L’heure du carnaval à Rio, entre féérie et politique (en images)
Vibrez-vous pour la rouge et blanche? Pour la verte et rose? Ou bien votre coeur bat-il pour la bleue et blanche? Les prestigieuses écoles de samba défendront leurs couleurs dimanche soir dans « le plus grand spectacle de la Terre »: le carnaval de Rio.
« Jour de grâce », chantait Candeia, l’un des grands de l’histoire de la samba, dans une chanson poignante consacrée à ce rendez-vous annuel. Jour de joie et de foi.
Ce sera la communion deux nuits de suite, dimanche et lundi, dans le chaudron du Sambodrome. Signé de l’architecte Oscar Niemeyer, le monument de béton, qui fête ses 40 ans, abrite l’avenue Marques de Sapucai, une artère de 700 mètres de long flanquée de tribunes aux 70.000 places.
Ce sera l’enchantement des chars monumentaux, des danseuses et danseurs aux costumes étincelants, et la puissance des « batteries », des sections rythmiques à réveiller les morts.
Histoire et identité
Mais à travers la féérie, c’est du Brésil, de son histoire et de son identité que les écoles parleront.
« Champ de recherche artistique » et « critique sociale » vont de pair au carnaval, explique à l’AFP Vivian Pereira, membre du groupe d’étude indépendant Quilombo do samba.
« Les écoles de samba sont attentives au contexte social, politique, et elles se servent de leur espace, de l’heure qu’elles vont passer sur l’avenue Marques de Sapucai, pour s’exprimer sur ces thèmes », ajoute cette jeune femme passionnée.
Au programme: exaltation de figures noires méconnues, ou très connues comme la chanteuse Alcione, évocation de traditions plongeant leurs racines en Afrique mais aussi honneur rendu aux communautés indigènes.
L’école Salgueiro célébrera la vision du monde des Yanomami, peuple d’Amazonie affrontant une grave crise humanitaire causée par les incursions d’orpailleurs illégaux.
Lula après Bolsonaro
Avec le retour au pouvoir l’an dernier du leader de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, le ton général paraît globalement moins offensif qu’il ne l’était durant les quatre années de mandat de Jair Bolsonaro.
Le carnaval bat son plein alors que l’ex-président d’extrême droite, qui n’a jamais caché son peu de sympathie pour cette culture, est plus que jamais menacé par la justice. Elle mène une vaste enquête sur une présumée « tentative de coup d’Etat » qui aurait été mise en place par le camp Bolsonaro pour conjurer sa défaite électorale en 2022.
La samba a été inventée il y a un siècle par les communautés descendantes des esclaves africains conduits de force au Brésil. Depuis lors, elle est l’emblème de la culture populaire du pays, et de Rio.
Jours de grâce, jours de clash aussi: six écoles défileront la première nuit, les six autres la suivante, un parcours censé durer pour chacune de 60 à 70 minutes. Toutes se préparent depuis un an pour arracher le titre de championne.
Leur sort sera tranché par des jurés sur la base de critères précis, qualité des chars « allégoriques » et des costumes, choix du thème ou chorégraphie.
Jours de reais aussi: les festivités cariocas doivent générer 5,3 milliards de reais (un milliard d’euros) pour l’économie. La publicité s’en donne à coeur joie. Une marque de bière a dégainé une collection de canettes aux couleurs de chacune des 12 écoles rivales.
« Citoyenneté ludique »
Pour que la criminalité aiguë ne gâche pas la fête, des milliers de policiers sont déployés dans toute la région le temps du carnaval, notamment aux abords du Sambodrome.
Autre préoccupation: une épidémie de dengue qui a déjà fait une cinquantaine de décès confirmés au Brésil. Des répulsifs anti-moustiques seront distribués aux spectateurs.
Parallèlement, le carnaval de rue, emmené par les « blocos » et leurs cortèges musicaux, se déchaîne en journée, des secteurs privilégiés jusqu’aux quartiers populaires.
Samedi, dans le quartier chic d’Ipanema, connu pour sa plage de rêve, un « bloco » a drainé une foule bigarrée, court vêtue et joyeusement alcoolisée en rendant hommage à Conceiçao Evaristo, figure des lettres brésiliennes.
Pour l’occasion, la grande écrivaine noire a formulé dans le journal O Globo un voeu à propos du carnaval et de son pays perclus d’inégalités: « Que ce moment de fête transforme, ou qu’il puisse traduire les relations sociales, économiques et politiques dans le quotidien du Brésilien, et que tout le monde soit intégré, non par une citoyenneté ludique, mais par une citoyenneté de droit ».