Mondial au Qatar : la politique ou le sport ?
Aux critiques sur la tenue de la Coupe du monde de football dans l’émirat, s’ajoute un contexte de rivalités régionales et de tensions en Iran. Les Qataris sont pris au piège de leur stratégie de communication.
Mondial atypique. Mondial politique? La Coupe du monde de football qui s’ouvre le 20 novembre à Doha, au Qatar, restera dans l’histoire comme le tournoi le plus contesté organisé par la Fédération internationale de football association (Fifa) depuis la première édition en 1930, en Uruguay. La politique, jamais tout à fait absente des compétitions sportives de cette ampleur malgré les prétentions angéliques des hauts dirigeants du sport, s’est largement invitée au programme du 22e Mondial en raison des conditions d’attribution de l’événement, empreintes de forts soupçons de corruption, de la nature du régime peu respectueux des droits humains du pays hôte, et des violations du droit social subies par les ouvriers, étrangers, affectés à la construction des nouvelles infrastructures requises (Le Vif du 10 novembre). Elle s’immiscera sans doute dans la compétition elle-même, à travers des manifestations de soutien aux familles de victimes ou dénonçant l’intolérance des autorités. Cette Coupe du monde sera marquée aussi par l’exclusion de l’organisateur de sa dernière édition en 2018, la Russie, pour cause d’invasion de l’Ukraine, et par la présence des trois pays hôtes de sa prochaine édition en 2026, le Canada, les Etats-Unis et le Mexique.
Pour l’émir Tamim bin Hamad al-Thani, la tenue du Mondial 2022 au Qatar est à la fois la suite logique d’une politique et une forme de consécration. Il y a une vingtaine d’années que l’émirat, pour diversifier ses activités au-delà de la production de gaz dont il est un des principaux acteurs, a investi dans l’industrie du sport. «La place du sport est très importante dans la stratégie de développement du Qatar. On l’a encore constaté dans le plan pour 2018-2022», souligne Jonathan Piron, historien, chercheur associé au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip) et auteur de Qatar, le pays des possédants (1). Trois objectifs sont officiellement poursuivis. «Le Qatar veut être présent sur le marché international parce que le sport est considéré comme une manne financière grâce à laquelle il peut se différencier des autres Etats de la région. Acheter des clubs à l’étranger, héberger des compétitions internationales et créer des centres d’excellence sur son sol doit ensuite permettre au Qatar d’améliorer son image de marque. Enfin, la politique sportive de l’émirat vise à assurer un meilleur état de santé des habitants au sein d’une population qui s’est assez rapidement occidentalisée avec toutes les conséquences que cette évolution peut entraîner, notamment en matière d’obésité.»
La résistance à l’embargo
La stratégie d’investissement dans les événements sportifs n’est limitée ni au seul football ni au seul coup d’éclat du Mondial 2022. Avant, l’émirat a accueilli un tournoi de tennis international, un tour cycliste du Qatar, un grand prix automobile, les championnats du monde d’athlétisme. Après, il doit abriter les Jeux asiatiques d’été de 2030 et est candidat à l’organisation des jeux olympiques en 2036. Le ciel qatari n’a pas de limite. Il reste que la tenue cette année de la Coupe du monde de football a une saveur particulière pour Tamim al-Thani.
Entre juin 2017 et janvier 2021, la péninsule a subi un embargo imposé par l’Arabie saoudite, son puissant voisin, par les Emirats arabes unis et par le Bahreïn. Ces pays lui reprochaient son soutien aux Frères musulmans, mouvement islamiste très actif dans les révoltes du «printemps arabe» de Tunisie et d’Egypte, et sa proximité avec l’Iran, grand rival de l’Arabie saoudite. Grâce à quelques alliés, dont la Turquie, et à ses moyens financiers, qui autorisent certaines audaces, le Qatar a pu poursuivre ses projets, dont celui de la Coupe du monde, et a si bien résisté à l’embargo que ses adversaires ont fini par se résoudre à le lever le 5 janvier 2021.
La révolte en Iran
Les tensions sont loin d’être complètement évacuées, notamment avec l’Arabie saoudite du prince héritier Mohammed ben Salmane. Mais, à tout le moins, le Qatar n’est plus isolé dans la région. Avec la présence concomitante de l’Arabie saoudite et de l’Iran, ce Mondial sous le sceau de la rivalité entre puissances du Golfe pourrait même théoriquement donner lieu à un Arabie saoudite-Qatar en quart de finale ou à un Iran-Arabie saoudite en finale. Ces affiches n’auront pas lieu.
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Il sera en revanche intéressant de scruter l’attitude du onze iranien, autre dimension politique de cette Coupe du monde. Les joueurs de l’équipe nationale ont exprimé, lors des derniers matches de préparation, leur soutien au combat des femmes et de la jeunesse pour plus de libertés à la suite du meurtre de Mahsa Amini après son arrestation pour «port de vêtements inappropriés», le 16 septembre dernier. Le Qatar, ami de l’Iran, et la Fifa, rétive jusqu’à l’absurde à toute expression politique, les laisseront-ils exprimer publiquement leur empathie? Le plus en pointe de ce combat, l’attaquant Sardar Azmoun, a en tout cas été sélectionné par l’entraîneur, brésilien, Carlos Queiroz, au terme, possiblement, d’un bras de fer avec les autorités de Téhéran.
L’exemplarité perdue
On l’a vu, la dimension de la communication est très forte dans le positionnement du Qatar sur la scène sportive internationale. Et si l’on observe le bilan, encore parcellaire, de l’opération Mondial pour Doha, on peut sérieusement se demander si l’émirat n’en sortira pas définitivement perdant.
«Dans leurs dernières déclarations, les autorités qataries continuent à valoriser la tenue de la Coupe du monde dans leur pays. D’autant qu’elle n’est pas une fin en soi, mais une étape en vue d’autres candidatures, notamment celle pour les JO de 2036, souligne Jonathan Piron. Elles expriment aussi une incompréhension par rapport aux critiques en provenance d’Europe. Elles parlent même d’islamophobie, mettant en évidence que d’autres organisations n’ont pas subi par le passé le même niveau de récriminations. Il s’agit là d’éléments de discours que l’on peut questionner. La Chine, lors des derniers JO d’hiver, ou la Russie, au moment du Mondial 2018, ont aussi essuyé leur flot de critiques. On est plutôt dans une situation où le Qatar se trouve pris à son propre jeu. Il a voulu ce Mondial pour braquer les projecteurs sur lui, mais en oubliant de prendre en compte que ces projecteurs allaient mettre en lumière des aspects de la société sur lesquels il n’était pas prêt à communiquer. L’un des premiers leitmotiv de l’émirat après avoir hérité de l’organisation du Mondial était de dire « Vous serez fiers de nous ». Il y avait la volonté de se montrer exemplaire dans la gestion de cette Coupe du monde, ce que finalement le Qatar n’est pas.»
«La Coupe du monde au Qatar aurait dû être l’aboutissement final et somptueux d’une grande compétition populaire transformée en Disneyland sportif au service de la propagande d’un Etat. Le contexte (géo)politique et l’évolution du football rendent impossible et inaudible ce conte de fées», complète le collaborateur du magazine So Foot, Nicolas Kssis-Martov, dans Qatar, le Mondial de la honte (2).
Le péché d’arrogance
Cette sanction sous forme de boomerang découle du péché d’arrogance que l’on prête souvent au Qatar, à l’image de sa chaîne de télévision Al-Jazeera, qui a certes révolutionné positivement le paysage médiatique arabe en donnant la parole aux opposants des régimes en place, mais a perdu du crédit en s’interdisant de critiquer le pouvoir qatari et ses alliés, notamment les très controversés Frères musulmans. Cette attitude reflète aussi la menace existentielle que les Qataris ressentent face à leur grand voisin saoudien. «L’idée, à travers le sport, de dégager une image positive à l’étranger et d’attirer des grandes compétitions assoit aussi la légitimité de l’émirat et assure son indépendance alors qu’il est quasi en situation d’insécurité structurelle liée à son histoire et à sa rivalité avec l’Arabie saoudite», décrypte le chercheur du Grip Jonathan Piron.
Pourtant, sur la démocratisation, bien que les avancées annoncées ne soient souvent que de façade, ou sur la condition des travailleurs, en partie grâce à l’attention portée à l’occasion de ce Mondial, le Qatar n’est pas le moins bien loti des pays du Golfe, dont les standards sont, il est vrai, très bas. D’où l’importance du travail qui sera mené au-delà de la finale du 18 décembre. Jonathan Piron en donne pour exemple les membres de la communauté LGBTQI+ au Qatar qui sont demandeurs que l’on parle de leur situation pourvu que ceux qui s’y intéressent aujourd’hui continuent à le faire une fois que les lampions de la fête amère du football seront éteints.
Le contexte
Le 20 novembre à 17 heures, le match entre le Qatar et l’Equateur lancera la Coupe du monde de football 2022, une compétition rassemblant 32 équipes nationales, comptant 64 matches et se terminant par la finale le 18 décembre. Ce 22e Mondial déroge à la tradition d’une organisation en été en raison de la localisation du pays hôte, le Qatar, où les températures en juin-juillet flirtent avec les 50 degrés. A cette aberration environnementale s’ajoutent, dans la critique de ce choix, les conditions de travail des ouvriers asiatiques et africains employés pour la construction des infrastructures, qui auraient causé la mort de 6 500 d’entre eux, et le bilan en matière de défense des droits humains d’un Etat autoritaire.
Le crépuscule de la génération dorée
La Belgique a beau avoir le meilleur gardien de but au monde (Thibaut Courtois) et le meilleur milieu de terrain offensif au monde (Kevin De Bruyne), elle ne figure pas parmi les équipes favorites du Mondial 2022. En cause, les joueurs blessés (Romelu Lukaku), inutilisé (Eden Hazard) ou un peu usés (Jan Vertonghen, Toby Alderweireld, Dries Mertens). Et une dépréciation globale de l’effectif. Lors de la Coupe du monde de 2018 en Russie, sur 23 joueurs de l’équipe nationale, onze évoluaient en Angleterre, trois en Allemagne… et un en Belgique. Cette année, sept jouent en Premier League et pas moins de cinq dans le championnat belge qui, hormis du côté de Bruges, n’a pas follement gagné en qualité depuis quatre ans. Résultat: une défense et une attaque qui posent question.
Le Brésil, l’Argentine, le Portugal et la France peuvent, en revanche, revendiquer le statut de favoris. La coupe de la Fifa repartira-t-elle, pour la première fois depuis 2002 et la victoire du Brésil de Ronaldo, vers l’Amérique du Sud? Réponse le 18 décembre.
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