Amr Al Absi © .

L’homme qui a menti sur son serment de fidélité: qui était le leader de l’État islamique Amr Al Absi ?

Pieter Van Ostaeyen Arabiste et islamologue spécialisé dans le jihad international

Qui était Amr Al Absi, le « gouverneur EI » d’Alep tué dans des bombardements ? Pieter van Ostaeyen, spécialisé en jihad, dresse le portrait d’un homme qui louvoyait entre Al-Qaïda et l’EI, dirigeait un groupe de Belges et de Néerlandais, et qui a menti sur son serment de fidélité.

Le 3 mars 2016, on a appris qu’un des leaders de l’État islamique en Syrie avait été tué lors d’un bombardement de la coalition internationale. En soi, c’est le genre de nouvelles qu’on entend tous les jours, si ce n’est que cette fois il s’agit d’Amr Al Absi, également connu sous le nom d’Abu Athir Ashami.

Abu Athir Ashami était le dirigeant général de l’État islamique et de la province syrienne d’Alep – certains prétendent même qu’il dirigeait toutes les opérations en Syrie. On a prétendu aussi qu’il avait assuré la production de vidéos de propagande pour l’État islamique en collaboration avec un Belge de la province d’Anvers.

Les lions du Sunna

L’homme a d’autres faits remarquables à son actif. Depuis le début de la guerre civile en Syrie, Abu Athir et son frère Sheikh Abu Muhammad (Firas) Al Absi étaient les leaders de l’un des principaux groupements jihadistes de la province d’Alep. Firas a fondé le groupe, d’abord connu sous le nom d’Usud as-Sunnah (Lions du Sunna), plus tard Majlis Shura Dawlat al-Islam et finalement Majlis Shura al-Mujahidin. C’est sous ce dernier nom que le groupe a été régulièrement cité dans les médias internationaux en 2012 et 2013.

Le 19 juillet 2012, le groupe conquiert le poste frontière stratégique de Bab Al Hawa et y hisse le drapeau noir de l’ennemi. Comme la frontière entre la Syrie et la Turquie est contrôlée par le groupe, les routes utilisées par une bande de trafiquants (les brigades Farouq) sont coupées. Firas, le frère aîné, en fait les frais : fin août 2012, il est abattu dans les rues de Reyhanli en Turquie, près de la frontière. Abu Athir jure de se venger, retrouve la bande et les fait tous exécuter.

Houssien Elouassaki

C’est peu après que les premiers ex-membres de Sharia4Belgium arrivent en Syrie. L’un d’entre eux, l’habitant de Vilvorde Houssien Elouassaki, souhaite rejoindre Jabhat al-Nosra, la branche d’Al Qaïda en Syrie, mais ne réussit pas à entrer. L’affiliation à Nosra est soumise à des conditions strictes, il faut être recommandé par au moins deux membres du groupe. Comme Houssien n’a pas de contact dans le groupe Jabhat al-Nosra, il est obligé de s’affilier ailleurs.

Après quelques vaines tentatives de traverser la frontière turco-syrienne, il décide de rejoindre Al Absi en voyant le drapeau noir du jihad flotter au-dessus du poste frontière de Bab Al Hawa. Très vite, d’autres Belges contactent Houssien qui rapidement endosse un rôle clé dans le recrutement de jihadistes étrangers pour Majlis Shura al-Mujahidin.

Abu Athir et son groupe se « spécialisent » dans l’enlèvement de riches Syriens et de journalistes dans l’espoir de toucher des rançons. Lors de l’été 2012, les premières hostilités avec l’Armée syrienne libre (ASL) éclatent.

En octobre 2012, le groupe occupe un palais et une villa (avec piscine) dans le village de Kafr Hamra près d’Alep. C’est à cette époque qu’un groupe de plus de 150 jihadistes belges et néerlandais rejoignent Majlis Shura al-Mujahidinpa via Elouassaki. En reconnaissance de sa fidélité et de l’afflux énorme de combattants, Al Absi nomme Houssein Elouassaki émir (leader militaire) des Muhajirin.

En janvier 2013, le groupe compte plus de 600 combattants. C’est l’un des plus grands groupements jihadistes de la Syrie du Nord. Cependant, Haji Bakr, l’un des lieutenants d’Abou Bakr al-Baghdadi, est parti en Syrie du Nord sur ordre du dirigeant de l’État islamique en Irak et au Levant pour préparer la venue de l’EI en Syrie. À l’insu de ses hommes, Al Absi prête le serment de fidélité à Baghdadi et commence à préparer la fondation d’un nouveau califat en collaboration avec Haji Bakr. Al Absi propose d’envoyer des messagers aux quatre coins du monde islamique pour demander aux jihadistes de prêter serment à Baghdadi, le futur calife.

Des messagers partent pour la Tchétchénie, l’Afghanistan, le Yémen, la Libye, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc et le Sinaï. Le but était de couper l’herbe sous le pied à Al-Qaïda et de fonder un nouveau califat jihadiste. Au Yémen, en Afghanistan et au Maroc, personne ne répond à la requête. Seuls quelques jihadistes anonymes du Sinaï, de la Tunisie et de la Libye réagissent à l’appel. En récompense de ces services, Baghdadi nomme Al Absi gouverneur de la province d’Alep.

Al Absi a menti à ses djihadistes étrangers et a prétendu qu’il avait prêté serment à Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda et au chef des talibans, le mollah Omar. Dès que le cheik al-Zawahiri ordonnerait à Abou Bakr al-Baghdadi de retourner en Irak, ce dernier obéirait, prétend Al Absi aux partisans d’Al-Qaïda parmi ses disciples. Lui et d’autres leaders d’Al-Qaïda ont délibérément caché une lettre dans laquelle le chef d’ Al-Qaïda écrivait que l’EI n’avait pas le droit d’exister en Syrie et qu’il devait retourner en Irak. Abou Bakr al-Baghdadi a refusé et on connaît la suite : un duel idéologique entre Jabhat al-Nosra et l’Etat islamique.

Suite à ce duel, une série de Belges et de Néerlandais se sont détachés de Majlis Shura al-Mujahidin sous la houlette d’Elouassaki pour rejoindre Jabhat al-Nosra. Les autres ont rejoint Raqqa en mai 2013. Jusqu’à aujourd’hui, d’anciens amis sont à couteaux tirés. Le duel entre Jabhat al-Nosra et l’État islamique fera sans nul doute l’objet d’autres recherches.

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