Arnaud Zacharie
« L’OMC est-elle menacée de mort clinique ? »
La 11ème conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), organisée à Buenos Aires du 10 au 13 décembre 2017, survient dans un contexte particulièrement tendu.
L’OMC, créée en 1995 sur les cendres du GATT, repose sur deux piliers : d’une part, un forum de négociation des règles du commerce mondial rythmé par les conférences ministérielles successives ; d’autre part, un Organe de règlement des différends chargé de traiter les litiges commerciaux entre les Etats membres. Or ces deux piliers sont menacés de paralysie. A cette aune, les enjeux entourant le sommet de Buenos Aires sont plus sensibles que jamais, tant il en va désormais de la survie de l’OMC.
Remise en cause du rôle de l’OMC
Les négociations à l’OMC sont rythmées par une conférence ministérielle organisée tous les deux ans. Après le cuisant échec des négociations lors de la conférence ministérielle de Seattle en 1999, où les pays industrialisés, qui espéraient lancer un ambitieux « Round du Millénaire », butèrent contre le refus des pays en développement, l’OMC lança à Doha, en novembre 2001, un « Programme pour le développement » censé répondre aux demandes des pays du Sud. Mais loin de se concrétiser, ce programme resta lettre morte. C’est pourquoi, lors de la conférence ministérielle de Cancun en septembre 2003, les pays en développement se coalisèrent au sein d’un « G21 », en vue de poser un ultimatum aux pays industrialisés. L’appel ne fut pas entendu par les Etats-Unis et l’Union européenne, ce qui déboucha sur un nouvel échec des négociations.
Depuis lors, les conférences ministérielles se sont succédé sans qu’un accord ait pu être trouvé pour mettre en oeuvre le programme de Doha pour le développement. Pour les Etats-Unis et l’Union européenne, il n’est désormais plus question d’évoquer ce programme. Mais pour l’Inde et les autres pays en développement, il n’est pas question d’ainsi abandonner cet agenda, dont l’objectif était précisément de répondre à leurs demandes. Il en résulte un premier élément de blocage dans la négociation de la déclaration finale de la conférence ministérielle de Buenos Aires.
Un autre élément de blocage, à la fois inédit et plus fondamental, concerne le refus des Etats-Unis d’inclure dans la déclaration finale une phrase affirmant le rôle central de l’OMC dans les négociations commerciales internationales. En effet, l’administration Trump souhaite privilégier les négociations bilatérales d’Etat à Etat, plutôt que le cadre multilatéral de l’OMC qui permet aux pays en développement de se coaliser. L’administration Trump souhaite également réviser la règle de la nation la plus favorisée (NPF), qui se trouve au coeur des règles de l’OMC et stipule qu’une préférence accordée à un Etat membre doit être élargie à l’ensemble des autres membres de l’OMC. C’est donc le rôle de l’OMC en tant que principal forum de négociations commerciales garantissant la non-discrimination dans les échanges qui est remis en cause par les Etats-Unis.
Il en résulte que les négociations du projet de déclaration finale de la conférence ministérielle de Buenos Aires ont dû être suspendues fin novembre par le président du Conseil général de l’OMC, suite au veto des Etats-Unis concernant le rôle de l’OMC et aux divergences Nord-Sud concernant la centralité de la dimension du développement.
Une Cour d’Appel menacée de paralysie
Contrairement aux conférences ministérielles, l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC a relativement bien fonctionné depuis sa création. Depuis 1995, plus de 500 différends ont été soumis à l’OMC et plus de 350 décisions ont été rendues. L’ORD permet à un Etat membre qui s’estime victime de concurrence déloyale de porter plainte contre l’Etat membre accusé de ne pas respecter les règles de l’OMC. Un panel d’experts est alors chargé de juger le litige. Ce mécanisme multilatéral de règlement des différends commerciaux permet de prévenir les sanctions unilatérales et les conflits commerciaux.
L’Organisation mondiale du commerce est-elle menacée de mort clinique ?
Or c’est ce mécanisme que l’administration Trump conteste. Les Etats-Unis avancent deux raisons pour justifier leur position : d’une part, ils accusent d' »activisme juridique » les membres de la Cour d’Appel du fait que leurs décisions créent des jurisprudences qui font avancer les règles de l’OMC sans l’accord des Etats-Unis ; d’autre part, ils accusent la Cour d’Appel de multiplier les décisions défavorables aux Etats-Unis. C’est pourquoi ils bloquent la nomination de trois candidatures ouvertes, alors que la Cour d’Appel ne compte que sept membres et se retrouve dès lors progressivement incapable d’assumer les tâches qui lui sont confiées.
Pourtant, les critiques avancées par l’administration Trump ne sont pas justifiées. D’une part, les procédures de l’ORD correspondent aux procédures habituellement en vigueur dans ce genre d’institution. D’autre part, les Etats-Unis ont gagné plus de litiges devant l’ORD que les autres Etats membres de l’OMC : les Etats-Unis ont gagné 78% des litiges où ils étaient demandeurs (contre 69% pour les autres Etats membres) et 36% des cas où ils étaient accusés (contre 25% pour les autres Etats membres). Les Etats-Unis, qui se posent pourtant désormais en victime, ont en réalité été favorisés plutôt que discriminés par les décisions de l’OMC.
Il n’en reste pas moins que le refus de l’administration Trump de nommer trois nouveaux membres à la Cour d’Appel met en péril le fonctionnement de l’institution. Si les Etats-Unis persistent dans cette voie, la Cour d’Appel, qui éprouve déjà des difficultés à assumer les cas existants, pourrait se retrouver complètement paralysée fin 2019.
L’OMC a certes besoin d’une réforme pour renforcer la cohérence de ses règles avec les Objectifs de développement durable des Nations Unies. Toutefois, les Etats-Unis et l’Union européenne privilégient désormais la voie bilatérale. D’une part, le président Trump a annoncé en avril 2017 la révision de tous les accords de commerce des Etats-Unis, y compris la participation à l’OMC. D’autre part, l’Union européenne multiplie les négociations d’accords bilatéraux. Par ce biais, les Etats-Unis et l’Union européenne cherchent à négocier des accords « OMC + », en intégrant des sujets qu’ils ont échoué à imposer à l’OMC du fait de la résistance des pays en développement.
En considérant comme obsolète l’agenda du développement, les Etats-Unis et l’Union européenne rendent impossibles tout accord à l’OMC, que l’administration Trump cherche en outre à paralyser. A cette aune, la conférence ministérielle de Buenos Aires risque de se révéler pour l’OMC l’ultime étape de l’itinéraire d’une mort clinique annoncée.
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