L’UE invalide les tribunaux arbitraux privés
Dans un avis rendu ce mardi, la Cour de Justice de l’Union européenne invalide le principe des tribunaux arbitraux privés, les jugeant incompatibles avec le droit de l’Union. Un mode d’arbitrage que l’on retrouve dans près de 200 accords internationaux.
Le principe des tribunaux arbitraux veut que les juges soient choisis par les parties pour régler des différends impliquant des États et des investisseurs privés. Ce mode d’arbitrage des conflits commerciaux est couramment utilisé dans les 196 traités bilatéraux d’investissement (TBI) en vigueur entre les États membres de l’UE. La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a été saisie à la suite d’une action de la Slovaquie pour en évaluer la compatibilité avec le droit européen.
La CJUE s’est prononcée sur cette question vis-à-vis de la clause d’arbitrage incluse dans l’accord conclu entre les Pays-Bas et la Slovaquie sur la protection des investissements. Elle conclut que cette clause « porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union et, partant, n’est pas compatible avec celui-ci ». Elle considère en effet que « ce mécanisme de résolution des différends n’est pas apte à assurer que les litiges seront tranchés par une juridiction relevant du système juridictionnel de l’Union ». Or, d’après la Cour, « seule une telle juridiction est à même de garantir la pleine efficacité du droit de l’Union ».
Plusieurs pays (République tchèque, Estonie, Grèce, Espagne, Italie, Chypre, Lettonie, Hongrie, Pologne, Roumanie) et la Commission européenne soutenaient la Slovaquie dans ce dossier, tandis que l’Allemagne et la France, mais aussi les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande défendaient la validité de cette clause, dont des types similaires sont couramment utilisés dans les 196 TBI actuellement en vigueur entre les États membres de l’UE.
Le CETA, lui aussi incompatible avec le droit de l’Union ?
Si l’arrêt de ce mardi ne porte que sur les traités bilatéraux entre États membres de l’UE, il pourrait avoir des implications plus larges et toucher un grand nombre d’accords commerciaux. Singulièrement, ceux conclus avec des pays tiers, comme le CETA, l’accord de libre-échange entre l’UE et le Canada.
Le CNCD-11.11.11, très engagé dans la contestation des traités de libre-échange commercial, souligne que « c’est la première fois que la CJUE se prononce sur le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS, selon l’acronyme anglais) ». Un mécanisme qui était au coeur des débats autour des dossiers du TTIP et du CETA ces dernières années.
Pour le CNCD, même s’il faut attendre une analyse juridique plus approfondie, « l’avis confirme les doutes existants sur la compatibilité de ce type de clause avec le droit européen et démontre la pertinence de la saisine de la Cour par la Belgique dans le cadre du CETA ».
En 2016, la contestation du CETA a poussé la Belgique à saisir la CJUE pour qu’elle s’exprime sur la compatibilité de cet accord de libre-échange, plus particulièrement de sa clause de tribunal arbitral (ICS), avec les traités européens. L’ICS avait déjà remplacé l’ISDS (visé par l’arrêt de la CJUE), afin de fournir davantage de garanties contre un risque de privatisation de la justice.
La CJUE ne s’est pas encore exprimée sur ce dossier. Mais pour les opposants au CETA (ou à certaines de ces dispositions), l’avis publié ce mardi signifie qu’il est d’autant plus probable que le tribunal arbitral du CETA sera lui aussi recalé par la CJUE. « On peut au minimum s’attendre à ce que la CJUE requière des modifications profondes de l’ICS du CETA, et notamment que tout litige opposant un État et un investisseur soit d’abord jugé par des tribunaux ordinaires, sous le contrôle juridictionnel de la Cour », analyse le syndicat chrétien CNE.
Les Affaires étrangères analysent l’impact sur les traités belges
Les Affaires étrangères analysaient mardi l’arrêt de la Cour de Justice de l’UE afin de déterminer son impact sur les accords bilatéraux d’investissement que la Belgique a conclu avec d’autres États membres européens.
Par ailleurs, d’aucuns s’interrogeaient mardi sur les conséquences potentielles de cet arrêt sur les 82 traités d’investissement bilatéraux conclus dans le cadre de l’Union économique Belgique-Luxembourg (UEBL), à propos desquels un accord politique a été atteint vendredi dernier pour en moderniser le modèle. Cette modernisation des TBI confirmait la volonté de la Belgique d’établir une cour multilatérale en matière d’investissements, selon le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders.
Mais pour les Affaires étrangères, il n’y a pas de lien direct avec le texte modèle des accords UEBL : « L’arrêt de la Cour concerne seulement la comptabilité du système ISDS de règlement des différends avec les traités européens dans les relations avec les États membres de l’UE. Le texte modèle UEBL est par contre la base des négociations d’accords bilatéraux d’investissements avec des pays hors UE – au sujet desquels la CJUE ne s’est pas prononcée ».
Oriane Renette.