Leur vie est un feuilleton: Lalla Salma, princesse fantôme du Maroc
L’ex-épouse de Mohammed VI – qui vient de fêter ses vingt ans de règne – a connu les affres de la disgrâce. Mais nul ne peut ôter à cette roturière sa dignité de mère du futur roi.
Episode 1 – Où l’on devine, dans la touffeur de l’été, les infortunes d’une altesse portée disparue
Un conte de fées revu et corrigé par Machiavel. Une mélopée orientale dont on aurait confié la partition aux Borgia. Rien n’y manque. Ni le souverain de droit divin, replet, indolent et lointain, ni la roturière à la crinière flamboyante et au teint diaphane, candide puis rebelle, lasse de se morfondre en sa cage dorée, et dont on a perdu la trace une année durant. Tout y est. Les prémices d’un divorce à moitié clandestin, les mesquines intrigues d’antichambres, le zèle de courtisans serviles, le virus du complot, le poison de la suspicion, les ravages de la jalousie. Les rares initiés qui consentent à guider l’étranger dans les tortueux dédales des palais du royaume avancent masqués. Tous ou presque requièrent l’anonymat. Sur le Maroc éternel règnent Mohammed VI, 23e monarque de la dynastie alaouite, et la loi du » off « . » De grâce, ne me citez pas ! » Logique. L’intimité de la famille régnante et ses secrets sacrés relèvent encore du tabou majuscule. Murmures et chuchotis pour les plus audacieux. Silence de plomb chez les autres.
Au soir de son règne, Hassan II a sommé le prince héritier de prendre femme.
Si elle pimente parfois la rubrique » Têtes couronnées » des magazines people, si elle dope les audiences d’une flopée de médias digitaux plus ou moins frondeurs, la destinée ô combien romanesque de Lalla – la princesse – Salma, épouse déchue de Sa Majesté, aurait sa place dans un traité de sociologie politique maghrébine. Tant elle éclaire, fût-ce en creux, les doutes d’une monarchie tiraillée entre le respect dû à une tradition sacro-sainte, d’intenses frustrations sociales et le désir, irrépressible, de modernité politique.
Saisissante jusque dans son anachronisme, la scène date du 31 juillet dernier. Ce mercredi-là, sur l’esplanade du palais de Tétouan (nord), une foule de dignitaires, tous vêtus d’une djellaba immaculée à capuche pointue, sacrifient au rituel d’allégeance, point d’orgue de la Fête du Trône. Avec d’autant plus de ferveur que le royaume chérifien célèbre cette année le 20e anniversaire de l’intronisation de » M6 « , fils et successeur de l’implacable Hassan II. Par vagues, ils se prosternent devant un Commandeur des croyants drapé dans une cape jaune d’or et juché sur un étalon noir indocile. Au coeur de l’escorte du roi – » que Dieu l’assiste « , selon la formule de rigueur -, un ado mince et grave en tenue militaire d’apparat : son aîné, Moulay Hassan, 16 ans, prince héritier de son état.
Las ! ces fastes immémoriaux peinent à chasser les miasmes d’un été calamiteux. Onze jours plus tôt, l’avocat français Eric Dupond-Moretti, conseil du monarque, a adressé à l’hebdomadaire Gala une mise au point aussi ferme dans la forme que sibylline sur le fond. » Le roi du Maroc et son ex-épouse Lalla Salma, écrit le Falstaff des prétoires, font conjointement savoir que les rumeurs de fuite ou de séquestration d’enfants qui circulent depuis le début du mois sont intolérables. » Quel crime de lèse-majesté a pu commettre le titre emblématique du groupe Prisma pour s’attirer un tel blâme ? Il a relayé l’article d’un site Web imputant à un oukase du souverain l’absence alléguée de Lalla Khadija, 12 printemps, la fille du couple, au côté de sa mère et de son frère lors de leur escapade estivale sur l’île grecque de Skiathos, confetti paradisiaque de l’archipel des Sporades, en mer Egée. » Scoop bidon, objecte un familier de la monarchie, pourtant peu suspect de complaisance envers le makhzen – la caste au pouvoir. Les deux enfants ont bel et bien accompagné leur maman. Cela posé, cette riposte atteste le degré d’exaspération de M6. » De fait, le Palais s’abstient d’ordinaire de réfuter les » ragots » qu’inspirent ses fêlures.
Comment dit-on » billard à trois bandes » en darija, l’arabe dialectal marocain ? Le communiqué précité évente, de manière détournée, un secret de polichinelle. En invoquant le courroux supposé de » l’ex-épouse « , il officialise un divorce consommé seize mois auparavant, mais ni confirmé ni démenti depuis lors ; même si divers médias déférents ont entre-temps authentifié une séparation révélée par le magazine espagnol ¡Hola!, quitte à épuiser le catalogue des litotes. Le roi, qui soufflait le 21 août ses 56 bougies, n’a pas ces pudeurs. De l’aveu de deux témoins privilégiés, le descendant du Prophète assume sans détour son statut de divorcé. » Jamais, insiste l’un d’eux, ¡Hola !, qui publie au Maroc une édition francophone, n’aurait pris le risque de balancer son exclu sans un aval venu d’en haut. » La preuve ? Selon des confidences glanées par l’hebdo glamour ibérique dans les couloirs du palais, la fracture serait, va pour le pléonasme, » définitive et irrévocable « .
Les vacances hellènes de Lalla Salma et de sa progéniture, convoyées le 6 juillet à bord d’un jet des Forces aériennes royales, méritent une brève escale. Autant pour leur traitement par les poètes de cour du makhzen que pour la splendeur des plages de Koukounaries. La princesse en rupture de ban a-t-elle bien loué sur place le yacht Serenity, au tarif de 600 000 euros la semaine ? Mystère. » Une certitude, avance un insider : les médias aux ordres ont reçu instruction de diffuser l’info. » D’autres, ou les mêmes, profiteront de l’occasion pour rappeler que » l’ex-épouse « , née Salma Bennani voilà quatre décennies, possède sur la très huppée île de Kéa, à l’entrée des Cyclades, une luxueuse résidence – sept chambres, neuf salles de bains et une piscine aux dimensions quasiment olympiques – acquise, selon un canard athénien, pour la modique somme de 3,8 millions d’euros. Et tant pis si, aux dires d’un parent de Sa Majesté, ce domaine appartient en réalité à Lalla Asma, l’une des soeurs du souverain…
On a le sens du timing ou pas. ¡Hola! sort sa bombinette matrimoniale le 21 mars 2018. Seize ans jour pour jour après la signature, en présence des seules familles et devant les adoul – notaires en droit musulman -, de l’acte de mariage. Seize ans ? Soit, sous nos latitudes, les noces de saphir. En l’occurrence, un saphir taillé à la hâte et au burin. Les amateurs de bluettes princières en seront pour leurs frais : les épousailles ainsi scellées s’apparentent à une union de façade, dictée par l’impérieuse nécessité de perpétuer la dynastie et de sauver les apparences.
Disons-le tout net. Guère attiré par la gent féminine, le jeune souverain n’avait aucune envie de convoler. » Au soir de son règne, Hassan II l’a sommé de prendre femme « , soutient un vétéran des us et coutumes du royaume. Volonté exaucée, certes, mais trois ans après le trépas de celui qui régenta le royaume à la cravache trente-huit années durant. » Salma savait fort bien à quoi elle s’exposait, avance un ancien as du renseignement français, familier des ombres de la cour. Consciente des inclinations de son époux, elle ne pouvait escompter ni félicité conjugale, ni nuits d’ivresse. » » Mais comment une fille d’une vingtaine d’années aurait-elle pu refuser une telle faveur ? nuance un autre » makhzénologue » averti. Sans doute était-elle assez naïve pour imaginer infléchir le cours des choses. »
A l’époque, le choix de l’élue déroute quelque peu les chancelleries et les élites locales. » L’usage, note Michel de Bonnecorse, ambassadeur de France à Rabat de 1995 à 2002, voulait que le souverain épousât une femme venue d’une tribu berbère influente, histoire de consolider l’unité du royaume. M6, lui, a jeté son dévolu sur une Arabe de souche, issue de la moyenne bourgeoisie fassie. » En clair, native de Fès (nord-ouest), capitale spirituelle du royaume.
Il n’en fallut pas davantage pour que, dans les gazettes, le moulin à clichés s’emballe. Hommage à la » fille du peuple « , à la » Cendrillon marocaine « . On se calme. Salma n’a rien de l’infortunée souillon réduite en esclavage par une infâme marâtre. Son père, prénommé Abdelhamid, enseignait à l’Ecole normale supérieure de Fès. Orpheline de mère dès l’âge de 3 ans, la gamine sera élevée par sa grand-mère, Fatima Abdellaoui, établie à Rabat, en lisière du quartier populaire d’Akkari. Une aïeule vénérée dont le décès, survenu en novembre 2018, plongera Salma dans une profonde affliction. A l’école, la petite Bennani accomplit un sans-faute. Bosseuse, elle empoche en 1995 un bac scientifique, mention bien. Suivent pour la matheuse deux années de classes préparatoires au lycée Moulay Youssef, prélude à son entrée à l’Ecole nationale supérieure d’informatique et d’analyse des systèmes. Majore de sa promotion, l’ingénieure en herbe décroche un stage à l’Omnium nord-africain, conglomérat géant et propriété du clan royal.
Episode 2 – Où l’on apprend qu’une « Cendrillon » avenante peut se hisser un temps au rang d’icône moderne
C’est dans cette période, quelques mois avant le trépas d’Hassan II, que Salma aurait rencontré, lors d’une soirée privée, le futur souverain. Viendront ensuite les fiançailles, annoncées à l’automne 2001, puis le mariage, contracté comme on l’a vu à l’orée du printemps suivant. Programmées en avril, les festivités seront différées d’un trimestre. Et ce par égard pour les » frères » palestiniens des territoires dits autonomes, théâtre d’une offensive dévastatrice d’Israël.
Les sujets du royaume ne perdent rien pour attendre. Etalées sur trois jours, du 12 au 14 juillet, les réjouissances, auxquelles sont conviés 200 couples de jeunes mariés provinciaux, Bill Clinton et sa fille Chelsea, plusieurs fils du Guide libyen Mouammar Kadhafi, ou encore le futur chef de l’Etat gabonais Ali Bongo, grand copain de M6, ont de quoi éblouir le plus blasé des chroniqueurs mondains. Aussi suave qu’une pastilla, un film de commande made in France dépeint l’éclat d’un cérémonial strictement codifié par une tradition un rien patriarcale. Générique excepté, il faut attendre la 25e minute d’une vidéo de trois bons quarts d’heure pour entrevoir la silhouette, voilée de pied en cap, de l’épousée. Et la 39e pour contempler enfin son visage radieux, ses boucles auburn, son diadème étincelant et ses pommettes pailletées d’or.
Trêve de persiflage. Si formelle soit-elle, cette union bouscule un ordre séculaire. Pour la première fois, la femme du monarque se voit gratifiée du titre d’altesse royale et hissée au rang de princesse, dignité réservée jusqu’alors aux filles et aux soeurs des souverains. » Sur ce front-là, Mohammed VI a indéniablement ouvert une ère nouvelle, admet un dissident exilé. Mieux, il a opté pour la monogamie, dissous le harem et accordé à sa compagne une visibilité inédite dans l’espace public. On lui doit aussi le dépoussiérage, dès 2004, du Code de la famille, la moudawana. Réforme d’une ampleur limitée, certes, mais décrétée en dépit de la sourde hostilité des cénacles conservateurs. »
Jusqu’alors, le lexique en vigueur cantonnait l’épouse officielle au statut de » mère du prince » – Oum Sidi – ou de » mère des enfants royaux « . Maman de l’actuel souverain alaouite, la Berbère Fatima Amahzoune, alias Lalla Latifa, respecta loyalement sous Hassan II son devoir de discrétion. » Dès lors qu’elle a pondu un ou deux héritiers mâles, assène un diplomate rompu aux énigmes du makhzen, la favorite s’est acquittée de sa mission. »
Une tout autre vocation échoit à Lalla Salma tandis qu’éclosent, à l’aube du nouveau millénaire, les promesses d’un frisquet » printemps marocain « . Celle d’icône de l’ouverture, d’emblème d’une sage modernité. A l’évidence, ce rôle lui sied et lui plaît. Bien sûr, l’éphémère ingénieure en informatique ne prétend ni à la qualité de reine ni même à celle de première dame. Il n’empêche : elle en adopte certains des attributs, notamment dans l’arène caritative. Témoin, la naissance, dès 2005, de la Fondation Lalla Salma pour la prévention et le traitement des cancers. Laquelle épaule et finance neuf hôpitaux, 24 centres de dépistage et une demi-douzaine de » maisons de vie « , havres appelés à héberger les patients. » Un engagement sincère et passionné « , tranche un observateur averti. » La princesse ne fait pas ça pour la photo, certifie en écho l’ancien ministre français de la Santé puis des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy, reçu à deux reprises au siège de la Fondation. Elle connaît son sujet. » Si, des remparts de Marrakech au casino d’Estoril (Portugal), Salma sacrifie aux rites des soirées de gala chères aux First Ladies en quête de fonds, avec stars du show-biz, patrons en vue et figures de l’aristocratie européenne, elle sort volontiers du halo des sunlights. Pour preuve, ce reportage de la RTI, la télévision ivoirienne, qui, en mars 2014, couvre sa visite du service d’oncologie pédiatrique du CHU de Treichville, commune d’Abidjan. On la voit, prévenante et maternelle, s’agenouiller auprès d’enfants foudroyés par le fléau, les étreindre et les embrasser.
Hors de la sphère humanitaire, la pionnière, qui parle l’arabe, le français, l’anglais, et balbutie le castillan, ne se sent pas davantage astreinte à jouer les potiches. Ambassadrice de bonne volonté de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2006, elle livre de tribunes en sommets des discours convenus mais argumentés. Initiée au Royaume-Uni et en Allemagne aux rudiments de l’étiquette, Salma s’entretient avec l’empereur du Japon ou le roi de Thaïlande, et reçoit en sa résidence tantôt le couple Sarkozy, tantôt Charles d’Angleterre, flanqué de sa compagne, Camilla. Lorsque, en juin 2017, les Macron atterrissent à Rabat, la princesse les accueille au pied de l’échelle de coupée au côté de son royal époux. Quitte à tendre la joue à Brigitte pour une bise fort peu protocolaire, dont s’extasient en choeur Paris-Match et Le Monde. Les rubricards de » l’actualité heureuse » louangent sa fraîcheur et son élégance, qu’elle arbore un tailleur griffé Chanel ou un caftan finement brodé aux reflets moirés. En avril 2011, à l’heure des noces du prince William et de Kate Middleton, les lecteurs du magazine britannique Hello lui décernent le trophée d' » invitée la plus élégante « .
En ce temps-là, la jeune mariée paraît intouchable. Alors rédacteur en chef de l’hebdo Al-Jarida al-Oukhra (L’Autre Journal) , Ali Anouzla l’apprend à ses dépens. Pour avoir, en 2005, osé dévoiler quelques-uns des péchés mignons de Salma – dont le tajine aux carottes et la marche nu-pieds sous les ors du palais -, il déclenche la colère des censeurs. Dans un courrier solennel et menaçant, le chef de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie, qui a rang de ministre, lui reproche de divulguer ainsi » les détails les plus intimes de la vie privée de Son Altesse « . Le makhzen a la rancune tenace. Depuis cette incartade, le journaliste, qui aggravera son cas en évoquant la santé du roi ou les visées d’Al-Qaïda sur le royaume, godille de procès en procès.
Enclins à couvrir d’éloges la » Cendrillon » fassie, les médias européens n’encourent point pareil châtiment. En juillet 2013, dans les colonnes de Jeune Afrique, Leïla Slimani, future Prix Goncourt, brosse un portrait inoffensif de » la princesse aux pieds nus « , » devenue l’ambassadrice d’un Maroc moderne « . Trois ans plus tard, l’hebdomadaire panafricain la noie sous un torrent d’épithètes flatteuses. » Modeste, intelligente, douce, rayonnante, éloquente, subtile, ravissante, charismatique, combative. » N’en jetez plus, la cour se pâme.
Episode 3 – Où l’on découvre que, à l’instar des histoires d’amour, les contes de fées finissent mal, en général
Illusion d’optique. Car l’envers du décor du » Lallaland » bruisse d’aigres griefs. Dès l’origine, la garde rapprochée du monarque n’a toléré qu’à contrecoeur l’irruption de cette hors-caste, étrangère au sérail chérifien. Parmi ses procureurs les plus tenaces, les trois soeurs de Sa Majesté, Meryem, Asma et Hasna, avides de reconquérir, au gré des impératifs protocolaires, leur statut de First Ladies de substitution, qu’il s’agisse de présider à Fès l’ouverture du Festival des musiques sacrées du monde ou de tenir compagnie à une première dame en visite.
Hier parée de toutes les vertus, propulsée sur l’avant-scène, la princesse glisse peu à peu hors des écrans radars et de la presse people. Sa dernière apparition publique ? Le vernissage, le 12 décembre 2017, au Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain, d’une expo dédiée au peintre Mohamed Amine Demnati. » Look resplendissant, chevelure lissée et nouvelle palette de maquillage « , note Point de vue. En février 2019, ce miroir papier glacé du gotha signe une manière d’exploit : un reportage révérencieux de huit pages sur la visite des souverains de la maison d’Espagne, Felipe VI et Letizia, sans la moindre allusion à l’absente, suppléée par Lalla Meryem. Tout juste apprend-on, par le biais d’une tournure alambiquée, que le successeur de Juan Carlos et la reine ont été accueillis par » presque toute la famille royale « .
L’escamotage, qui durera treize mois, alimente entre Toile et réseaux sociaux les rumeurs les plus dingues. Au choix, l’altesse portée disparue serait exilée, recluse et assignée à résidence dans un lieu tenu secret ou possédée par un djinn maléfique. Selon une variante gore, elle aurait été poignardée, mortellement ou pas, par l’une de ses belles-soeurs.
Diffusé par l’agence de presse marocaine MAP en février 2018, un cliché entérine la disgrâce. On y voit M6, alité dans une chambre de la clinique Ambroise-Paré de Neuilly-sur-Seine, près de Paris, où il vient d’être opéré d’une arythmie cardiaque, et entouré de ses intimes : le trio des soeurettes, le frère, Moulay Rachid, et les deux rejetons royaux, Moulay Hassan et Lalla Khadija. Ne manque sur cette touchante photo souvenir que l’épouse du convalescent. » Elle a fait des pieds et des mains pour y aller, confie un proche. Mais en vain. Le roi ne voulait pas la voir et l’a fait savoir. » Qu’à cela ne tienne. Cette prétendue dérobade déchaîne la verve vengeresse d’un site quasiment inconnu au bataillon, Le Crapouillot marocain, dont la prose inonde en outre les boîtes mail de dizaines de journalistes.
Le 27 février, le justicier digital stigmatise la désinvolture de la » princesse dilettante « , » fichtrement indifférente à cette osmose familiale « , coupable d’avoir préféré » les rues ensoleillées de Marrakech » à » l’hiver glacial de la Ville Lumière » et » plus obnubilée par l’entretien de son image glamour que par le devoir naturel de veiller au chevet de son mari « . Trois jours plus tard, nouvelle salve. Haro cette fois sur le » narcissisme » de l’intéressée, son » ego démesuré « , son attitude » dédaigneuse et méprisante « , son caractère » colérique et agressif « . Mais aussi sa propension à s’obstiner, » malgré les rappels à l’ordre récurrents de son époux, à croiser le fer avec les membres de la royale belle-famille, l’entourage du souverain et le personnel à son service « . A l’évidence, ce double libelle sent le jus d’officine à plein nez. » Mais ne vous y trompez pas, insiste un affranchi du sérail. C’est bien M6 qui en a dicté la tonalité. Les mots sortent de sa bouche. » Pour autant, la même source n’absout pas totalement la proscrite. » Elle a pu se montrer immature et arrogante. Mais je tends à voir dans cette brusquerie le mal-être d’une femme isolée, lâchée par les siens. »
Isolée, sinon humiliée, à en croire les anecdotes cueillies au sein même de la coterie alaouite. A l’été 2016, Salma décide de rejoindre par la route son conjoint à Tétouan, l’un des lieux de villégiature favoris de ce fan de jet-ski, de voilier et de soirées entre potes. Mais se voit refoulée par un barrage de gendarmerie. Un autre camouflet s’ensuivra. La princesse prétend cette fois retrouver le monarque en Asie. Impossible, objecte celui-ci, mon avion est cloué au sol pour cause de révision technique. Aussitôt, l’altesse de moins en moins royale fonce à la base aérienne de Rabat pour apprendre de la bouche d’un général qu’un jet y est » à la disposition de Sa Majesté « .
La discorde prend parfois un tour fracassant. Notamment quand elle porte sur l’éducation du prince héritier, qu’une robuste complicité lie à sa mère. Fin 2017, Mohammed VI juge le moment venu, pour son aîné, de quitter le nid familial et de voler de ses propres ailes. » J’ai été éduqué ainsi par mon père, à la dure « , argue-t-il. Riposte de l’insoumise, telle que rapportée par une source fiable : » On voit le résultat ! » Vaine ruade : à la rentrée 2018, le successeur file à Marrakech, où il suit les cours du Collège royal préparatoire aux techniques aéronautiques. » En l’éloignant ainsi, souligne notre expert, M6 espère le soustraire à l’influence maternelle. » » Retour à la case départ, soupire une étudiante dépitée. Dès lors que la femme du chef a accompli sa tâche de génitrice, plus besoin d’entretenir la fiction conjugale. » En matière de géopolitique matrimoniale, rien n’est anodin. Le Commandeur des croyants tient, semble-t-il, à installer son » ex » ailleurs que dans la résidence de Dar es-Salam, enclave cossue des abords de la capitale, occupée jadis par Mohammed V. Mais tout porte à croire que la villa un temps choisie abrite désormais le boxeur allemand d’origine marocaine Abou Azaitar, aperçu maintes fois dans le sillage du souverain. Reste donc à dénicher un autre logis…
Désormais, une loi non écrite régit les faits et gestes de la demi-paria. Dans un article récent, le journaliste espagnol Ignacio Cembrero détaille les restrictions infligées à la quadra en quarantaine. » Ses voyages à l’étranger et ses sorties au pays – virée au cinéma Atlas de Rabat, séance shopping au Mega Mall ou dîner en ville – sont soumis à autorisation préalable, précise cette ancienne plume d’ El Pais. De même, c’est en vain que l’une des épouses de l’ancien émir du Qatar a tenté voilà peu de la joindre par téléphone. »
Exercice acrobatique. Le monarque alaouite peut restreindre son rayon d’action, mais certes pas anéantir son assise. Car nul, pas même lui, n’a le pouvoir de priver la fille d’Abdelhamid Bennani de sa dignité, inaliénable, de mère du futur roi. » Là est la hantise de la cour, soutient un connaisseur. On y redoute que l’heure de la revanche sonne en même temps que celle de la succession. Et ce au détriment, notamment, de la triplette Meryem-Asma-Hasna. » Voilà pourquoi le scénario de l’armistice paraît plus crédible que celui de la guerre totale. Là encore, la preuve passe par l’image. En dix jours et deux clichés, la femme fantôme refait surface au printemps. Sur le premier, de piètre qualité, mis en ligne par le site Rue20, on la devine déjeunant dans un restaurant de la place Jemaa el-Fna, haut lieu du tourisme marrakchi, en compagnie de sa fille et de copines de classe de celle-ci. Sur le second, daté du 10 avril, elle pose, sobrement vêtue, au milieu du personnel de l’hôpital de Beni Mellal, l’un des fleurons de sa fondation. Le message ? Limpide. Il s’agit de tordre le cou aux racontars et de restaurer une impression, si factice soit-elle, de normalité. » Le roi, hasarde un vétéran de la scène franco-marocaine, sent bien que cette quasi-répudiation passe mal, tant au sein de la haute société que chez les petites gens. »
De là à délier les langues… Au Maroc comme ailleurs, le sujet reste hautement inflammable. Y compris parmi les amies de longue date de la princesse. » Désolée, mais je ne souhaite pas m’exprimer « , esquive par sms Dominique Ouattara, la première dame de Côte d’Ivoire. Quant à Bernadette Chirac, épouse de l’ancien président français, elle fait savoir, par l’entremise de sa fille Claude, qu’elle vit désormais » retirée de la sphère publique « .
» Le palais, déplore un électron libre de la famille royale, a aussi mal géré le divorce qu’il géra bien le mariage. Déjouer ce piège suppose une transparence dont notre monarchie absolue est incapable. Un pas en avant, un pas en arrière. D’où la question qui taraude mes compatriotes : comment un système inapte à régler ses tourments intimes prétendrait-il alléger notre fardeau ? «
Par Vincent Hugeux.
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