A Sanaa, au Yémen, en avril dernier. " Le comportement des rebelles houtistes montre qu'ils sont des acteurs locaux, mais aussi une force qui poursuit des objectifs hors frontières et a pris pour cible l'Arabie saoudite grâce au soutien de l'Iran. " © M. AL-SAYAGHI/REUTERS

Moyen-Orient: « Nous avons besoin de stabilité »

Tensions avec l’Iran, conflit au Yémen : le ministre des Affaires étrangères des Emirats arabes unis, Anwar Gargash, analyse la situation de la région.

Comment évaluez-vous les tensions actuelles entre les Etats-Unis et l’Iran ? Sommes-nous dans une escalade fatale ?

C’est une crise d’une grande intensité et dont la résolution est particulièrement difficile, car elle couve en réalité depuis des années. La conjonction des forces la rendait en grande partie prévisible en raison de l’attitude de l’Iran. L’administration Trump s’est rendu compte que le JCPOA (NDLR : accord sur le nucléaire iranien du 14 juillet 2015) n’apportait pas de solution aux inquiétudes soulevées par le programme nucléaire iranien. Or, ces inquiétudes sont abondamment documentées par des informations qui vont toutes dans le même sens. Il y a par exemple des preuves accablantes apportées par des sources israéliennes, qui démontrent que le régime iranien n’est absolument pas respectueux de ses engagements, contrairement à ce qu’il prétend. Dans la perspective régionale qui nous concerne tous, l’Iran procède au développement massif de ses missiles balistiques, ce qui nous préoccupe au plus haut point. Ces missiles sont employés sur plusieurs théâtres d’opérations, sujet qui doit être absolument abordé. La région a besoin de résoudre d’urgence la question de ces missiles balistiques qui relèvent de la volonté agressive d’un seul Etat.

En Syrie, au Yémen ou ailleurs, on assiste aux dégâts entraînés par l’implication de l’Iran.

Le sujet des missiles ne fait pourtant pas partie du cadre du JCPOA…

Il y a clairement une implication iranienne dans les conflits en cours, ce qui contribue fortement à les accentuer. En Syrie, au Yémen ou ailleurs, on assiste aux dégâts entraînés par l’implication de l’Iran ; de ce point de vue, le passage de l’administration Obama à l’administration Trump marque un vrai changement dans la prise de conscience des Etats-Unis. Il est extrêmement important de prendre en considération les racines profondes des tensions actuelles et d’arrêter l’escalade, car la crise a sa propre dynamique. Les Emirats arabes unis sont très attentifs à l’intérêt de tous les pays de la région et prônent une solution diplomatique globale. Il y a trois cercles. Le premier concerne tous les intervenants régionaux et a trait au processus de désescalade qu’il faut mettre en oeuvre. Le deuxième relève de la sécurité maritime indispensable au monde entier ; à travers la dernière attaque qui a frappé deux navires (en mer d’Oman) près du détroit d’Ormuz, l’un norvégien, l’autre japonais, il est apparu que onze nations étaient impliquées à des stades divers. Je note que des pays européens se montrent de plus en plus inquiets du non-respect des clauses du JCPOA de la part de l’Iran. Le troisième volet engage l’avenir de la paix globale et oblige à aborder la question d’un règlement durable afin de sortir de la situation récurrente, qui contient une grande part de danger.

Ce qui renvoie à l’attitude à adopter à l’égard de l’Iran…

L’Iran ne parle pas d’une seule voix, sans que nous puissions clairement établir les lignes de clivage à l’intérieur du régime, ce qui rend le sujet encore plus difficile. Cela dure depuis des années, et cette dichotomie reste profondément enracinée au coeur du système iranien. Comment agir face à une telle dualité ? Il faut remettre l’accent sur la diplomatie et éviter les surenchères afin de ne pas entrer dans une phase où l’on aurait perdu tout contrôle. Il faut dégager un intérêt global, sur lequel il peut y avoir une convergence, en particulier sur le plan économique. Pour cela, il est indispensable de rester dans le dialogue ; Donald Trump l’a tenté avec la médiation japonaise, la porte doit rester ouverte. Si cela ne marchait pas, il faudrait essayer par un autre moyen. Désescalade d’abord, puis solution à long terme.

Anwar Gargash :
Anwar Gargash :  » L’Iran ne parle pas d’une seule voix. « © DR

Quel langage faut-il employer pour y parvenir ?

Avec l’Iran, tous les sujets doivent être abordés, sans en écarter aucun, la question des missiles comme celle de la politique extérieure dans toute la région du Moyen-Orient. Or, nous avons besoin pour cela de tous les intervenants. Un des problèmes posés par le JCPOA de 2015 provient du fait qu’aucun pays arabe n’était impliqué dans cet accord. Il n’y avait pas de prise en compte de la partie régionale, ce qui est pourtant essentiel et doit être maintenant intégré. Le JCPOA a été vendu aux pays de la région comme un accord qui dépassait les questions nucléaires et dont les effets devaient être bénéfiques au-delà de cet aspect.

L’administration Trump laisse entendre qu’elle souhaiterait voir le régime iranien changer. Est-ce un but raisonnable, selon vous ?

Les déclarations des différentes autorités américaines pointent un comportement et des faits bien plus que la nature du régime. Pour les Emirats, la question du régime est l’affaire du pays concerné ; en revanche, nous sommes en droit d’attendre un changement d’attitude de la part de Téhéran. Encore une fois, le JCPOA supposait un changement d’attitude de l’Iran qui aurait dû bénéficier à toute la région : il n’en a rien été. Il me semble que l’intérêt actuel de l’Iran, confronté à une dure crise économique, serait de modifier son comportement à l’égard des différents conflits régionaux, ce qui pourrait être soutenu par les éléments modérés du régime. Ce n’est pourtant pas ce qui s’est produit et cela démontre que le JCPOA n’a pas fonctionné dans le sens souhaité. Nous avons besoin de stabilité et la crise en cours offre une opportunité de remettre à plat tous les sujets de tension et de mettre en place un nouveau mécanisme de contrôle des trois sphères concernées – le nucléaire, les missiles et la politique régionale de l’Iran.

Comment analysez-vous l’évolution du conflit au Yémen ? (1)

La seule possibilité de règlement réside dans l’accord de Stockholm, agréé par les Nations unies. Nous pensons que c’est une base fonctionnelle pour la résolution du conflit. Pour cela, les houthistes (NDLR : des rebelles chiites soutenus par l’Iran) doivent se retirer des positions qu’ils occupent, ce qui n’est pas leur intention. Il faut que les Yéménites négocient entre eux sous l’égide de l’ONU. Or le comportement des houthistes montre qu’ils sont des acteurs locaux, mais aussi une force qui poursuit des objectifs hors frontières, dans la mesure où ils ont pris pour cible continuelle l’Arabie saoudite grâce au soutien que l’Iran leur apporte. Ils manipulent même la crise humanitaire du Yémen en détournant des tonnes de céréales destinées aux populations ou en tirant des profits de l’aide qu’ils accaparent afin de prolonger la lutte armée. 2019 est une année clé pour la solution de ce conflit ; la question ne porte pas sur la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, mais sur l’issue du dialogue que les Yéménites doivent tenir entre eux.

Quelle conclusion tirez-vous de l’ensemble de ces conflits ?

Le Moyen-Orient n’avancera pas durant la prochaine décennie si les différentes parties se comportent comme elles l’ont fait jusqu’ici.

(1) Les Emirats arabes unis ont annoncé, le lundi 8 juillet, une réduction de leur contingent de soldats déployés au Yémen au sein de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite.

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