Mort de Nahel: retour sur ces émeutes violentes en partie dirigées contre l’Etat
Cinq nuits de violences urbaines n’ont pas servi qu’à «venger» la mort de Nahel M. et à piller. Des élus aussi ont été ciblés.
Quand Emmanuel Macron déclare, quelques heures après que le jeune Nahel M. a été abattu par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre, le 27 juin, que «c’est inexcusable, inexplicable et je veux dire mon affection et la peine partagée avec sa famille et ses proches», le président français espère sans doute encore arriver à contenir les réactions violentes que ce drame, vu sur les réseaux sociaux par des millions de personnes, va provoquer.
Les images de la vidéo parlent d’elles-mêmes. Il est difficile à leur vue d’accréditer la thèse avancée par les deux policiers en intervention qui voudrait qu’ils aient agi en état de légitime défense face à un conducteur décidé à foncer sur eux avec son véhicule. Même le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, toujours prompt à défendre «ses» policiers adopte un profil bas. La prudence de l’exécutif, «soutenue» par la décision de la justice de mettre prestement le policier en examen et en détention, ne suffira cependant pas à éviter des émeutes qui marqueront l’histoire contemporaine de la France par leur violence extrême. L’avenir dira si, couplée à la mise en place d’un dispositif répressif massif à partir du 29 juin, elle n’aura tout de même pas permis que cette séquence insurrectionnelle soit brève.
Des banlieues aux centres-villes
Entre les nuits du 27 au 28 juin et celle du 1er au 2 juillet, soit cinq épisodes, les violences urbaines auraient provoqué davantage de préjudices que ceux causés par les vingt jours d’affrontements qu’a connus la France en octobre 2005 après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré dans un poste électrique à Clichy-sous-Bois. Selon un bilan arrêté au dimanche 2 juillet, cinq mille véhicules auraient été incendiés, mille bâtiments brûlés, dégradés ou pillés, et 250 commissariats de police et de gendarmerie attaqués.
S’ils se sont rapidement étendus de la région parisienne à plusieurs moyennes et grandes villes de France, les saccages sont allés crescendo à partir de la nuit du 29 au 30 juin, après la marche blanche organisée à Nanterre en mémoire de Nahel M., pour culminer la nuit suivante. C’est alors qu’ils se sont déplacés des banlieues vers les centres-villes, qu’ils ont visé de grandes enseignes comme des petits commerces, qu’ils ont été opérés même durant l’après-midi, et qu’ils ont semé une insécurité profonde à Marseille, Lyon, Toulouse, Strasbourg… A tel point que les maires, de gauche, des métropoles les plus peuplées de l’Hexagone après Paris, le socialiste Benoît Payan à Marseille, et l’écologiste Grégory Doucet à Lyon, ont été jusqu’à réclamer des renforts policiers.
Effet d’entraînement
L’appel sera entendu. Les effectifs des forces de l’ordre sont portés à 40 000, puis à 45 000 agents. Et des forces d’élite telles que le Raid (Recherche, assistance, intervention, dissuasion) de la police et le GIGN, groupe d’intervention de la gendarmerie nationale, sont mobilisées. La mise en place de ce dispositif amorce le reflux des violences à partir du 1er juillet. D’autant que le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, menace les parents de poursuites judiciaires s’ils «ne tiennent pas leurs enfants» (des gamins de 12 ou 13 ans ont été repérés parmi les émeutiers), que les joueurs de l’équipe de France de football exhortent au dialogue, et que la grand-mère de Nahel M. appelle à un retour au calme.
Il est vrai que l’ampleur et la nature des attaques semblent ne plus avoir qu’un lien fort éloigné avec la mort du jeune homme de Nanterre. La confusion engendrée par les troubles est mise à profit pour procéder à des pillages en règle de magasins, selon un modus operandi parfois très élaboré et avec la facilité de mobilisation que permettent les réseaux sociaux. Il n’est pas rare que des razzias filmées en direct donnent l’idée à d’autres jeunes de venir se servir à leur tour.
La «révolte» était-elle de toute façon vouée à s’éteindre? Ou sa fin a-t-elle été précipitée par ce dernier événement? Difficile à dire. Toujours est-il que l’attaque du domicile du maire Les Républicains de L’Haÿ-les-Roses, une commune du Val-de-Marne, au sud de Paris, dans la nuit du 1er au 2 juillet, marque un dernier tournant dans cette semaine de tensions. Un véhicule en feu et rempli d’engins explosifs lancé en direction de l’habitation, puis des mortiers tirés contre l’épouse et les deux enfants de l’édile dans leur fuite: l’agression délibérée pour porter atteinte à la vie humaine provoque une vive émotion à travers toute la France. D’autant que Vincent Jeanbrun n’est pas le seul élu à avoir été pris pour cible, en l’occurrence à travers sa famille, et que de nombreux bâtiments de l’Etat ont aussi été saccagés.
Une telle focalisation inclinerait à penser qu’elle est sous-tendue par un mobile politique. A visée anarchiste, séparatiste, mafieuse? L’établir avec certitude ne peut résulter que d’enquêtes longues et approfondies. On sait en effet que la défiance envers le personnel politique s’est déjà traduite en France par des violences dans la foulée du mouvement des gilets jaunes. Une tendance lourde semble s’installer.
Enfermés dans leurs certitudes
En attendant, un constat s’impose. Les violences urbaines ont ruiné le crédit que les jeunes des banlieues avaient pu engranger par la légitime mise en cause de la stratégie de la police et des pratiques de certains policiers, remises en exergue par le décès de Nahel M.. Elles ont redonné du grain à moudre à la «droite de l’extrême droite» (Eric Zemmour, le syndicat Alliance Police nationale, auteur d’un communiqué nauséabond, finalement rétracté) pour propager ses idées xénophobes, et à l’extrême droite (le Rassemblement national plus «responsable») pour faire pression sur l’exécutif en matière sécuritaire et migratoire.
Le 4 juillet, Emmanuel Macron a annoncé le projet d’une «loi d’urgence» pour accélérer la reconstruction des édifices endommagés. Mais au-delà de cet enjeu matériel, c’est aux causes de la discrimination des jeunes par la police et de la haine des jeunes envers les policiers que devrait s’atteler le président français, peut-être aidé cette fois-ci par le «en même temps», sous peine de laisser les uns et les autres dans leurs certitudes. D’un côté, la conviction bien ancrée d’un policier qu’«on est tout ce qu’ils détestent», de l’autre, celle tout aussi intégrée, que «c’est toujours pour les mêmes qu’être en tort conduit à la mort», exprimée par le footballeur Mike Maignan en soutien aux jeunes des quartiers.
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