Migration : le sommet européen s’annonce décevant
Les dirigeants des pays membres de l’Union européenne se réunissent jeudi à Bruxelles pendant deux jours lors du sommet européen pour aborder le conflit en Ukraine, l’économie et la migration. Quelles avancées peuvent émerger au niveau de la politique migratoire européenne ? Pas grand chose, d’après Phillipe De Bruycker, professeur et chercheur en droit à l’asile et l’immigration à l’ULB.
D’après Philippe De Bruycker, professeur et chercheur en droit à l’asile et l’immigration à l’ULB : « Le Conseil européen revient à la question migratoire alors qu’il s’en était complètement désintéressé ces dernières années, mis à part pour l’accueil des Ukrainiens. » Pourquoi remettre l’accent sur la migration lors du sommet européen ? « L’explication officielle, c’est l’augmentation des flux migratoires illégaux de migrants vers l’Europe »
D’après Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et garde-côtes, il y a eu 330.000 arrivées illégales sur le territoire européen en 2022. Une augmentation de 64% par rapport à 2021, année marquée par la crise sanitaire. Pour le professeur de l’ULB, « il n’y a pas un afflux énorme de demandeurs d’asile et de migrants irréguliers vers l’Europe. On peut aussi comparer ces chiffres avec les millions d’Ukrainiens accueillis qui ne posent aucun problème». En 2022, l’Union européenne a accueilli 4,7 millions de ressortissants et ressortissantes d’Ukraine.
Renforcer les contrôles aux frontières
Sur la table des négociations pour le sommet européen : des mesures pour mieux contrôler les frontières européennes afin de freiner l’immigration illégale. Les dirigeantes et dirigeants européens discuteront notamment des mesures déjà signées par le Conseil : le règlement de filtrage et de révision de l’Eurodac, la base de données répertoriant les empreintes digitales des demandeurs et demandeuses d’asile dans l’Union européenne. Cette révision prévoit notamment la prise et le stockage des données biométriques de tous les migrants. Leur objectif serait d’enregistrer toutes les personnes franchissant la frontière européenne, illégalement ou non. « Souhaiter que tous les migrants entrants soient enregistrés dans l’Eurodac, c’est un vœu. C’est impossible d’imaginer que plus personne ne puisse entrer clandestinement dans l’Union européenne », critique De Bruycker.
Revoir la politique des retours
Une autre mesure au programme de ce sommet : renforcer les retours des migrants irréguliers, ou ayant reçu un ordre de quitter le territoire, vers leur pays d’origine. « Les pays tiers sont censés juridiquement reprendre leurs ressortissants mais certains ne le font pas, ou trainent à le faire. Ça pose problème : s’ils ne donnent pas un titre de réadmission rapidement, l’UE est obligée de libérer les détenus. Il y a des délais maximaux pour la détention en droit européen, par principe, c’est six mois. »
L’Union européenne dispose de mécanismes juridiques pouvant pousser les pays tiers à collaborer dans la lutte contre l’immigration illégale, notamment pour les encourager à reprendre leurs ressortissants et ressortissantes. Des avantages commerciaux pourraient être refusés aux états tiers qui traineraient des pieds pour la réadmission.
En terme d’échange commerciaux, cette pratique n’a encore jamais eu lieu. Par contre, au niveau des visas, c’est le cas, explique Philipe De Bruycker : « Rendre l’octroi de visas de court séjour plus difficile a récemment été utilisé contre la Gambie. Cette pratique n’en est qu’à ses débuts mais d’autres pays pourraient être concernés. » Cette expansion sera discutée lors du sommet européen.
Sommet européen : où en est le nouveau pacte sur la migration?
Ce qui est au cœur des désaccords, c’est le plus urgent : le nouveau pacte européen sur la migration et l’asile qui prévoit un principe de relocalisation. C’est-à-dire, la redistribution des demandeurs et demandeuses d’asile entre les États membres pour soulager les pays de première ligne. Le règlement de Dublin prévoit que le pays responsable d’une demande d’asile est le premier État membre où elle est enregistrée. « Ce qui signifie que les pays de première ligne comme l’Italie, la Grèce, la Chypre, Malte et même l’Espagne se rendent responsables du traitement des demandes d’asile. Ils sont mal localisés, aux frontière sud de l’UE, c’est la seule raison. » Le règlement de Dublin est inégalitaire. La saga de l’Ocean Viking a remis la question sous les feux des projecteurs. L’Italie avait refusé que ce bâteau humanitaire accoste sur son territoire, la France a finalement accueilli les passagers et passagères.
Les pays du sud ont donc une charge migratoire plus élevée. En contrepartie, ils attendent plus de solidarité de la part des autres pays membres, notamment en ce qui concerne la relocalisation. Philippe De Bruycker analyse que « les pays du nord ne sont pas nécessairement contre plus de solidarité. Le problème, ce sont les pays de l’Europe centrale et orientale qui sont complétement opposés à ces relocalisations. »
Cet équilibre entre responsabilité et solidarité est au cœur des désaccords entre les États membres. A priori, le sommet n’apportera pas de réponse à ce casse-tête pourtant central à la gestion de la migration : le Conseil européen n’est pas capable de se mettre d’accord. « On tourne en rond avec cette histoire depuis des années », déplore le professeur.
Les leaders européens ont déjà essayé de rendre les relocalisations obligatoires. En 2016, cette mesure avait été votée par une majorité qualifiée, mais les pays d’Europe centrale et de l’est ne l’ont pas appliquée. Ils ont été condamnés par la Cour de justice de l’Union européenne. « Le vote à la majorité qualifiée ne mène nulle part donc ils essaient de trouver une solution par consensus. »
Et la solidarité sur base volontaire ? Pour Phillipe De Bruycker, ça ne fonctionne pas non plus. « En juin, la présidence française a fait adopter par 18 États membres sur 27, un modus operandi dont le but était de convaincre les États membres à faire des relocalisations volontaires. Mais aucune relocalisation n’a eu lieu. »
Un vote attendu pour le nouveau pacte sur l’asile et la migration
« Un accord a été signé entre les colégislateurs (le Conseil et le Parlement) pour adopter le pacte avant les prochaines élections européennes, en juin 2024. » Pour Philippe De Bruycker, compte tenu du travail législatif colossal, la faisabilité de cet objectif n’est pas garantie. Les mesures approuvées par le Conseil européen pour contrer l’immigration illégale pourraient tomber à l’eau si les 27 n’avancent pas sur le nouveau pacte européen sur la migration et l’asile. Phillipe De Bruycker confirme l’urgence : « Les États de première ligne prennent bien soin de dire qu’ils marquent leur accord politique sur ce texte à la condition qu’un accord sur la solidarité soit trouvé. Si tout le pacte n’est pas adopté, rien ne sera adopté. »
Zoé Leclercq
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