Macron bouscule-t-il les Européens pour sauver les européennes ?
Trois semaines plus tard, on peine toujours à identifier la finalité réelle de la sortie d’Emmanuel Macron sur la possibilité de l’envoi de troupes au sol en Ukraine, formulée en solitaire à l’issue d’un sommet de dirigeants occidentaux à Paris. Hormis quelques voix venues des pays Baltes, aucun responsable concerné n’a abondé dans le sens du président français.
Nourrir une «ambiguïté stratégique» de nature à faire réfléchir Vladimir Poutine sur la suite qu’il compte donner à son invasion, en grande partie mise en échec, de l’Ukraine? L’isolement français aura eu l’effet inverse. Imposer la France, seule puissance nucléaire de l’Union européenne, comme championne de la défense du continent, que les Etats-Unis pourraient abandonner à son sort une fois Donald Trump revenu à la Maison-Blanche? L’effort très mesuré de Paris dans l’aide militaire à Kiev jusqu’à la signature, le 16 février, d’un accord bilatéral de sécurité, n’en a pas porté la marque et aurait plutôt invité à se garder de rouler des mécaniques. Souligner par contraste la retenue de plus en plus grande de l’Allemagne dans le soutien à l’Ukraine? La puissance des relations franco-allemandes au regard de l’histoire justifierait une mise en garde plus discrète et plus subtile.
Suggérer une escalade du conflit sous forme de belligérance assumée a peut-être le mérite de rappeler la précarité de la situation de l’Ukraine et de persuader, à terme, ses alliés européens d’en faire plus pour lui éviter une défaite. En attendant, l’idée peu élaborée d’Emmanuel Macron divise l’Union européenne, nuit à sa crédibilité, et renforce de facto le pouvoir russe. Le président français a réussi un strike contre son camp. En Europe.
Et en France…? Ne faut-il pas voir là la finalité de l’imprudente initiative macronienne? A trois mois des élections européennes, la controverse sur l’envoi de troupes et un vote, le 12 mars, à l’Assemblée nationale, sur l’accord de sécurité France-Ukraine (pour lequel le RN s’est abstenu, tandis que LFI votait contre) ont mis le débat sur la guerre et sur l’attitude des partis politiques à l’égard de la Russie au cœur de la campagne. Quel autre thème pouvait davantage mettre en difficulté les forces extrêmes, le Rassemblement national et La France insoumise, alors que la violence de l’agression russe questionne depuis deux ans la complaisance passée de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon avec Vladimir Poutine?
La liste du parti d’extrême droite caracole en tête des sondages pour l’élection du 9 juin et Jordan Bardella, qui la mène, s’appuie sur cette campagne peinarde pour conforter sa stature de dirigeant qui compte. La liste Renaissance végète à dix points du score de celle du Rassemblement national et il n’est pas sûr que l’eurodéputée Valérie Hayer, à la compétence plus grande mais à la notoriété moindre que son adversaire, puisse limiter les dégâts. Cette conjoncture intérieure délicate aurait-elle justifié un coup de boost d’Emmanuel Macron? Bousculer les Européens pour sauver les européennes? On n’ose pas raisonnablement l’imaginer. Mais tant qu’on n’a pas trouvé la finalité de la sortie débridée du président français, le doute est permis.
Gérald Papy est rédacteur en chef adjoint au Vif.
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