoire palestinien. «La première leçon de la Shoah est que si le peuple juif ne se défend pas lui-même, personne ne viendra prendre sa défense», a insisté le chef du gouvernement israélien.

On sait le traumatisme qu’a causé au sein de la population israélienne le massacre du 7 octobre commis par les miliciens du Hamas, le plus meurtrier contre des Juifs depuis la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste. Sans doute, bon nombre de citoyens israéliens partagent-ils sa détermination. Mais le rappel incessant du souvenir de la Shoah favorise-t-il la prise de décision sereine face aux défis actuels, inscrits dans un contexte diamétralement différent que celui d’il y a 80 ans? Benjamin Netanyahou l’a lui-même admis: Israël «dispose aujourd’hui d’une force capable de le défendre».

Gaza: évacuation de Rafah

Cette force est aussi capable de servir de moyen de pression contre l’adversaire et de forger des règlements là où on ne les espérait plus. Lundi 6 mai au soir, le Hamas a accepté officiellement l’offre égyptienne et qatarie pour un accord prévoyant la libération d’une quarantaine d’otages israéliens contre l’élargissement de centaines de détenus palestiniens des geôles israéliennes. Dans la journée, le gouvernement israélien avait lancé un appel à l’évacuation des habitants des quartiers est de la ville de Rafah, «invités» à gagner des zones humanitaires, à al-Mawasi en bord de Méditerranée, ou à Khan Younès, plus au nord. Cette mesure semblait préfigurer l’attaque tant attendue par le gouvernement israélien pour éradiquer les quatre bataillons du Hamas présents dans la localité à l’extrémité sud du territoire palestinien, et tant redoutée par ses alliés qui craignaient qu’elle ne débouche à nouveau sur une tragédie humaine parmi la population, nombreuse, qui s’y est réfugiée, fuyant l’avancée de Tsahal depuis sept mois.

«L’isolement du gouvernement israélien se traduit aussi par l’intention affichée par de plus en plus d’Etats de reconnaître un Etat palestinien.»

Ce choix affiché de la voie militaire, plutôt que de signer la fin des espoirs d’une libération «pacifique» des otages encore aux mains du Hamas, aurait servi en définitive d’instrument de pression pour forcer un accord. Israël a toutefois émis des réserves, dans un premier temps, sur le feu vert palestinien, estimant que le texte ne correspondait peut-être pas à celui que ses négociateurs avaient approuvé. Cette réaction illustre l’extrême méfiance qui règne entre les acteurs. Les exigences du Hamas avaient été jugées à l’origine inacceptables par les Israéliens. Le groupe islamiste espérait obtenir qu’ils renoncent à poursuivre leur offensive dans le territoire, une perspective inconcevable pour le gouvernement de Benjamin Netanyahou. De surcroît, une attaque à la roquette perpétrée le 5 mai par le groupe islamiste palestinien contre le poste-frontière de Kerem Shalom entre le sud d’Israël et le sud de la bande de Gaza, qui avait tué quatre soldats israéliens, faisait figure de provocation fatale à tout arrangement. Le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant avait même prévenu son homologue américain Lloyd Austin qu’Israël n’avait plus d’autres choix que de lancer une offensive terrestre sur Rafah, d’où étaient partis les projectiles tuant les militaires israéliens.

Dans le même temps, les déclarations d’un haut responsable israélien au New York Times éclairaient d’une façon différente le déroulement des négociations au Caire. Il assurait que c’étaient les propos de Benjamin Netanyahou sur son objectif de mener une opération à Rafah qui avaient fait capoter les négociations avec le Hamas. La suite de l’histoire dément ce scénario, même s’il a pu un temps entraver la conclusion d’un accord. S’il recueille finalement le consensus, il repoussera la perspective de la dernière bataille de Tsahal dans la bande de Gaza et les conséquences qu’elle pourrait avoir. Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken n’a-t-il pas prévenu que pareille opération causerait des dommages «au-delà de l’acceptable»?

Bataille diplomatique

Quel que soit le résultat des négociations du Caire, Israël peut-il se permettre en entrant aujourd’hui ou demain dans Rafah un accroissement de son isolement? La Bolivie, le Belize et, plus récemment la Colombie, dirigés tous les trois par des personnalités de gauche, ont rompu leurs relations diplomatiques avec l’Etat hébreu. Des prises de position essentiellement symboliques. Plus significative et dommageable pour les Israéliens est la décision annoncée le 2 mai par la Turquie de suspendre ses relations commerciales avec Israël. «Nous ne pouvons pas accepter ce qu’Israël fait dans les territoires palestiniens, a justifié le président Recep Tayyip Erdogan. Netanyahou est impitoyable, et c’est ce qu’il a montré avec les femmes, les enfants et les personnes âgées à Gaza.» Le volume des échanges commerciaux entre les deux pays s’élevait en 2023 à quelque sept milliards de dollars. Surtout, un tiers des besoins en pétrole d’Israël transite par le port turc de Ceyhan en provenance de l’Azerbaïdjan. En début de semaine, cependant, ces exportations n’étaient pas affectées par la décision turque, requérant sans doute l’accord du président azéri, Ilham Aliev, considéré comme relativement proche de Benjamin Netanyahou. Les conséquences du raidissement de la Turquie, qui a déroulé le tapis rouge au leader du Hamas Ismaïl Haniyeh fin avril, pourraient donc être sérieuses pour l’Etat hébreu.

«Antony Blinken a prévenu qu’une opération terrestre à Rafah causerait des dommages “au-delà de l’acceptable”.»

L’isolement du gouvernement israélien se traduit aussi par l’intention affichée par de plus en plus d’Etats de reconnaître un Etat palestinien. La Belgique, par la voix de la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib, en a exprimé l’intention le 6 mai, rejoignant ainsi l’Irlande, Malte, la Slovénie et l’Espagne qui en ont fait part depuis le 7 octobre. Quoi qu’en pense Benjamin Netanyahou, la solution à deux Etats comme réponse au conflit israélo-palestinien est bel et bien de retour dans les enceintes de discussion internationales. Mais le Premier ministre israélien est trop préoccupé par son objectif de guerre et sa survie politique pour prendre conscience aujourd’hui des effets pour Israël de ce basculement politique.

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