«Le candidat idéal»: les conséquences d’une arrivée de Mark Rutte à la tête de l’OTAN
Mark Rutte semble s’être imposé pour succéder à Jens Stoltenberg. Une victoire qui donne une idée de ce que pourrait devenir l’OTAN dans les années à venir, mais aussi de la méthode employée par l’alliance pour gérer les difficultés qui l’attendent.
La fumée blanche à l’OTAN? Après le retrait cette semaine de la candidature du président roumain Klaus Iohannis, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte semble désormais le seul en lice pour devenir le prochain secrétaire général de l’Alliance atlantique. Il faudra attendre le sommet de Washington, du 9 au 11 juillet, pour que sa désignation soit confirmée par consensus des 32 pays membres. Mais de toute évidence, la messe est dite: ce sera bien lui le successeur du Norvégien Jens Stoltenberg, détenteur du très convoité poste depuis 2014.
L’homme qui «coche toutes les cases»
Il n’existe pas de critères officiels pour désigner le secrétaire général, précise d’emblée Estelle Hoorickx, docteure en histoire et spécialiste de l’OTAN à l’Institut royal supérieur de défense. «Tout se passe en coulisses, pointe-elle. Si sa désignation se confirme, on ne connaîtra jamais les détails de la décision qui aura conduit à la désignation de Mark Rutte.»
Pas de conditions sine qua non, donc, mais l’historienne distingue malgré tout plusieurs critères non officiels auxquels Mark Rutte semble systématiquement correspondre. Premier exemple: jusqu’à présent, c’est toujours un Européen qui est choisi, la plupart du temps issu d’un des Etats fondateurs de l’OTAN. En outre, ce pays doit être un bon élève de l’alliance. Or depuis 2017, les Pays-Bas ont massivement investi dans leur défense et en 2024, ils devraient frôler la barre symbolique des 2% du PIB consacrés à ce secteur. L’élu doit aussi avoir été chef d’Etat, ou au moins un ministre des Affaires étrangères. Mark Rutte est Premier ministre depuis presque quatorze ans.
Autre «critère»: le secrétaire général doit incarner la stabilité, et non représenter un potentiel «trublion» anti-OTAN. Le Néerlandais connaît bien l’organisation et s’est illustré par de gros coups diplomatiques. Son fait de gloire: le sommet de 2018, qu’il a sauvé en négociant âprement avec Donald Trump sur les dépenses en matière de défense. Enfin, vu le contexte actuel, il faut que ce soit une personne concernée par la guerre en Ukraine. En Europe de l’Ouest, Mark Rutte est devenu un des principaux opposants à Poutine, notamment depuis la destruction du vol MH17 en 2014, attribuée à des séparatistes pro-russes du Donbass, qui a provoqué la mort des 298 passagers, dont 193 Néerlandais.
«Bref, Mark Rutte coche toutes les cases», résume Estelle Hoorickx. «C’est le candidat idéal», renchérit Vira Ratsiborynska, professeure de relations internationales à la VUB et spécialiste de l’OTAN. «De plus, un secrétaire général doit être en mesure d’obtenir le consensus des 32 pays membres. Si Trump revient au pouvoir, il faudra préserver cette cohésion et Mark Rutte semble en être capable.»
Le défi hongrois
Si Mark Rutte semble être le candidat idéal, cela n’a pas empêché Jens Stoltenberg, l’actuel secrétaire général, de prolonger son mandat à quatre reprises, le temps qu’un consensus se dégage quant à son successeur.
D’autres personnalités avaient souvent été citées. Comme la Première ministre danoise, Mette Frederiksen. Problème: la Turquie, membre de l’OTAN, est en froid avec Copenhague. Elle ne pouvait donc pas incarner ce fameux consensus. La Première ministre estonienne, Kaja Kallas, semblait elle aussi être une candidate parfaite. Son pays n’est certes pas un membre fondateur de l’OTAN, mais il est très atlantiste. Elle aurait également été la première femme à la tête de l’OTAN.
Mais c’est surtout Viktor Orbán qui aurait retardé le processus. Le Premier ministre hongrois tenait vraiment à soutenir la candidature de Klaus Iohannis, avec l’appui du Premier ministre slovaque Robert Fico, qui comme lui a une attitude ambiguë vis-à-vis de la Russie. Un moyen supplémentaire pour lui de faire pression sur les Alliés et obtenir des dérogations, estime Estelle Hoorickx. «Ce n’est pas anodin s’il a accepté de soutenir Rutte quelques jours après que celui-ci se soit engagés à ce que Budapest reste à l’écart des efforts de l’OTAN pour soutenir l’Ukraine. Puis ce déblocage a lieu juste après la présentation du programme de la présidence hongroise à l’Union européenne. Ça fait partie d’un « show politique » pour faire valoir son point de vue.»
Selon Vira Ratsiborynska, il faut s’attendre à ce qu’à l’avenir, la Hongrie continue d’entraver des décisions de l’OTAN, où le consensus est requis. Budapest a par exemple rejoint la Turquie pour retarder l’entrée de la Suède dans l’alliance. Il n’y a pas de raison pour que Viktor Orbán ne récidive pas. «Mark Rutte en est bien conscient, et il sait qu’il va falloir faire preuve de diplomatie et de stratégie», assure-t-elle.
Un page qui se tourne (à moitié)
Après le sommet de Washington en juillet, le nouveau patron de l’OTAN devrait prendre ses fonctions le 1er octobre prochain. Dans la foulée, il lui faudra d’abord choisir qui occupera les postes subsidiaires de l’organisation, en premier lieu celui de secrétaire général délégué (DSG). Aujourd’hui, il est occupé par un Roumain, Mircea Geoană. Il est probable que son successeur provienne lui aussi d’Europe de l’Est, afin que cette partie de l’alliance se sente représentée. Il faudra également nommer les secrétaires généraux adjoints (ASG) chapeautant les branches de l’OTAN. Pour l’instant, ils viennent surtout d’Europe de l’Ouest, mais cela pourrait évoluer.
L’arrivée de Mark Rutte pourrait ainsi influencer l’agenda de l’alliance, mais il ne faudrait pas non plus exagérer son importance, tempère Estelle Hoorickx. «Il sera le représentant civil de l’OTAN, qui est aussi une organisation militaire dont les représentants ne sont pas élus mais désignés par leurs pays respectifs à intervalles réguliers. Elle ne se renouvelle pas tous les cinq ans et il existe des secteurs stratégiques qui resteront inchangés. Beaucoup de postes clés sont occupés par des Américains, comme celui de SACEUR (Commandant suprême des forces alliées en Europe, tenu par le général d’armée Christopher G. Cavoli, ndlr). Heureusement d’ailleurs que tous les postes ne sont pas renouvelés en même temps, ce qui serait compliqué à gérer pour une organisation qui doit rester sur le qui-vive.»
Mieux rassembler pour créer une alliance plus forte
De même, il ne faudrait pas non plus surestimer l’influence du secrétaire général sur les décisions prises par l’OTAN, souligne l’historienne. Ce n’est par exemple pas lui qui va organiser en tant que tel l’envoi de munitions à l’Ukraine. «Il n’a pas de programme politique et sa position doit être neutre. On pourrait qualifier sa fonction de rassembleur, ou de faiseur de compromis. Une sorte de vitrine de l’OTAN, qui représente au mieux la position unanime des 32 pays de l’organisation.» Par contre, ses talents de diplomate peuvent permettre d’éviter des conflits, notamment avec les dirigeants d’extrême-droite.
L’actuel Premier ministre néerlandais aura également à rappeler aux pays membres leurs engagements, comme celui d’atteindre les 2% de PIB investis dans la défense. Il ne pourra pas imposer cette mesure, puisqu’il s’agit d’une prérogative nationale. «Mais il peut, de par sa position, encourager les uns et les autres à aller dans le sens qui s’avérerait le plus positif pour l’alliance», précise Estelle Hoorickx.
C’est en ce sens que Vira Ratsiborynska s’attend à ce que Mark Rutte puisse jouer un rôle notable. «Plusieurs pays, notamment à l’Est, ont déjà atteint 2% voire 3% de PIB du budget national dédié à la défense, parce qu’ils voient les menaces à leurs frontières, fait-elle remarquer. Ceux situés plus à l’ouest ont davantage tendance à investir moins. C’est là que la carte de la diplomatie peut permettre l’émergence d’une solidarité plus globale. Il y a beaucoup de défis à relever, comme la défense aérienne, les attaques hybrides de la Russie ou de la Chine, l’aide à l’Ukraine, etc. Mark Rutte pourrait faire en sorte que tous les Etats comprennent ces enjeux.»
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