Les femmes sont présentes sur la scène politique au Pakistan. Selon Tasnim Butt, «elles sont toujours sœur, fille, tante ou cousine d’un homme politique important». © getty images

L’Inde et le Pakistan ont 75 ans : être femme est un combat

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les 14 et 15 août, le Pakistan et l’Inde célébreront leurs trois quarts de siècle d’existence. Cet été, Le Vif explore les progrès accomplis par ces deux puissances et les tensions qui continuent à les agiter. Quatrième épisode: le sort peu enviable des femmes.

Le Pakistan arrive en 145e position sur 146 pays étudiés. L’Inde, 135e, fait à peine mieux… Le classement 2022 sur l’égalité professionnelle femmes-hommes du Forum économique mondial (WEF), publié le 13 juillet, est implacable: dans les deux puissances d’Asie du sud, l’épanouissement des femmes n’est pas une priorité. Le mal n’est pas circonscrit à l’Inde et au Pakistan. Cette région est pointée comme la plus mauvaise élève dans le combat pour l’égalité de genre, pas suffisamment sauvée par les progrès observés au Népal et au Bangladesh (ex-Pakistan oriental), plombée surtout par la dégradation de la situation en Afghanistan.

Le bilan est particulièrement négatif dans les domaines de «la santé et la survie» et de la participation à l’activité économique. L’Inde est classée dernière dans la première catégorie, le Pakistan 143e. Le Pakistan est avant-dernier dans la deuxième, l’Inde 143e. Il n’y a guère qu’en matière d’accès à la politique que les deux pays sortent des tréfonds du classement, avec une mention plus honorable pour l’Inde, 48e, que pour le Pakistan, 95e.

Femme de l’aristocratie

L’ arbre qui cache la forêt… Les mandats d’Indira Gandhi, Première ministre indienne de 1966 à 1977 et de 1980 à 1984, et de Benazir Bhutto, Première ministre pakistanaise de 1988 à 1990 et de 1993 à 1996, ont plus été des épiphénomènes que l’aboutissement d’une lutte féministe. «L’accession de Benazir Bhutto à la tête du gouvernement n’était pas un accident, précise Tasnim Butt, assistante à la faculté des Sciences sociales et politiques de l’ULB et autrice de Pakistan (De Boeck, 2014, 144 p.). C’est simplement le fait qu’elle était la fille de Zulfikar Ali Bhutto et qu’elle appartenait à l’aristocratie. Les femmes de l’aristocratie ou de la bourgeoisie n’ont aucun problème pour accéder à n’importe quel poste. Toutes les femmes politiques pakistanaises qui siègent au Parlement aujourd’hui sont toujours sœur, fille, tante ou cousine d’un homme politique important. En revanche, une « femme du peuple » a très peu de chances d’un jour devenir Première ministre.»

La société pakistanaise est patriarcale, tribale, islamique et néolibérale. Aucun de ces adjectifs n’est en faveur des femmes.

Depuis 2002 pourtant, 17% des sièges de l’Assemblée nationale, du Sénat et des assemblées provinciales sont réservés aux femmes. Une mesure de «discrimination positive» qui cache mal une vraie discrimination: des femmes ont peu de chances de devenir parlementaires par la voix électorale. Cette pratique «dénote surtout la prédominance d’un système de patronage», décrypte Gilles Boquérat, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique et auteur de Le Pakistan en 100 questions (Tallandier, 2018, 368 p.).

Différence avec l’Afghanistan

Dans le classement global sur les inégalités entre femmes et hommes du Forum économique mondial, le Pakistan, avant-dernier, n’est pas très éloigné du contre-modèle afghan, qui clôture le palmarès. Tasnim Butt, assistante à l’ULB, voit pourtant une nette différence entre la situation des femmes pakistanaises et celle de leurs homologues à Islamabad, mais aussi à Riyad ou à Téhéran: «Au Pakistan, les femmes ont des droits inscrits dans la constitution. Elles peuvent faire des études, se choisir un époux, travailler. Elles n’ont aucune prescription vestimentaire à suivre qui soient imposées par la loi ou par la constitution. Mais il y a la théorie et il y a la pratique. Il faut savoir que la société pakistanaise est patriarcale, tribale, islamique et néolibérale. Aucun de ces adjectifs n’est en faveur des femmes.» Un indicateur du fossé entre les hommes et les femmes est donné par les taux d’analphabétisme et d’emploi: 46% des femmes savent lire et écrire contre 69% des hommes ; le taux de participation des femmes à la population active s’élève à 25% pour 83% des hommes. La spécialiste du Pakistan distingue cependant la conjoncture dans les villes de celle des zones rurales. «Si vous vous rendez dans les milieux urbains du Pakistan, vous verrez des femmes dans tous les secteurs: les médias, le show-biz, la politique, les affaires, la police, l’armée… Mais ces femmes visibles sont issues de certaines classes sociales. En revanche, si vous allez dans les territoires ruraux, où vit la majorité de la population pakistanaise, la situation des femmes est vraiment très mauvaise. Les caractéristiques de la société pakistanaise déjà citées font que l’accès à l’éducation et à l’emploi est rendu compliqué et que les femmes n’ont que très rarement voix au chapitre pour choisir un conjoint.»

Au Pakistan, la différence est grande entre le sort des femmes en zone urbaine et en milieu rural.
Au Pakistan, la différence est grande entre le sort des femmes en zone urbaine et en milieu rural. © getty images

Violences conjugales et collectives

Filles assujetties, pressions de la famille, mariages imposés, femmes assignées à la gestion du foyer et à l’éducation des enfants…: les traditions pakistanaises conservatrices ne prédisposent pas à l’égalité et à la paix dans les couples. Les conflits conjugaux ou amoureux débouchent régulièrement sur des actes de violence. Un problème majeur au sein de la société pakistanaise. «La violence à l’encontre des femmes est vraiment endémique, abonde Tasnim Butt. Les viols sont fréquents. Il y a des assassinats ciblés, souvent liés à des « crimes d’honneur ». Avant, les femmes violées n’allaient jamais porter plainte. Maintenant, certaines font la démarche. Mais c’est encore une toute petite minorité. On ne peut d’ailleurs pas dire que les autorités pakistanaises soient très rigoureuses à punir les crimes d’honneur. Les assassins sont très rarement traduits en justice. Et quand bien même ils le sont, il est toujours possible, dans le système judiciaire pakistanais, que les familles des victimes « pardonnent » aux assassins. On assiste alors à un règlement à l’amiable selon des coutumes tribales, moyennant des compensations financières ou autres…»

De l’autre côté de la frontière, le fléau des violences faites aux femmes a été rappelé au grand jour ces dernières années par des affaires de viols collectifs particulièrement sordides. Le soir du 16 décembre 2012, une étudiante en kinésithérapie, Jyoti Singh, était violée par six hommes dans un bus à New Delhi. Elle devait décéder le 29 décembre des suites de ses blessures. Le 20 janvier 2014, une jeune hindoue était violée par des habitants du village de Subalpur, au Bengale occidental, pour avoir entretenu une liaison avec un musulman. Le viol avait été ordonné au titre de sanction par le conseil des anciens après que la famille de la victime ait expliqué être dans l’incapacité de payer l’amende à laquelle elle avait été condamnée…

Les violences faites aux femmes restent un fléau en Inde malgré des avancées législatives pour les poursuivre et les condamner.
Les violences faites aux femmes restent un fléau en Inde malgré des avancées législatives pour les poursuivre et les condamner. © getty images

Si, dans les deux dossiers, le laxisme de la police a été dénoncé, la justice indienne, contrairement à l’impunité prévalant souvent au Pakistan, a joué son rôle, condamnant les principaux auteurs du viol de New Delhi à la peine de mort. Et le débat suscité par l’affaire a donné lieu, lors d’un vote au Parlement, à un renforcement de la législation antiviol et à un alourdissement des peines contre les délinquants sexuels. Une partie des autorités, sous la pression des associations de femmes, a pris conscience de la gravité des crimes. Mais le machisme continue d’irriguer la société.

La lutte pour l’emploi

Pour Gilles Boquérat, auteur aussi de L’Inde d’aujourd’hui en 100 questions (Tallandier, 2021, 368 p.), les situations dans les deux Etats ne sont pas comparables. «Il n’y a pas photo. Les femmes sont beaucoup plus visibles en Inde. On les voit partout. Elles conduisent des scooters ; ce que l’on ne verra jamais à Islamabad. Elles assument des responsabilités qu’elles n’ont pas au Pakistan. Les contraintes qui leur sont imposées là-bas au plan religieux existent beaucoup moins en Inde. Une inquiétude se fait néanmoins jour à propos de la diminution de la place des femmes dans la population active. Un phénomène qui est lié au marché de l’emploi plus qu’à la question du genre. Cela étant, une étude a montré récemment que même en Inde, la femme est perçue comme la personne qui est en charge de la situation des enfants et invitée à rester à la maison…»

Difficultés d’accès à des emplois classiques, écueils aussi pour intégrer les métiers de l’armée. Là pourtant, les modalités évoluent dans le bon sens. C’est le résultat de l’acharnement de quelques pionnières et de l’ouverture des juges de la Cour suprême, plus progressistes que leurs homologues américains. En février 2020, elle a permis aux femmes officiers de briguer des postes de commandement dans les unités non combattantes de l’armée de terre, contre l’avis des forces armées et du gouvernement. En juin de cette année, elle les a autorisées à intégrer la formation d’élite de la National Defence Academy de Pune… Avoir vaincu les résistances d’un milieu aussi machiste devrait doper leur ambition d’investir plus largement le milieu économique.

Dans notre numéro du 11 août: LES ACQUIS DE 75 ANS DE VIE

Le femmes prennent petit à petit leur place dans l’armée indienne malgré la résistance d’une institution empreinte de machisme.
Le femmes prennent petit à petit leur place dans l’armée indienne malgré la résistance d’une institution empreinte de machisme. © getty images

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