Thierry Bellefroid
« Lev Yachine, gardien de la cause de Poutine »
Cher Lev Yachine, ainsi donc, de Moscou à Sotchi, de Saint-Pétersbourg à Saransk ou de Iekaterinbourg à Kaliningrad, on célèbre le football depuis quelques jours. Et qui voit-on sur l’affiche officielle de ce Mondial ? Vous, l’Araignée noire. En pleine détente, arrêtant de votre seule main gauche un ballon-terre où le monde et la confédération russe semblent étrangement se confondre
Vous, le mythique gardien de l’équipe russe des années 1950-1960, l’homme qui garda ses buts intacts durant 270 rencontres officielles, qui résista au grand Pelé et qui stoppa 150 penaltys dans sa carrière. Nous, en Belgique, on a toujours aimé les gardiens de but de légende. Jean-Marie Pfaff en est la preuve vivante. Tout comme Michel Preud’Homme. Christian Piot, Jean Nicolay, Gilbert Bodart (gardien ET buteur ! ) et, plus récemment, Thibaut Courtois complètent la liste. Aucun d’entre eux n’a toutefois la moindre chance de figurer un jour sur l’affiche officielle d’un tournoi mondial. Qu’avez-vous de plus qu’eux, cher Lev ? Rien. Tout. En réalité, pour être une légende, il faut écrire sa légende. C’est ce que fit pour vous le régime soviétique.
Repéré pendant votre service militaire, vous devez devenir défenseur, mais le destin en décide autrement. Un jour, vous découvrez le plaisir d’être le portier, celui qui voit tout, celui qui remplace, d’une certaine manière, l’entraîneur et le capitaine dans la première moitié de terrain. Pourtant, on vous oriente vers un autre sport et votre première carrière se fera dans le hockey. En 1953, vous gagnez la Coupe de l’URSS et jouez parallèlement au football durant l’été. Un an plus tard, vous avez l’opportunité d’entrer dans l’équipe nationale de hockey. Et, contre toute attente, vous déclinez, préférant le foot où vous rêvez depuis longtemps de briller comme gardien de but. Ce sera votre chance. Du Dynamo Moscou à l’équipe soviétique, du Mondial aux J.O. en passant par l’Euro, vous allez dominer le football du haut de vos presque deux mètres, inventant l’arrêt boxé et opérant des détentes inouïes en prenant tous les risques. Vous deviendrez une star nationale, un élève modèle du système : bon soldat, ambassadeur du régime, modeste et flamboyant à la fois.
Sur l’affiche de ce Mondial 2018, le premier organisé en terre soviétique – non : en terre russe, pardon, l’affiche prête un peu à confusion -, vous êtes donc cet homme-rempart, affublé d’une casquette un peu rétro mais très soviet, Hergé n’aurait pas fait mieux ! Comment vivez-vous ce regain de notoriété, cher Lev Ivanovitch ? Comment gérez-vous cette quasi-résurrection médiatique ? En observant cette image officielle, on s’aperçoit que la pose ne trompe pas. De gardien de but, vous êtes devenu gardien du but dépositaire, pourrait-on dire, de la cause de Vladimir Poutine. Vous tenez le monde au creux de votre main. Ce n’est pas l’ambition sportive de l’équipe nationale russe de 2018 que vous incarnez. C’est celle d’une Russie toujours conquérante et fière. Vous qui avez reçu la médaille de Lénine en 1967 et le Ballon d’or en 1963 (seul gardien à l’avoir reçu, qui plus est), vous qui avez toujours mêlé l’amour du sport à l’ambition russe, vous faites parfaitement l’affaire pour ce job de gardien de l’Ordre.
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