Lukas Aubin, chercheur (IRIS): «La Russie peut se servir de Kaliningrad comme prétexte pour une nouvelle attaque»
Petit, discret, mais hautement stratégique, le territoire de Kaliningrad est une épine dans le pied de l’Occident. Cette exclave reliée à la Biélorussie par le corridor de Suwalki pourrait servir de «rampe de lancement» à une potentielle attaque russe contre les pays baltes. «Dans son modèle d’expansion et de diffusion d’influence, Vladimir Poutine retrouve dans Kaliningrad tous les éléments qu’il affectionne», estime le chercheur français Lukas Aubin, spécialiste de la géopolitique de la Russie (IRIS).
D’ici 2026, la Russie sera en capacité d’attaquer un ou des pays de l’Otan. L’information est à prendre au sérieux, puisqu’elle émane directement du renseignement allemand. Dans son rapport, qui a circulé au gouvernement avant d’être relayé par le média Business Insider, le renseignement germanique se montre alarmiste et s’appuie sur une évaluation détaillée des activités militaires russes. Ainsi, il affirme que les prochaines cibles potentielles de l’armée russe pourraient être les pays baltes, voire la Finlande.
Au centre de ces craintes géopolitiques, le territoire russe de Kaliningrad, coincé entre la Pologne, au sud, la Lituanie, au nord, et reliée à la Biélorussie par le corridor de Suwalki. Pour la Russie, il pourrait être un point de départ idéal en cas de nouvelle volonté exapnsionniste. Pour l’Otan, il est une véritable épine dans le pied. Quatre questions à Lukas Aubin, docteur en études slaves, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), et auteur de Géopolitique de la Russie.
Lukas Aubin, en quoi l’enclave de Kaliningrad est-elle stratégique pour la Russie ?
L’expression «enclave» à l’égard de Kaliningrad est souvent utilisée à tort. Les chercheurs font consensus pour plutôt parler d’exclave. Dans le sens où il s’agit d’une extraction du territoire russe, qui n’a pas de continuité territoriale. Ceci étant, Kaliningrad est un territoire hautement stratégique. Pour la simple et bonne raison qu’elle possède des frontières directes avec l’Union européenne et la mer Baltique. Le contexte actuel de tensions entre la Russie et l’Otan fait de Kaliningrad une zone à défendre pour le pouvoir russe. Mais elle représente également une rampe de lancement potentielle pour un certain nombre d’attaques militaires.
“Kaliningrad représente une rampe de lancement potentielle pour un certain nombre d’attaques militaires.”
Lukas Aubin
Directeur de la recherche (IRIS)
Pour la Russie, Kaliningrad peut faire office de prétexte, dans un futur plus ou moins proche, pour étendre son territoire. On constate ce genre d’intentions régulièrement : que ce soit du côté du Bélarus, de l’Ukraine et potentiellement de la Moldavie. La fédération de Russie de Vladimir Poutine a des vocations expansionnistes.
Retrouvez la suite de l’interview sous l’infographie
Lire aussi | Kaliningrad, tête de pont russe en Europe
La Russie pourrait-elle être tentée de relier Kaliningrad avec la Biélorussie, via le corridor de Suwalki, et ainsi encercler en partie les pays baltes ?
En effet, il n’est pas exclu que les Russes veuillent agrandir le corridor de Suwalki et grignoter un peu de territoire lituanien pour consolider l’exclave de Kaliningrad. Viser Suwalki permettrait également d’encercler en partie les pays Baltes.
Cependant, cette option n’est pas encore à l’ordre du jour. L’Ukraine reste une priorité militaire pour la Russie. Avec, en ce moment, Odessa qui cristallise de nouvelles tensions. La Moldavie, via la Transnistrie, arrive potentiellement deuxième sur la liste poutinienne. Kaliningrad pourrait intervenir en troisième instance. Mais les puissances autour de l’exclave sont membres de l’Otan (Pologne et Lituanie, NDLR.). Pour Vladimir Poutine, cet élément reste une ligne rouge, car il provoquerait une guerre frontale à l’Alliance atlantique.
La Biélorussie est fortement liée au rôle que pourrait jouer Kaliningrad…
Le Bélarus est devenu la base arrière de la Russie, dans le cadre de la guerre en Ukraine. On peut imaginer qu’il n’y ait pas d’interférence si Vladimir Poutine décidait d’y envoyer des troupes. Minsk accepterait sans problème : le pays se vassalise peu à peu à la Russie. Notamment depuis les manifestations internes qui ont eu lieu contre le régime en 2019. A ce moment-là, Alexandre Loukachenko, président biélorusse, était en difficulté vis-à-vis de son peuple. Vladimir Poutine avait proposé «gracieusement» son aide. En contrepartie, Loukachenko avait signé un accord de rapprochement entre les deux pays, qui signifiait, en clair, une baisse d’autonomie pour la Biélorussie.
Géographiquement, Kaliningrad semble être le grain de sable russe au milieu de l’alliance otanienne, encore davantage depuis les adhésions de la Finlande et de la Suède
Kaliningrad est clairement une épine dans le pied de l’Occident. Pour Vladimir Poutine, elle est un prétexte à un potentielle expansion, un moyen de pression, et une base militaire (qui compte environ 10.000 hommes). Ce sont autant d’éléments que le président russe utilise dans le cadre de sa guerre hybride. Il utilise ces mêmes paramètres dans les Etats de facto, ou «Etats fantômes» : la Transnistrie, l’Abkhazie, et l’Ossétie du Sud. Elles sont sont toutes des zones séparatistes soutenues par Moscou, et situées sur des territoires étrangers (Géorgie, Moldavie).
“Vladimir Poutine retrouve dans Kaliningrad tous les éléments qu’il affectionne.”
Lukas Aubin
Directeur de la recherche (IRIS)
Concernant Kaliningrad, la situation est un peu différente puisque le territoire appartient à la fédération de Russie et n’est pas contesté. Dans son modèle d’expansion et de diffusion d’influence, Vladimir Poutine retrouve dans Kaliningrad tous les éléments qu’il affectionne.
La situation autour de Kaliningrad est un équilibre à la fois précaire et durable. Le kilométrage est très restreint dans cette zone. Dès lors que Vladimir Poutine fasse un mouvement pour empiéter sur la Lituanie ou la Pologne, les réactions de l’Otan seront très rapides.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici