Franklin Dehousse
L’Europe en crises: les gouvernements n’ont pas encore conscience de l’ampleur des menaces (chronique)
Guerre en Ukraine, hausse des prix, énergies, Covid… L’Europe fait face à de multiples crises. Même si les gouvernements nationaux ne semblent pas encore se rendre compte de leur ampleur.
Plus encore que le coronavirus, l’Ukraine emmène l’Europe dans une spirale de crises. A l’origine se trouve évidemment la crise militaire. La plus grande guerre continentale depuis 1945 a révélé toute l’imposture des nombreux plans d’ « Europe de la défense ». Son symbole le plus dérisoire: un général allemand pleurnichant sur Internet au sujet de l’absence globale de moyens. L’Union européenne a rajouté encore à son ridicule en adoptant un « compas stratégique », qui prévoit à terme une force d’intervention commune de cinq mille hommes. Voilà qui doit dérider Vladimir Poutine dans ses soirées lugubres au Kremlin.
Derrière vient la crise de l’énergie. L’augmentation des prix, déjà visible avant l’invasion russe, a été fortement aggravée par celle-ci. Le spectre d’un arrêt des importations européennes de pétrole et de gaz russes déstabilise, en plus, les prévisions. Il a suscité une grande course aux alternatives, dont aucune (renouvelable, LNG, nucléaire, charbon) n’est simple. De plus, aucune n’est bon marché et toutes, sauf le charbon, requièrent des investissements lourds et longs.
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Cela mène à la troisième crise: l’économique. Depuis 2020, la pandémie a entraîné des pertes de croissance, une forte détérioration des finances publiques, des problèmes dans les chaînes de production. Loin de l’amélioration espérée en 2022, la guerre en Ukraine risque de provoquer une nouvelle détérioration, accentuée par l’inflation. Cela placerait la Banque centrale européenne et les budgets nationaux face à des choix cornéliens. Il est fort difficile de naviguer sur des vagues simultanées d’inflation et de récession.
Après vient la crise des réfugiés. Depuis le début de la guerre, quelque quatre millions de personnes ont fui l’Ukraine, pour l’essentiel vers l’Union européenne et spécialement la Pologne et les pays à l’Est. Leur masse réquérera des financements, mais aussi un débat sur leur répartition. La question attire également l’attention sur le caractère expansif de ces crises. Plus la guerre durera, plus elles prendront de l’intensité.
Après encore vient la pandémie, calmée mais non terminée, et toujours à la merci d’un nouveau variant. La guerre crée un nouveau foyer aux portes de l’Union, spécialement dans des Etats membres à vaccination faible.
De plus, ce contexte peut provoquer une montée du populisme, comme le montrent les récentes élections en Hongrie, en Serbie et en France. La solidarité dans l’Otan pourrait, en outre, être secouée par les élections américaines de mi-mandat en novembre, annoncées jusqu’ici comme un gros échec du président Biden. Tôt ou tard, du moins, des politiciens américains demanderont pourquoi les Etats-Unis contribuent plus à une guerre européenne que les pays européens.
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Cette dangereuse multicrise fera pâlir les précédentes. Certes, la Commission et le Parlement européens ont effectué des propositions utiles. Elles sont toutefois freinées par le Conseil européen. Les gouvernements nationaux n’ont pas encore conscience de l’ampleur des menaces. Les propositions elles-mêmes demeurent très insuffisantes. Après la crise financière de 2008, l’Europe a été inefficace et a eu la pire performance économique de la planète pendant huit ans. Comme toujours, son grand défi est d’adopter et de mettre en oeuvre une stratégie proportionnelle à la menace.
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