François De Smet
Menace nucléaire: c’est le moment de… (re)voir « Dr. Strangelove » de Kubrick
Quelles meilleures circonstances qu’une crispation diplomatique avec menace d’apocalypse nucléaire pour découvrir ou redécouvrir Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb, le chef-d’oeuvre de Stanley Kubrick sorti en 1964 ?
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Dans ce Docteur Folamour, le monde se trouve à l’aune d’une catastrophe majeure, causée par l’enchaînement d’une attaque improvisée par un commandant américain vers les objectifs stratégiques soviétiques, et d’une riposte automatique sous la forme d’une » machine infernale » inventée par les Russes. Les Américains sont piégés par le coup de folie d’un des leurs, les Russes par l’automaticité de leur riposte, conçue comme dissuasion absolue. La grande partie de l’action se déroule dans le bunker souterrain de la Maison-Blanche, où se succèdent dialogues pathétiques et surréalistes, montrant le pouvoir se décomposer face à la crue rationalité des faits. Farce cruelle sur les dégâts de l’incompétence au pouvoir et sur le caractère absurde de la dissuasion nucléaire, alors que la crise de la baie des Cochons est encore fraîche, Dr. Strangelove, du nom du conseiller scientifique US récupéré auprès des nazis, reste d’une effarante actualité.
Aujourd’hui, une crise diplomatique par contraction agite le Pacifique. Ici encore, le burlesque et la terreur jouent au tango. Alignant les provocations, le leader nord-coréen Kim Jong-un joue avec les nerfs des diplomates et militaires des pays voisins et des Etats-Unis. Si le spectre d’un conflit armé dégénérant en guerre atomique subsiste en arrière-plan, il s’agit avant tout d’un décor de théâtre. La dissuasion nucléaire cadre les relations internationales depuis septante ans : sachant qu’attaquer l’autre revient à s’autodétruire, personne n’attaque le premier. Le philosophe Hans Jonas avait conçu à ce sujet, dans son ouvrage Le Principe responsabilité (1979), le concept d’heuristique de la peur. Les êtres humains sont hélas ainsi : ils ont besoin de craindre pour véritablement réfléchir. La division finalement très artificielle, comme nous l’enseignent les neurosciences, entre émotion et raison trouve ici un cas d’application pratique.
Hélas, dans un monde où les lignes bougent, l’imprévisibilité des acteurs en présence peut bousculer les codes (nucléaires). Les profils psychologiques du » grand soleil du xxie siècle » Kim Jong-un, auquel on attribue l’exécution de membres de sa famille à coups de missiles balistiques, et celui de Donald Trump, dont la principale initiative militaire a été jusqu’ici l’envoi d’un missile sur le régime syrien en réaction à des images d’enfants gazés, tel un tweet impulsif, peuvent faire craindre la possibilité d’un accident. Dans un climat où les entourages de ces dirigeants sont perclus de fébrilité, est-il vraiment impossible qu’un doigt impulsif appuie sur le mauvais bouton ? La rationalité de la peur pourrait-elle se trouver, dans un jeu fou de dominos, grippée par la peur de la rationalité ?
Revoir Dr. Strangelove aujourd’hui, c’est toujours rire, certes, mais rire un peu plus jaune. Car l’incompétence des diplomates et généraux s’agitant autour de cette table ovale du bunker de commandement américain ressemblant furieusement à un gigantesque champignon, nous montre des scènes que la réalité rend de plus en plus crédibles. De quoi bientôt classer la farce burlesque de Kubrick dans la catégorie » documentaires « .
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