Malgré la libération d’otages, les chefs d’accusation s’accumulent contre Israël
Pertes humaines, bombardements indiscriminés, enjeu de l’hôpital al-Shifa…: la stratégie d’Israël à Gaza est de plus en plus questionnée.
Sept semaines après l’attaque du Hamas contre Israël, le déroulement de la guerre n’offre aucune perspective d’issue. L’armée de l’Etat hébreu est loin d’avoir rempli son objectif d’éradiquer le mouvement islamiste qui, s’il a été privé d’une grande partie de ses capacités offensives, n’a en revanche perdu que très peu de ses principaux commandants. Plus le conflit s’éternise, plus la position d’Israël est questionnée parce qu’elle ne laisse place à aucune concession. Seule la vengeance semble la guider. Ce constat connaît certes une entorse avec l’accord sur la libération d’otages et une pause humanitaire, et le début de sa mise en application ce vendredi 24 novembre. Mais le premier ministre Benjamin Netanyahou a prévenu que la guerre reprendrait son cours une fois cette séquence refermée. Il n’en est reste donc pas moins que les chefs d’accusation contre Israël se sont accumulés.
La proportion de la disproportion des représailles israéliennes ne peut que poser question.
1. La disproportion du droit de se défendre
Etant donné l’ampleur du massacre perpétré par les terroristes du Hamas le 7 octobre et le traumatisme qu’il avait provoqué dans la société israélienne, nul n’ignorait que les représailles seraient sans commune mesure avec ce que les Palestiniens de Gaza avaient enduré par le passé. Le mantra qui y présidait – l’éradication pure et simple du Hamas – laissait augurer un combat sans merci. Aujourd’hui, le bilan des victimes palestiniennes, même réévalué le cas échéant par un décompte plus objectif que celui du ministère palestinien de la Santé sous la coupe du Hamas, est effroyable: le dernier fait état de plus de quatorze mille morts, dont 5 800 enfants et 3 500 femmes. On savait que la réplique serait disproportionnée. En l’occurrence, la proportion de la disproportion ne peut que poser question, y compris parmi les alliés d’Israël qui ont plaidé dès l’origine pour son droit à se défendre.
Dans le même ordre d’idées, la récurrence des attaques de bâtiments civils, qui ne cachent pas tous des postes de commandement du Hamas, amène à se demander si les autorités israéliennes ne veulent pas tout simplement empêcher durablement la possibilité de l’existence d’une structure étatique palestinienne à Gaza.
2. Des bombardements indiscriminés
Le 18 novembre, l’école al-Fakhoura dans le camp de Jabaliya, au nord de la ville de Gaza, a été bombardée par l’armée israélienne. Elle est gérée par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Une cinquantaine de déplacés y ont été tués. Dans un premier temps du moins, Israël n’a pas «justifié» l’attaque par la traque d’un dirigeant du Hamas.
Cet exemple est un des derniers qui questionne la pertinence stratégique des bombardements israéliens. Selon le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires, de 40% à 50% du bâti de la ville de Gaza aurait été détruit ou endommagé depuis le début des représailles de Tsahal contre le Hamas. L’Autorité palestinienne a établi à 280 les établissements scolaires et à deux cents les lieux de culte touchés par les frappes israéliennes à la mi-novembre.
L’organisation de défense des droits humains Amnesty International a documenté les circonstances d’une attaque similaire à celle de Jabaliya. Elle a trait à des frappes qui ont visé, les 19 et 20 octobre, une église et une habitation du camp de Nuseirat, dans la centre de la bande de Gaza et qui ont fait 46 morts, dont vingt enfants. Fondée sur un travail de terrain et sur la récolte de nombreux témoignages, l’enquête d’Amnesty, publiée le 20 novembre, arrive à la conclusion qu’elles étaient «des attaques menées sans discrimination ou des attaques directes contre des civils ou des biens de caractère civil, qui doivent donner lieu à une enquête en tant que crimes de guerre».
«Nous avons quitté nos maisons et sommes venus loger à l’église (NDLR: l’église chrétienne orthodoxe Saint-Porphyre) parce que nous pensions que nous serions protégés. Nous n’avons nulle part où aller. L’église était remplie de gens pacifiques, uniquement de gens pacifiques», a témoigné Ramez al-Sury, qui avait dû rejoindre le sous-sol du bâtiment et quitter ses proches quelques minutes avant le bombardement. Tsahal a expliqué, le 20 octobre, avoir ciblé «le centre de commandement et de contrôle appartenant à un terroriste du Hamas impliqué dans le lancement de roquettes et de mortiers» vers Israël et avoir endommagé à cette occasion «un mur d’une église de la zone». Elle a annoncé dans la foulée qu’une enquête avait tout de même été diligentée.
3. L’hôpital al-Shifa, vraiment stratégique?
Israël l’a répété dans toutes les langues depuis quelques semaines. L’hôpital al-Shifa, à l’ouest de la ville de Gaza, recelait dans ses sous-sols un centre de commandement du Hamas. Cette présence justifiait dès lors une opération d’envergure, une priorité pour la progression des forces spéciales israéliennes dans la principale ville du territoire palestinien.
Or, plus d’une semaine après la prise complète de l’établissement hospitalier, les preuves de l’existence de cette place forte du groupe islamiste sont pour le moins ténues. Tsahal a annoncé y avoir découvert des armes et des équipements militaires, mais en quantité malgré tout limitée. Elle y a mis au jour un tunnel de cinquante mètres. Dans des habitations à proximité d’al-Shifa, elle a aussi retrouvé les corps sans vie de deux otages enlevés le 7 octobre, la soldate Noa Marciano, 19 ans, et une habitante du kibboutz de Beeri, Yehudit Weiss, 65 ans. Elle a également diffusé des vidéos montrant l’arrivée à l’hôpital al-Shifa, le 7 octobre, d’un otage thaïlandais et d’un autre, népalais, entourés d’hommes armés. Elle en a conclu que «le Hamas cachait et assassinait nos otages à l’hôpital al-Shifa».
Les informations transmises par les autorités israéliennes ne démontraient pas, en date du 21 novembre, que l’hôpital al-Shifa a servi de lieu d’exécution d’otages et a offert une couverture à un important centre de commandement du Hamas.
4. Israël: l’armée la plus morale?
C’est un leitmotiv de la communication d’Israël: son armée serait la plus morale au monde. Et d’appuyer son propos depuis le 7 octobre par le fait, notamment, qu’elle a permis à la population du nord de la bande de Gaza de se diriger vers le sud avant de lancer sa grande offensive sur la ville de Gaza. Mais que vaut cette «concession» si, dans le même temps, Tsahal continue de bombarder des bâtiments sur tout le territoire palestinien et si, au lieu de faire de ce sud un sanctuaire pour les déplacés, elle n’y facilite pas l’acheminement de l’aide humanitaire qui pourrait les soulager?
5. Doutes sur la question des otages
Dès le lancement des représailles israéliennes au massacre du Hamas le 7 octobre, le dilemme s’est posé: priorité à l’éradication du groupe islamiste palestinien ou au sauvetage des otages retenus dans la bande de Gaza? L’intensité des bombardements et leur caractère souvent indiscriminé ont accrédité l’idée que la dimension militaire de l’opération l’avait emporté dans l’esprit des dirigeants israéliens sur son objectif humanitaire. Même la conduite de la guerre a paru le négliger. Hormis une qui a permis la libération de la soldate Ori Megidish le 30 octobre dans le nord de la bande de terre palestinienne, aucune autre expédition spécifique de l’armée et des services de renseignement intérieur du Shin Bet n’a été signalée pour rendre leur liberté aux otages. En Israël, leurs familles ont multiplié les mobilisations pour rappeler le Premier ministre Benjamin Netanyahou à son devoir de les «ramener à la maison».
Dans sa guerre de communication avec l’Etat hébreu, le Hamas ne s’est d’ailleurs pas privé d’attiser ces tensions internes en égrenant le nombre d’otages qui auraient été tués par les bombardements israéliens ou en accusant son «partenaire» d’entraver la conclusion d’un accord qui permettrait d’en libérer. Toutefois, le « grand deal » pour la libération d’un premier grand groupe d’otages sous l’égide du Qatar, de l’Egypte et des Etats-Unis, approuvé le 22 novembre par le gouvernement israélien, atténue ce sentiment que la question est considérée comme secondaire en Israël. Il n’en reste pas moins que les questions sur la priorité des objectifs de la guerre pour les autorités israéliennes risquent de se reposer si la période d’accalmie permettant la libération d’otages est immédiatement suivie d’une nouvelle phase du conflit alors que d’autres captifs seront toujours aux mains du Hamas et du Djihad islamique. Une petite lumière dans un long tunnel de souffrances.
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