Le jeudi 13 février, un appel téléphonique de 90 minutes entre Donald Trump et Vladimir Poutine a eu lieu au sujet de l’Ukraine.. © ZUMA Press

L’humiliation européenne face aux négociations Trump-Poutine sur l’Ukraine: «Après la sidération, il y aura de l’action»

Ce dialogue à huis clos semble exclure l’Europe et les Ukrainiens. Les cartes de la diplomatie européenne sont rebattues.

Le jeudi 13 février, un appel téléphonique de 90 minutes entre Donald Trump et Vladimir Poutine a marqué l’ouverture de discussions vers un potentiel cessez-le-feu en Ukraine. Un échange strictement bilatéral, mené sans consultation de l’Ukraine ni des Européens, alors même que ces derniers financent et soutiennent massivement l’effort de guerre de Kiev.

Pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky, c’est la douche froide: «Nous n’accepterons aucun accord de paix sans que nous soyons impliqués dans les négociations», s’est-il empressé de déclarer à l’annonce des négociations entre Moscou et Washington.

A Paris, la veille, les ministres des Affaires étrangères européennes et ukrainiennes étaient pourtant réunis pour coordonner le soutien à l’Ukraine. Un sommet interrompu brutalement par l’annonce de la Maison-Blanche. Washington finalisait une approche diplomatique en solitaire. Un coup de force qui relègue les Européens à un rôle d’observateurs, malgré leur engagement financier et militaire massif.

«La surprise est totale.» Mais pas pour Raoul Delcorde, ambassadeur honoraire de Belgique et professeur de relations internationales: «Je m’y attendais un peu. Ça ne m’étonne pas. On sait que Trump n’aime pas l’Union européenne et privilégie les consultations bilatérales avec des autocrates. Il partage son aversion pour l’Europe avec Poutine», analyse-t-il.

Soutien européen colossal mais rôle marginal

Depuis le début de l’invasion russe en février 2022, l’Union européenne n’a cessé d’apporter un soutien massif à l’Ukraine. Selon le Conseil de l’Union européenne, ce soutien s’élève même à plus de 134 milliards d’euros, englobant des aides financières, militaires et humanitaires.

On sait que Trump n’aime pas l’Union européenne et privilégie les consultations bilatérales avec des autocrates.

Raoul Delcorde

ambassadeur honoraire de Belgique et professeur de relations internationales

Malgré cet engagement massif, l’annonce de négociations directes entre Trump et Poutine a pris de court les alliés européens. Ces derniers craignent d’être contraints de soutenir un accord qu’ils n’ont pas contribué à façonner, et qui pourrait ignorer des préoccupations sécuritaires plus larges, permettant à la Russie d’exploiter la situation.

La proposition de Trump est un choc: la fin des hostilités en échange des territoires conquis par la Russie. Plus de 18% de l’Ukraine passeraient sous contrôle russe, un engagement serait pris pour que Kiev renonce définitivement à l’OTAN, et surtout, Volodymyr Zelensky serait écarté du pouvoir après de nouvelles élections.

Quelle Europe face aux colosses?

Cette situation met en lumière l’absence d’une figure de proue européenne capable de peser dans les négociations. L’Union européenne, malgré son soutien financier et militaire considérable, se retrouve spectatrice d’une paix négociée sans elle. Une humiliation qui questionne la place de l’Europe sur la scène internationale et sa capacité à défendre ses propres intérêts et ceux de ses alliés.

Alors que les deux géants se partagent les cartes en toute intimité, l’Europe peine à repenser son rôle et à affirmer sa voix. La crainte est qu’avec Donald Trump comme interlocuteur privilégié de la Russie, le Vieux Continent reste en marge alors qu’il est question de décisions de la plus haute importance qui façonneront l’avenir du continent. Face à cette mise à l’écart, des discussions émergent sur la manière dont l’Europe pourrait reprendre un rôle diplomatique. Une des pistes évoquées par Raoul Delcorde consisterait à renforcer le rôle de l’ONU, en adoptant une motion au Conseil de sécurité pour le déploiement de casques bleus en Ukraine.

Un projet d’accord aux contours favorables à Moscou

La proposition discutée entre Donald Trump et Vladimir Poutine dessine un cadre de négociation qui inclut plusieurs concessions majeures à la Russie. Parmi les éléments avancés figurent la reconnaissance des territoires sous occupation russe, représentant plus de 18% du territoire ukrainien, un engagement à exclure toute adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, en réponse à l’une des principales exigences du Kremlin, l’organisation de nouvelles élections présidentielles en Ukraine, entraînant le départ de Volodymyr Zelensky, et un désengagement militaire américain, laissant Kiev dépendre essentiellement du soutien européen. Pour Raoul Delcorde, Washington n’a fait aucune concession et a même déroulé le tapis rouge à la Russie: «Trump abat toutes ses cartes dès le début. Comme s’il n’attendait même pas quelque chose en retour de Poutine. Il est pressé par le temps parce qu’il voit les négociations comme une transaction, un deal», explique-t-il.

Ces premières discussions pour un cessez-le-feu interviennent alors que des échanges doivent se poursuivre dans les semaines à venir. Mais face aux craintes européennes d’être exclues des négociations, le vice-président américain JD Vance a tenté d’apaiser les tensions.

Trump abat toutes ses cartes dès le début. Comme s’il n’attendait même pas quelque chose en retour de Poutine.

Raoul Delcorde

ambassadeur honoraire de Belgique et professeur de relations internationales

Interrogé en marge de la Conférence de Munich sur la sécurité, il a affirmé que l’Europe devait «bien sûr» être impliquée dans toute négociation de paix: «Bien sûr qu’elle le devrait. Bien sûr», a-t-il déclaré à la presse. Un message qui vise à rassurer les alliés européens, inquiets d’être tenus à l’écart des tractations menées par Washington et Moscou.

Reste à savoir si cette promesse se traduira par une réelle implication européenne dans les discussions à venir. Pour l’instant, l’Union européenne attend des réponses. «Après la sidération, il y aura de l’action», conclut Raoul Delcorde.

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