Menace israélienne sur Rafah : «S’ils ne font rien, les Occidentaux seront complices du massacre»
Pour le spécialiste de la médecine de guerre Raphaël Pitti, de retour de la bande de Gaza, on assiste à un scandale humanitaire sur le plan du droit international.
Médecin anesthésiste-réanimateur, Raphaël Pitti est spécialisé en médecine de guerre. Il a œuvré en Syrie et en Ukraine. Une expérience dont il a tiré le livre Va où l’humanité te porte. Un médecin dans la guerre (Tallandier, 2018). Il revient d’un séjour dans la bande de Gaza où il a travaillé à l’hôpital européen de Khan Younès, deuxième grande ville ciblée par l’offensive israélienne après Gaza City. Son témoignage est éloquent sur ses ravages et sur ce qu’elle pourrait avoir comme effet si elle s’étendait à Rafah.
Quelles pourraient être les conséquences d’une offensive de l’armée israélienne à Rafah?
Il y a une telle densité de population dans cette ville. Beaucoup de gens dorment dehors sous des abris qu’ils se sont eux-mêmes fabriqués. Chaque fois que vous faites exploser une bombe, vous massacrez une partie de la population présente. C’est un scandale humanitaire sur le plan du droit international. Il faudrait qu’il y ait un cessez-le-feu immédiat pour assurer la prise en charge de ces populations. Venir chercher les combattants du Hamas au milieu de 1,4 million de personnes, c’est impossible à imaginer, si ce n’est au prix du massacre de toute une partie de la population.
Comment analyser cette stratégie d’Israël?
On ne la comprend pas. Après quatre mois de guerre, le Hamas est toujours présent et les otages n’ont toujours pas été libérés. Je considère qu’il y a une forme d’échec de la stratégie du gouvernement israélien et qu’encore une fois, les Palestiniens en paient le prix. La question se pose d’une espèce de fuite en avant des dirigeants israéliens qui auraient perdu le sens des réalités.
Y a-t-il un espoir que l’aide humanitaire soit davantage acheminée vers Gaza?
Non. Les Israéliens bloquent tout. Ils ne respectent même pas la résolution de l’ONU qui leur enjoint d’assurer un ravitaillement massif de cette zone de Rafah. Cette population est affamée et, en même temps, on la conduit à une sorte de déshumanisation. Il y a pire que de tuer quelqu’un, c’est de lui enlever la dignité. C’est bien cela qui est en train de se passer. Il faut interpeller les gouvernements occidentaux afin qu’ils isolent Israël sur le plan international. Qu’ils rappellent au moins leur ambassadeur en consultation. Il n’est pas acceptable de laisser faire ce qui est en train de se produire, le massacre de cette population. A défaut, ils en seront complices.
Pour un certain nombre de patients avec des fractures ouvertes, on est souvent obligé d’amputer.» Raphaël Pitti, médecin anesthésiste-réanimateur.
Quel est l’état du système de santé dans la bande de Gaza?
Il s’est complètement écroulé. La majorité des hôpitaux ont été détruits ou ne sont plus opérationnels. Quand je suis allé à l’hôpital européen de Khan Younès, il était assiégé par les Israéliens qui ne laissaient ni entrer ni sortir les patients. Un million quatre cent mille personnes ont été déplacées dans le sud de la bande de Gaza et ont des besoins de prise en charge de santé primaire, c’est-à-dire des traitements de pathologies aiguës saisonnières ou de pathologies chroniques. Il n’y a aucun moyen pour pouvoir en assurer la prise en charge. L’hôpital européen est dans une situation de chaos. Vingt-cinq mille personnes vivent au plus près de l’hôpital en espérant ne pas être bombardées. Et on compte trois mille à quatre mille personnes à l’intérieur de l’hôpital, dans les couloirs, les escaliers… L’établissement est fait pour quatre cents lits et il y a neuf cents malades. Le service des urgences est surchargé par cette population qui requiert des soins pour ces pathologies aiguës saisonnières et chroniques. Une à trois fois par jour, y compris la nuit, des blessés arrivent à la suite de bombardements, de tirs de snipers, etc. Dans cet afflux de blessés et de malades, il faut trier et cela se fait au détriment des blessés les plus graves qu’on laisse mourir faute de moyens.
Ce tri est-il inévitable?
Il est inévitable. Et pire encore, ceux qu’on laisse mourir, on le fait sans les accompagner. Ils n’ont même pas de perfusion.
Que manque-t-il le plus au personnel soignant?
Il manque de tout. Quand je suis parti de Gaza, il n’y avait déjà plus de morphinique pour les anesthésies. On réalisait essentiellement des anesthésies locales quand c’était encore possible, ou des anesthésies à la kétamine en cas d’anesthésie générale. Il n’y avait plus de gazes anesthésiques. L’hôpital doit aussi faire face à des infections majeures. Avec la surpopulation et le manque d’eau, il est impossible de mettre en place des règles d’hygiène. Les malades arrivent sales au bloc opératoire. Tout s’infecte avec des germes multirésistants. Par conséquent, pour un certain nombre de patients avec des fractures ouvertes, sur lesquels on a posé des fixateurs externes, quand ils reviennent avec leur pansement sale faute d’eau, on est souvent obligé d’amputer.
Faut-il redouter l’apparition d’épidémies?
Il y a tout à craindre, effectivement. Dans Rafah, sont arrivés 1,4 million de déplacés. Ils vivent dans le moindre espace libre, ce qui en fait un énorme bidonville avec une énorme densité de population. Celle-ci est en permanence à la recherche d’eau, de nourriture… On peut en acheter, mais la plupart, partis dans l’urgence du nord ou du centre de la bande de Gaza, n’en ont pas les moyens. La ville n’est pas faite pour recevoir cette population. Il pleut régulièrement. Les évacuations sont bouchées. L’eau stagne partout. Les immondices ne sont pas traitées. Tous les éléments sont réunis pour que les rats pullulent rapidement.
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