Marioupol: baroud d’honneur des derniers combattants ukrainiens
Avec de moins en moins de munitions et de nourriture, et des conditions de vie extrêmes, les derniers combattants ukrainiens retranchés dans l’usine Azovstal luttent toujours au moment où l’armée russe resserre son emprise sur cette dernière poche de résistance à Marioupol (sud-est).
Les derniers combattants retranchés à Marioupol redoutent samedi un assaut final à la veille de la commémoration à Moscou de la victoire contre l’Allemagne nazie, au moment où les frappes russes s’intensifient sur l’Est de l’Ukraine avec soixante personnes portées disparues dans le bombardement d’une école. Ces personnes se réfugiaient dans la région de Lougansk dans l’est de l’Ukraine, a indiqué dimanche le gouverneur régional Serguiï Gaïdaï. Le village de « Bilogorivka a subi une frappe aérienne. Les bombes ont atteint l’école et, malheureusement, elle a été complètement détruite », a déclaré le gouverneur sur son compte Telegram.
L’immense aciérie Azovstal comme dernier refuge
Des détails sur la vie à l’intérieur et les combats en cours ont été donnés par Ievguenia Tytarenko, infirmière militaire, dont le mari, membre du régiment Azov, et ses collègues sont toujours dans l’usine. « De nombreux soldats se trouvent dans un état grave. Ils sont blessés et n’ont pas de médicaments », explique Ievguenia, qui a pu maintenir le contact avec ses proches à l’intérieur. « La nourriture et l’eau manquent aussi », dit-elle. « Je me battrai jusqu’au bout », lui a écrit son mari, Mykhaïlo, dans un SMS que l’AFP a pu consulter.
Depuis plusieurs semaines, Marioupol est presque entièrement sous contrôle des Russes. Seule lui échappe l’immense aciérie Azovstal que l’armée russe pilonne sans relâche, en plus d’attaques importantes au sol à l’origine de violents combats. « Les combattants ont déjà fait leurs adieux à leur femme. L’un d’entre eux a dit à sa femme: +Ne pleure pas, on rentrera à la maison quoiqu’il arrive: vivant ou mort+ », raconte Ievguenia, 34 ans.
Selon elle, la possibilité de les voir évacués est très mince. L’infirmière décrit une situation chaotique à l’intérieur des tunnels de l’usine, les soldats combattant tout en acheminant civils et cadavres à travers le dédale de galeries souterraines datant de l’époque soviétique. Les morts ont été emballés dans des sacs en plastique et pourrissent faute de systèmes de réfrigération.
Mais les membres du régiment Azov ne veulent surtout pas qu’ils tombent entre les mains des forces russes. « Presque partout, ils transportent des cadavres avec eux », explique-t-elle. « Ils méritent d’être évacués », ajoute-t-elle, « ceux qui sont vivant, les blessés et les morts ». Samedi, Kiev a annoncé que toutes les femmes civiles, tous les enfants et personnes âgées qui se terraient avec les soldats avaient été évacués, faisant naître des question sur le sort qui attend désormais les soldats.
Jambe amputée
Ievguenia a fui Marioupol dès le 24 février, le jour de l’invasion russe, alors que cette grande ville portuaire du sud se faisait déjà bombarder. Elle venait deux jours avant de se marier avec Mykhaïlo, lui aussi infirmier militaire, qui a poussé son épouse enceinte à quitter la ville dès les premiers combats.
Depuis, d’autres infirmiers ont construit un hôpital de fortune à l’intérieur du vaste complexe métallurgique Azovstal, après que les Russes eurent visé les hôpitaux de la ville, selon Daviti Suleimanachvili, un Géorgien membre du régiment Azov.
Ce bataillon a été créé en 2014 au début du conflit contre les prorusses du Donbass par des militants d’extrême droite avant d’être rapidement intégré à la Garde nationale. Daviti dit avoir été traité dans cet hôpital en mars après avoir été blessé par un tir de tank lors d’un combat de rue à Marioupol. Sa jambe gauche y a été amputée.
« C’est très dur de soigner dans ces conditions », dit-il à l’AFP par téléphone, décrivant sur place le manque d’installations sanitaires de base, d’équipement médical et de chauffage. Il a été évacué d’Azovstal par les airs, dans un scénario digne de Hollywood: trois hélicoptères ukrainiens ont réussi à déjouer les missiles russes pour transporter plusieurs blessés. « C’était un miracle », raconte-t-il. « Je n’avais vu ça que dans des films ! ».
Dernier baroud d’honneur
Malgré l’horreur sur le site d’Azovstal, certains trouvent insupportable d’être à l’extérieur. Rolana Bondarenko, une femme de 54 ans, a une douzaine d’amis parmi les membres du régiment Azov toujours présents. Avec son fils, elle a été une des premières à rejoindre le bataillon en 2014. Depuis, Rolana a appris que son garçon avait été tué mi-avril. « Ils l’ont mis dans un sac noir et son corps pourrit », dit-elle à l’AFP par téléphone depuis l’Allemagne où elle habite depuis un an pour des raisons médicales. « Et ce n’est pas uniquement lui qui est dans son cas. Il y en a des centaines ! ».
Mais même après la perte de son fils, Rolana continue de soutenir ardemment les derniers combattants ukrainiens qui font face à la puissance de feu de l’artillerie et des avions russes, dans ce qui ressemble à un dernier baroud d’honneur. Tous les jours, elle envoie des textos agrémentés d’émoticônes pour remonter le moral des troupes, qui, de leur côté tentent de la ménager en évoquant leur fierté et leur résilience plus que leurs souffrances. Certains ont perdu « entre 15 à 20 kilos », alors que la nourriture manque cruellement, alerte Rolana. « J’aimerais être à leurs côtés en ce moment », ajoute-t-elle entre deux sanglots.
Voici les moments clés des deux mois du siège de Marioupol, port stratégique du Sud-Est de l’Ukraine où subsiste une dernière poche de résistance dans la vaste zone industrielle d’Azovstal.
Marioupol pilonnée et encerclée : Le 2 mars, sept jours après le début de l’offensive russe en Ukraine, l’artillerie russe pilonne Marioupol, ville russophone de 441.000 habitants, située à environ 55 kilomètres de la frontière russe et à 85 kilomètres du fief des séparatistes de Donetsk. Le maire accuse les forces russes et prorusses de chercher « à imposer un blocus » en empêchant l’approvisionnement de la ville et en coupant ses « infrastructures vitales ».
Maternité bombardée : Le 9, une frappe russe vise une maternité et hôpital pédiatrique, faisant trois morts. L’Ukraine et l’Union européenne condamnent un « crime de guerre », la Russie affirme que le bâtiment abritait des combattants ukrainiens.
Premières évacuations : Mi-mars, après plusieurs tentatives infructueuses, des milliers de civils commencent à être évacués via un couloir humanitaire.
Théâtre détruit : Le 16, un théâtre, où près d’un millier de personnes s’étaient réfugiées, est détruit par l’aviation russe, selon les autorités ukrainiennes. Moscou dément ce bombardement, l’attribuant au bataillon nationaliste ukrainien Azov.
« Crime de guerre majeur » : le 21, Kiev rejette un ultimatum russe qui demandait la capitulation de Marioupol. L’UE dénonce comme « un crime de guerre majeur » le blocus de la cité portuaire. Les civils qui ont fui Marioupol décrivent des bombardements incessants, des habitants terrés dans des caves et des cadavres jonchant les rues.
Trêve humanitaire : le 30, Moscou annonce un cessez-le-feu local, à partir du lendemain matin pour ouvrir un couloir humanitaire. Pendant plusieurs jours, Russes et Ukrainiens se rejettent la responsabilité des difficultés des évacuations vers Zaporijjia (Zaporojie en russe), à plus de 200 km à l’ouest. Dans la nuit du 1er au 2 avril, le président ukrainien indique que plus de 3.000 personnes ont pu être « sauvées ».
Détruite « à 90% » : Le 4 avril, le maire Vadim Boïtchenko déclare que la ville est détruite « à 90% ». Le 7, le « nouveau maire » proclamé la veille par les forces pro-russes, Konstantin Ivachtchenko, estime que 250.000 personnes ont quitté Marioupol mais qu’au moins autant, voire 300.000 sont restés. L’Ukraine évalue plutôt à 100.000 le nombre de personnes encore en ville.
« Ultime bataille » : le 11, l’armée ukrainienne dit se préparer à « une ultime bataille » à Marioupol où les combats se concentrent sur le site d’une vaste zone industrielle sidérurgique du groupe Azovstal. Les séparatistes revendiquent avoir conquis la zone portuaire.
Des milliers de morts : le 12, les autorités régionales évaluent à au moins 20.000 le nombre de morts. Le 17, les derniers combattants de Marioupol ignorent un nouvel ultimatum russe. Le 20, Kiev propose une « session spéciale de négociations » sur le sort de Marioupol, où sont retranchés dans l’usine Azovstal « environ un millier de civils, femmes et enfants » et « des centaines de blessés », selon le président ukrainien.
« Succès » : Le 21, Marioupol est sous contrôle russe à l’exception du site d’Azovstal, déclare le ministre russe de la Défense. Vladimir Poutine ordonne d’assiéger « la zone de telle manière à ce que pas une seule mouche ne passe », sans donner l’assaut, qualifiant de « succès » la « libération de Marioupol ». Une centaine de civils, terrés depuis des semaines dans les souterrains de l’usine datant de la Seconde Guerre mondiale, sont évacués d’Azovstal vers Zaporijjia le week-end du 1er mai.
Evacuations à Azovstal : le 3 mai, les Russes lancent un « puissant » assaut avec chars et infanterie sur l’usine, selon le régiment Azov. Les Russes démentent. Le 4, les Russes annoncent trois jours de cessez-le-feu pour l’évacuation des civils. Les Ukrainiens affirment que la trêve n’est pas respectée. Le 7, Kiev annonce l’évacuation de toutes les femmes, tous les enfants et toutes les personnes âgées, sous l’égide de l’ONU et de la Croix-Rouge. En une semaine, près de 500 civils ont ainsi pu fuir l’usine. Le 7, le président ukrainien Wolodymyr Zelensky demande l’aide de Médecins sans frontières (MSF) pour évacuer et soigner les soldats encore présents.
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