Mouvements de troupes au nord d’Israël à la frontière libanaise: l’accord de cessez-le-feu devrait permettre à la population de regagner ses habitations. © GETTY IMAGES

Au Liban, un cessez-le-feu mais pas vraiment la paix: pourquoi Israël en sort gagnant

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le gouvernement de Benjamin Netanyahou et le Hezbollah s’accordent sur une trêve dont les modalités avantagent Israël. Symbole de sa victoire indiscutable dans le conflit.

Joe Biden aura-t-il fait, sur les principaux dossiers internationaux du moment, plus et mieux au cours des deux derniers mois de son mandat que lors des 46 précédents? Peut-être décisif pour permettre à l’Ukraine de sauver ce qui pourra l’être lors d’une négociation à venir avec la Russie sous l’égide de Donald Trump, il a sans doute joué un rôle essentiel dans un accord de cessez-le-feu entre Israël et le mouvement libanais pro-iranien du Hezbollah, mettant un terme provisoire et précaire à une guerre meurtrière de 417 jours. Fruit des efforts des administrations américaine et française, emmenées par l’envoyé spécial de la Maison-Blanche Amos Hochstein, l’arrangement annoncé le 26 novembre consacre la domination d’Israël.

Ses modalités traduisent cet ascendant. Les deux parties, Tsahal et la milice du Hezbollah, s’engagent dans les 60 jours à se retirer du territoire du Liban au sud du fleuve Litani, qui délimite naturellement sa partie la plus septentrionale équivalant à quelque 10% de sa superficie. L’armée libanaise doit s’y déployer pour garantir le respect du retrait. Pour prévenir une éventuelle réoccupation progressive du territoire par la milice chiite, Israël dispose d’une liberté d’action pour assurer sa défense et, le cas échéant, éliminer les menaces qu’elle représenterait à nouveau. L’accord conclu au terme de la guerre de 2006 au Sud-Liban prévoyait aussi le désengagement du Hezbollah de la zone. La disposition n’a jamais été respectée. Les dirigeants israéliens voulaient s’assurer cette fois-ci qu’ils puissent eux-mêmes en imposer l’application. Mais cette latitude ouvre potentiellement la porte à la reprise du conflit, une fois que le groupe chiite libanais se sera réarmé… Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, s’exprimant le 26 novembre au soir, ne l’entend pas ainsi: «S’il se réarme, rompt l’accord, nous l’attaquerons», a-t-il menacé.

Israël a rempli l’objectif principal de son offensive au Liban: ramener la population du nord du pays dans ses habitations.

Leadership décapité

Si l’arrangement du 26 novembre survit aux difficultés de son application, il clôturera une séquence militaire à l’avantage de l’Etat hébreu. Commencée au lendemain du massacre du 7 octobre 2023 commis par la milice islamiste palestinienne dans le pourtour de la bande de Gaza, elle a été déclenchée par le Hezbollah en solidarité avec celle-ci après le lancement d’une offensive massive de Tsahal dans le territoire au sud-ouest d’Israël. La «guerre du front nord» a fait, selon un bilan arrêté avant l’annonce de la trêve et les attaques massives qui l’ont précédée, 3.750 tués et plus d’un million de déplacés côté libanais, et 118 (45 civils et 73 militaires) côté israélien. Le différentiel du préjudice subi est encore plus profond si l’on énumère les chefs du Hezbollah qui ont perdu la vie lorsque Israël a décidé d’engager une guerre ouverte contre la milice à partir du 27 septembre de cette année. C’est le leadership qui a été décapité à l’occasion des attaques aux bipeurs et aux talkies-walkies lancées une semaine avant l’offensive et des multiples bombardements opérés pendant celle-ci. Le secrétaire général Hassan Nasrallah, son successeur pressenti Hachem Safieddine, et un grand nombre des dirigeants du mouvement ont été éliminés par l’armée israélienne. «Le Hezbollah a été ramené une dizaine d’années en arrière», a assuré Benjamin Netanyahou pour justifier auprès de sa population son feu vert à l’accord.

Benjamin Netanyahou entend concentrer ses prochains efforts sur la menace iranienne.

Cette débâcle militaire peut effectivement expliquer que le supplétif libanais du régime iranien ait consenti à un arrangement qui lui est pour une bonne part défavorable. Continuer la guerre aurait signifié une réduction encore plus grande de ses moyens militaires. Les autorités israéliennes estiment qu’elles ont été entamées à 80%. Malgré cet affaiblissement, le Hezbollah peut faire valoir des acquis symboliques au terme de cette confrontation. Il reste le seul groupe milicien à pouvoir revendiquer d’opposer une réplique relativement solide à l’armée la plus puissante de la région. De la sorte, il conserve aux yeux des populations arabes l’aura du «premier ennemi» de l’Etat hébreu, d’autant que la nature des attaques de la République islamique d’Iran aux opérations d’Israël contre ses représentants ou ses alliés à Damas, Beyrouth ou même Téhéran a montré qu’elle n’avait pas les moyens de se lancer dans une guerre totale.

En deux mois d’offensive massive du 27 septembre au 26 novembre, Israël aurait éliminé 80% des moyens militaires du Hezbollah. © GETTY IMAGES

Puissance de feu

Le gouvernement israélien a rempli l’objectif principal de son offensive au Liban: écarter la menace des roquettes du Hezbollah qui ont tout de même ébranlé la société israélienne comme jamais en provenance du front nord, et permettre à la population déplacée de la partie septentrionale d’Israël de regagner ses habitations en toute sécurité. Il n’a pas atteint le but sous-jacent qui pouvait accompagner cette première mission, à savoir «éradiquer» le Hezbollah comme il pense l’avoir réalisé en grande partie contre le Hamas palestinien. Cet échec tout relatif a inspiré les rares critiques d’une minorité de la classe politique israélienne. Le ministre de la Sécurité nationale, d’extrême droite, Itamar Ben-Gvir a évoqué «une grave erreur», «une occasion historique manquée d’écraser le Hezbollah».

Son chef, le Premier ministre, a justifié l’approbation israélienne du texte américano-français par trois raisons: se concentrer sur la menace iranienne et en particulier sa dimension nucléaire, permettre aux soldats de Tsahal de se reposer et à celle-ci de se réapprovisionner en munitions, et accentuer «l’isolement du Hamas». Si le front libanais est provisoirement apaisé, les autres foyers de tensions de la région, à Gaza et face à l’Iran, sont loin de l’être. Le développement du 26 novembre consacre donc indubitablement la victoire de la puissance technologique d’Israël. L’illustre une de ses dernières attaques sur Beyrouth avant la trêve: d’après l’état-major de Tsahal, 20 cibles du Hezbollah, surtout liées à ses réseaux financiers, ont été touchées en… 120 secondes.

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