Ali Khamenei, guide suprême iranien, a prudemment commenté l’attaque israélienne. © SalamPix/ABACA

L’Iran affaibli, pour combien de temps ? «Il ne fallait pas mettre le pays à genoux»

Clément Boileau
Clément Boileau Journaliste

Avec sa série de frappes ciblées en territoire iranien, l’État hébreu a neutralisé temporairement les défenses de son pire ennemi. De quoi se donner le temps d’agir sur d’autres fronts.

Elle se sera fait attendre, la réplique d’Israël à l’attaque iranienne du premier octobre dernier, quand quelque 200 missiles se sont abattus sur le territoire de l’État hébreu, mettant à rude épreuve ses défenses anti-aériennes. Une attaque d’ampleur inédite, certes, mais sans grande conséquence sur le plan humain (une seule victime civile, de nationalité… palestinienne). Reste que cela ne pouvait rester sans réponse, si bien que dans la nuit de vendredi à samedi dernier, l’aviation israélienne est finalement passée à l’action, détruisant une série de cibles exclusivement militaires, l’état-major israélien se montrant officiellement assez limpide sur les objectifs poursuivis.

«Notre message est vraiment très clair: nous pouvons répliquer à n’importe quelle menace, d’où quelle vienne, à n’importe quel moment. Ce message est aujourd’hui considérablement renforcé. Et nous n’avons utilisé qu’une partie de nos capacités: nous pouvons faire beaucoup plus. Nous avons frappé des systèmes stratégiques en Iran, ce qui est très important, et nous allons maintenant voir comment les choses évoluent. Nous sommes prêts à faire face à tous les scénarios, dans tous les domaines», lâchait dimanche, en début de soirée, Herzi Halevi, chef d’état-major général de Tsahal, l’armé israélienne.

L’idée a très clairement été de montrer qu’il y avait toujours des failles dans le dispositif de l’Iran, puisqu’il n’y a, semble-t-il, pas eu de perte côté israélien.

Alain De Neve, chercheur au Centre d’études de sécurité et défense (CSDS)

«Les actions maléfiques du régime [israélien] ne doivent être ni exagérées ni minimisées», a prudemment commenté Ali Khamenei, guide suprême iranien, avant de se montrer nettement plus menaçant, estimant que «les sionistes font une erreur de calcul à l’égard de l’Iran. Ils ne connaissent pas l’Iran. Ils n’ont toujours pas réussi à comprendre correctement la puissance, l’initiative et la détermination du peuple iranien. Nous devons leur faire comprendre ces choses…»

De leur côté, les autorités militaires mentionnaient «seulement» la destruction de quelques radars et la mort d’une poignée d’officiers (quatre). En réalité, il semble certain que l’opération israélienne a aussi ciblé des systèmes de défense anti-aérienne et des sites sensibles.

Plusieurs sites importants touchés

«L’armée israélienne a frappé trois ou quatre sites S-300, dont un à l’aéroport international Khomeini près de Téhéran», abondait lundi l’Institute for the Study of War (ISW) américain, ajoutant que «certains des sites de défense aérienne frappés par Tsahal protégeaient des infrastructures énergétiques essentielles dans l’ouest et le sud-ouest de l’Iran» (NDLR: il s’agirait de la raffinerie de pétrole d’Abadan, du complexe énergétique et du port de Bandar Imam Khomeini, ainsi que du champ gazier de Tang-eh Bijar).

Une façon claire, mais prudente, de mettre en garde la théocratie islamique. Et d’abaisser drastiquement le niveau de la menace iranienne sur du court et moyen terme. «L’idée a très clairement été de montrer qu’il y avait toujours des failles dans le dispositif de l’Iran, puisqu’il n’y a, semble-t-il, pas eu de perte côté israélien», analyse Alain De Neve, chercheur au Centre d’études de sécurité et défense (CSDS). Qui note que, «selon des sources non officielles iraniennes, les dommages ont été assez conséquents pour l’Iran. Que ce soit au niveau des systèmes de défense, mais aussi des sites de développement de missiles balistiques».

La plus grosse atteinte à l’environnement militaire iranien semble ainsi avoir eu cours au sein du complexe de Parchin, «l’une des installations de production de missiles iraniennes les plus vastes et les plus secrètes», écrit l’ISW. Qui souligne que, «parmi les cibles visées par l’armée israélienne, on trouve des machines sophistiquées utilisées pour fabriquer du combustible solide pour des missiles balistiques avancés (NDLR: du propergol), comme ceux que Téhéran a utilisés pour attaquer directement Israël. L’Iran aura probablement besoin de plusieurs mois, voire d’un an ou plus, pour acquérir de nouveaux équipements…»

Ménager l’Iran

«Normalement, ce genre de nettoyage des systèmes de défense augure une nouvelle attaque, mais on se rend compte que rien d’autre ne s’est produit. C’est une manière pour Israël de ménager la chèvre et le chou, de montrer de quoi ils sont capables sans mettre l’Iran à genoux», observe Alain De Neve, qui, comme l’ISW, remarque que l’atteinte des cibles précitées devrait également «perturber la capacité iranienne à construire des missiles et à les transférer à des partenaires étrangers, tels que la Russie, le Hezbollah libanais et les Houthis».

En attendant, la capacité de nuisance directe de l’Iran paraît, en l’état, considérablement affaiblie. Le temps de s’occuper du Hamas et du Hezbollah, le bras armé de l’Iran au Liban? «Cela fait sens dans la mesure où Israël est engagé sur plusieurs fronts, et donc doit avoir un peu l’œil partout. D’autre part il paraît clair que l’Iran ne souhaite pas rentrer dans une logique de guerre totale avec Israël, parce que le pays n’en a pas les moyens, même si l’Iran conserve une capacité de nuisance, y compris avec ses missiles balistiques. Mais ce ne sont pas des capacités infinies, et Israël a de son côté l’appui de la machine industrielle américaine», fait valoir Alain De Neve.

L’attaque contre l’Iran est importante en tant que coup d’envoi visant à endommager les atouts stratégiques de l’Iran, et cela doit être la prochaine étape.

Itamar Ben Gvir, ministre israélien de la sécurité nationale

«D’un autre côté, il ne fallait pas désarmer complètement l’Iran», prévient le chercheur. Parce qu’il faut tenir compte de la région, par exemple de l’Arabie saoudite, qui a normalisé ses relations avec Israël.» Ce qui explique qu’il ait fallu une opération maintenant malgré tout une sorte de statut quo, qui laisse «tout le monde insatisfait de la même façon».

Le spectre de la guerre totale

Toutefois, le spectre d’une guerre totale n’est pas éloigné, loin de là, et certains membres du gouvernement de Benjamin Netanyahou, dont le bouillonnant ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, n’entendent pas en rester là: «L’attaque contre l’Iran est importante en tant que coup d’envoi visant à endommager les atouts stratégiques de l’Iran, et cela doit être la prochaine étape. C’est ma position et je continuerai à la défendre partout», a asséné ce dernier quelques heures seulement après la riposte israélienne.

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