Minerais du Kivu: l’or maudit de Luhihi (reportage)
Un petit village du Sud-Kivu a connu, en 2020, une véritable ruée vers l’or. Avec tous les dommages collatéraux que cela engendre. Dans un pays où l’immense majorité de l’or artisanal est exporté illégalement et où le précieux minerai sert toujours à financer les groupes armés.
Les images ont fait le tour de la République démocratique du Congo (RDC). Des centaines de personnes agglutinées, pieds dans la boue, pelle à la main, sur une colline proche du lac Kivu, occupées à creuser fiévreusement la terre ocre et l’engouffrer dans des sacs en toile brunis. C’était en février 2021 et Luhihi, petite bourgade située à vingt-cinq kilomètres au nord de Bukavu, capitale du Sud-Kivu, connaissait une véritable ruée vers l’or.
En mai 2020, des agriculteurs du coin (ou, selon d’autres versions, un berger) avaient découvert de l’or dans un ravin au flanc d’une colline. Le ministère provincial des Mines avait confirmé la présence du précieux minerai. Des creuseurs ont accouru des quatre coins de la province. Ils se sont emparés de la colline, l’ont déboisée, ont creusé de profonds trous, sécurisés par des encadrements de bois. Au début, la colline « donnait ».
Épidémie de choléra
Une petite cité faite de bâches bleues et de maisons en bois a surgi de terre. Avec ses « hôtels » de fortune pour négociants en or, ses bars, sa prostitution, mineures comprises. Des enfants se sont mis à ramasser la terre, en quête de poussières d’or qu’auraient pu laisser les adultes après avoir lavé leurs minerais. Les négociants truquaient les balances, achetaient et partaient revendre dans les comptoirs de Bukavu. Alors que trois mille creuseurs avaient déjà gagné le site, une épidémie de choléra se déclencha, causée par le manque d’eau et la promiscuité. Comme souvent, les autorités réagirent avec un temps de retard. Mais bientôt, officiels, militaires, chefs coutumiers, notables, débarquèrent sur le site, et chacun y chercha son intérêt.
Certains pensent très sérieusement qu’un sort a été jeté à la colline.
Des coopératives furent mises en place, comme la loi l’exige pour le secteur minier artisanal. Avec, à leur tête, des élites économiques locales, et un modèle pas vraiment coopératif, comme souvent en RDC. En mars 2021, la présence des policiers et des militaires créa tellement de troubles que le gouverneur du Sud-Kivu dut suspendre les activités minières quelque temps.
Histoire de sorcière
Aujourd’hui, les agents du Saemape, le Service d’encadrement des mines artisanales, plantent des arbres pour reboiser la colline, transformée en un véritable gruyère où les galeries menacent de s’effondrer. La ruée vers l’or, elle, semble déjà finie. En septembre dernier, l’euphorie des débuts avait laissé place à une atmosphère plombée, que seuls l’alcool et la musique des night-clubs pouvaient égayer. Des creuseurs s’esquintaient dans les puits mais la division des mines du Sud-Kivu commençait à se poser des questions sur la richesse réelle du site. Le capitaine de la police des mines, en charge de sécuriser le site, recevait les visiteurs chez lui, dans une maison en terre et en bois. Son poste de police avait été brûlé par des creuseurs et des riverains. Son récit semblait incroyable. Un soir, une femme, prise de démence, errait sur le site. Le capitaine raconte que des creuseurs et des villageois l’ont prise à partie. Etait-elle une sorcière qui aurait pu jeter un sort à cette mine qui ne « donnait » plus? Ils étaient sur le point de la brûler vive quand la police intervint, sauva et exfiltra la femme vers Bukavu. Pour se venger, la foule en colère incendia le poste de police.
Hermès Nzana Namwanda est avocat et président du comité exécutif de la coopérative minière de Luhihi (Comilu). Aujourd’hui, il pense très sérieusement, comme d’autres, qu’un sort a été jeté à la colline. Quand nous l’avons rencontré, il cherchait un sorcier pour « débloquer » la mine.
Une ONG, Global Communities, a tenté de mettre en place un système de traçabilité à Luhihi. Le site a été retenu comme candidat pour le programme Zahabu Safi (or propre, en swahili), financé par l’aide au développement américaine, qui veut garantir de l’export d’or « sans conflit » sur le marché international. La société allemande RCS Global et son programme Better Mining sont sous contrat avec Global Communities pour offrir ses services de mise en place de « devoir de vigilance ». Un porte-parole de RCS Global explique qu' »aucune exportation responsable d’or n’a lieu depuis les mines de Luhihi pour le moment ».
Attrait et impunité
L’or est le minerai qui occupe le plus de creuseurs à l’est de la RDC. L’International Peace Information Service (Ipis), basé à Anvers et spécialisé en enjeux miniers, y a recensé 1 800 mines d’or et 220 000 creuseurs impliqués. C’est une activité dangereuse. En septembre 2020, un éboulement dans un puits minier à Kamituga, au Sud-Kivu, a causé la disparition d’au moins cinquante creuseurs. L’absence d’oxygène dans les puits entraîne des asphyxies parfois mortelles. Pour séparer l’or de la roche, les creuseurs utilisent du mercure. Dangereux pour eux, il pollue aussi les rivières où il est rejeté.
Une pépite d’or se cache facilement, ce qui rend la traçabilité compliquée. Actuellement, on estime que 90 à 98% de la production d’or congolais artisanal est exportée illégalement. Selon l’Institut fédéral allemand pour les géosciences et les ressources naturelles, quatorze à vingt tonnes d’or artisanal sont produites chaque année au Congo pour une valeur de 543 à 812 millions de dollars (un dixième du budget de l’Etat environ). En 2020, le ministère des Mines ne déclarait pourtant avoir exporté que quarante-six kilos d’or artisanal. En 2018, trois cents kilos d’or par mois quittaient Bukavu de façon illégale, selon le Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC. Les noms des trafiquants sont souvent connus, mais l’impunité caractérise le secteur. Les routes passent par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, dont les autorités frontalières ferment souvent les yeux sur le trafic, avant de rejoindre en bonne partie Dubaï où, mélangés à d’autres exportations, on en perd la trace.
L’or est le minerai qui occupe le plus de creuseurs à l’est de la RDC. Ils seraient 220 000, dans 1 800 mines.
Motiver les acteurs
L’ or demeure aussi une source de financement importante pour plusieurs groupes armés. A chacun de ses rapports, le groupe d’experts de l’ONU en épingle certains (Codeco en Ituri, Maï-Maï Yakutumba au Sud-Kivu, NDC-Rénové au Nord-Kivu, par exemple) qui bénéficient de l’or, soit en s’imposant sur les sites, soit par la taxation illégale sur les routes.
Tout est-il donc entièrement pourri au royaume de l’or congolais? Entre 2017 et 2020, le projet Just Gold de l’ONG Impact a réussi à produire et exporter vingt-quatre kilos d’or dans le respect de la loi et sans intervention armée en Ituri. « Mais il y a encore beaucoup d’obstacles pour s’assurer que c’est durable et commercialement viable de produire et vendre de l’or ainsi, estime Joanne Lebert, directrice générale d’Impact. Les taxes et les coûts de transport sont importants en RDC, alors les prix dépassent ce que l’industrie de l’or est prête à payer. » Cela facilite évidemment le recours au marché illégal. Pour Joanne Lebert, le défi de la traçabilité ne réside pas dans les outils mais bien dans la motivation des acteurs congolais, creuseurs et négociants au premier chef. « S’ils font moins d’argent avec un système comme le nôtre par rapport au trafic illicite, qu’est-ce qui peut les motiver à utiliser ce type de technologie après la phase pilote, qui est généralement fortement subsidiée? »
Par Quentin Noirfalisse, au Sud-Kivu, avec Julien Cigolo Muzusangabo
Avec le soutien du Fonds pour le Journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Les limites du règlement européen
Sept ans après les Etats-Unis, l’Union européenne s’est dotée, en 2017, d’un Règlement sur les minerais de conflit, qui n’est entré en vigueur qu’en 2021. Concrètement, il oblige les importateurs de tantale, tungstène, étain et or (les minerais dits « de conflit », que ce soit sous la forme de minerais, de concentrés ou de métaux transformés) de veiller à ce que ceux-ci « proviennent exclusivement de sources responsables et ne soient pas issus de conflits » (lire aussi en page 30).
Marie Arena, eurodéputée pour le groupe socialiste, ne croit pas « que cette législation, telle qu’elle existe aujourd’hui, changera quelque chose. Notamment parce qu’il n’y a pas de mécanisme de sanction et que, jusqu’ici, aucun pays n’a mis en place des mesures pour aller voir si les fonderies et affineries respectent le devoir de diligence. »
Le règlement ne prévoit, en effet, que des mesures correctives et n’oblige pas les pays à diffuser la liste des importateurs. Difficile, dès lors, pour des journalistes ou des ONG de vérifier si ceux-ci remplissent leurs obligations. De plus, il existe un palier sous lequel les importations ne doivent pas être déclarées. Un importateur peut, par exemple, importer pour cinq millions d’euros d’or d’un pays à risque sans devoir opérer de « due diligence », selon Ipis. La Belgique est à la traîne pour adapter le Règlement dans sa loi nationale. Une proposition doit être introduite auprès du Parlement en ce mois de janvier 2022.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici