Thierry Bellefroid
Menace nord-coréenne : Cher Pierre Sabbagh,…
Vous devez vous demander pourquoi je vous tire du grand silence cathodique dans lequel vous êtes plongé depuis 1994. Récemment, en regardant les actualités nord-coréennes, j’ai eu une petite pensée pour vous.
Mais comme je sais que la télévision produit plus d’amnésie que de mémoire, vous ne m’en voudrez pas de rappeler en quelques lignes vos faits d’armes à ceux qui lisent cette lettre par-dessus mon épaule.
29 juin 1949, vous décollez de Paris à bord d’une montgolfière en compagnie de deux autres journalistes et d’un cameraman. Ce n’est pas le premier vol » filmé » de l’histoire. Loin de là. Mais c’est, en l’occurrence, le premier sujet du premier JT de l’histoire de la télévision française, dont on vous a confié la responsabilité. Ce soir-là, il ouvrira pour la première fois ce qu’on appellera plus tard » la grand-messe du 20 heures « , si ce n’est qu’en ce 29 juin 1949, la grand-messe en question a lieu à 21 heures, qu’elle ne dure que quinze minutes et qu’il n’y a pas de prêtre devant la caméra – vous n’inventerez l’homme-tronc qu’en 1954. Pour ce premier reportage, vous n’avez pas choisi de scruter les dépêches d’agences via le télex pour vous rendre sur le lieu de l’actualité la plus brûlante. Non, l’actu, c’est vous qui allez la faire, cher Pierre Sabbagh. Thème de votre sujet d’ouverture : partons en ballon de Paris et filmons la région parisienne lors d’un vol de quelques heures, il en sortira bien quelque chose.
Quarante kilomètres et quel-ques bobines de film plus tard, le » quelque chose » en question se présente : un courant d’air froid rabat soudainement votre nacelle vers le sol. Vous lâchez du lest, mais cela ne vous empêche pas de vous écraser en plein champ et de vous fracasser contre le seul pommier du lieu. Choc. Nacelle brisée. Contusions. Votre cameraman, Michel Wakhevitch, ne lâche pas son matériel ; il immortalise toute la scène. Il tourne même la suite, un incendie qui se propage alentour. Des hurlements retentissent – le film n’en a pas gardé la trace, il est muet. Le feu menace une ligne à haute tension. On coupe l’électricité dans toute la région. Les trains sont arrêtés. C’est ce qu’on appelle une bonne info d’ouverture ! Vous avez réussi votre pari.
J’ai donc pensé à vous, disais-je, en voyant les actualités nord-coréennes, il y a peu. Oui, j’aime bien regarder le JT nord-coréen de temps en temps : il y a toujours une info dont on n’a pas parlé chez nous, allez savoir pourquoi. Ce jour-là, je me retrouve devant une présentatrice en habit traditionnel rose et noir, un brin fripée. Je me dis : » Tiens, le jeunisme semble ne pas avoir cours à la télévision nord-coréenne. Faudrait-il que j’aille leur proposer une émission littéraire ? » Puis, je tends une oreille à ce que dit cette présentatrice, qui répond au doux nom de Ri Chun-hee. Et qu’ouïs-je ? Qu’elle se félicite de la réussite de l’essai d’une bombe H !
Alors là, mon cher Pierre Sabbagh, permettez-moi de dire que vous faites pâle figure ! Ri Chun-hee, pour marquer les esprits, ne se contente pas de mettre le feu aux lignes à haute tension ! D’autant que j’ai appris depuis que cette présentatrice était retraitée. Elle ne vient de temps à autre à la télévision coréenne que pour » annoncer les bonnes nouvelles « . Ah ben, dites donc, qu’est-ce que ce sera quand elle en aura de mauvaises…
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