Volodymyr Zelensky s'adresse à a communauté sur Twitter. © Capture d'écran

Les selfies de Zelensky, la censure de Poutine, les TikToks des civils : bienvenue dans la guerre à l’ère des réseaux sociaux

En 2022, la guerre se passe aussi sur les réseaux sociaux. Tiktok, Instagram, Twitter, aucune de ces plateformes n’échappe aux centaines d’images du conflit russo-ukrainien. D’un côté sur-utilisés, de l’autre côté censurés. La guerre a certainement un effet sur nos utilisations des réseaux sociaux, mais ceux-ci ont-ils un impact sur le déroulement de la guerre, voire même son issue ?

Depuis le début du conflit, le président ukrainien Volodymyr Zelensky utilise Instagram, Facebook ou Twitter quotidiennement pour s’adresser aux Ukrainiens et à la sphère internationale. Il a acquis beaucoup de notoriété en très peu de temps. Zelensky compte désormais plus de 5 millions d’abonnés sur Twitter, alors qu’il en avait moins de 500 000 avant le 24 février. Mais c’est sur Instagram que ses contenus cartonnent: il a quasiment doublé son nombre d’abonnés, atteignant aujourd’hui plus de 16 millions d’abonnés.

Souvent en selfie, en t-shirt kaki (couleur militaire), loin des discours présidentiels solennels, Zelensky n’hésite pas à se montrer sur les réseaux sociaux. Pour la professeure d’analyse de discours Laura Calabrese (ULB), l’ancien comédien veut exprimer une certaine proximité avec son peuple et avec ses auditeurs. « Ça n’aurait donc aucun sens d’avoir une scénographie très conventionnelle, institutionnelle et très recherchée », confirme-t-elle. Mais la professeure insiste, ce n’est pas nouveau. Les hommes et femmes politiques utilisent généralement les réseaux sociaux pour apparaître dénué de tout l’appareillage institutionnel, et c’était déjà le cas bien avant l’avènement du Web: dans les années 1960, le couple présidentiel Kennedy mettait en scène leur vie privée dans le même but, donner une image de proximité. Cependant, ce qui est novateur, « c’est la communication de proximité d’un responsable politique en temps de guerre pour s’adresser aux leaders et aux opinions publiques occidentales » selon elle. La question se pose de savoir si cette popularité sur les réseaux sociaux pourrait lui être favorable dans l’issue de cette guerre. Laura Calabrese admet que cette communication est décisive pour gagner la sympathie de l’opinion publique, mais « on ne peut jamais lier une stratégie de communication politique à un résultat politique« .

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De son côté, le président russe Vladimir Poutine tente avec sa stratégie de communication de justifier cette guerre (qu’il qualifie d’opération militaire) et de rallier son peuple. La propagande russe passe aussi et surtout par la censure de nombreux médias et réseaux sociaux. Ce contrôle n’est pas nouveau en Russie, mais s’est intensifié depuis le début du conflit. Le but de Poutine est d’offrir une seule manière de penser à son peuple, faisant fi de la réalité ukrainienne. La stratégie du leader se base avant tout sur une image d’un homme fort, ne perdant pas pieds, et prêt à tout encaisser. Tandis que du côté ukrainien, Zelensky a plutôt tendance à jouer sur le pathos, en créant l’émoi.

Pour limiter au maximum l’influence pro-ukrainienne des réseaux sociaux, Vladimir Poutine prend des sanctions fortes. Facebook et Instagram ont été bloqués par les fournisseurs d’accès à Internet russes. Le 21 mars dernier, ils ont été complètement interdits suite à une décision du tribunal. La Russie qualifie les deux applications « d’extrémistes ». Cette décision a dévasté bon nombre d’influenceurs, qui se sont filmés en pleurant, disant au revoir à leur communauté. Cependant, beaucoup d’utilisateurs continuent d’utiliser ces réseaux sociaux grâce à un VPN, c’est-à-dire un logiciel permettant de se connecter à internet de manière anonyme.

Tiktok sur tous les fronts

Un autre réseau social incontournable dans ce conflit est TikTok. Si le géant chinois avait décidé le 6 mars dernier de restreindre la mise en ligne de contenus sur sa plateforme en Russie, certains comptes pro-russes continuent de poster des vidéos. L’ONG Tracking Exposed a enquêté sur l’application depuis le début de l’invasion russe. Selon l’étude publiée le 15 mars dernier, un réseau de comptes TikTok existerait en Russie, qui continuerait de poster des vidéos pro-Kremlin et ce même après les restrictions de la plateforme. Le réseau social bloque également l’accès aux utilisateurs russes de vidéos extérieures à la Russie, ce qui les isole et les confronte uniquement à du contenu soutenant la guerre.

En Ukraine, TikTok est lui devenu un véritable outil de communication. Beaucoup d’utilisateurs utilisent la plateforme pour raconter leur quotidien, parfois avec beaucoup de légèreté. L’influenceuse @valerisssh était déjà populaire en Ukraine pour ses vidéos avant le conflit, mais elle est désormais connue à l’international. Elle documente sa vie sans filtres, filmant les lieux bombardés, son quotidien dans son abri anti-bombe, et plus récemment son périple pour quitter l’Ukraine. Le tout sur fond de musiques TikTok, ce qui donne parfois des vidéos déroutantes. Celles-ci sont chaque fois vues des millions de fois, la plus regardée comptabilisant presque 44 millions de vues.

@valerisssh Living my best life ??? Thanks Russia! #ukraine #stopwar #russiastop ? Che La Luna – Louis Prima

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Entre propagande et communication, la limite est parfois floue

Si la stratégie de Poutine d’isoler les Russes de toutes informations pro-ukrainiennes s’apparente à de la propagande, la limite peut parfois être mince dans la stratégie de communication de Zelensky. Lorsque le parlement ukrainien publie une vidéo truquée dans laquelle Paris se fait bombarder, beaucoup y voient aussi une forme de propagande. L’experte en analyse et discours n’est pas de cet avis. Si elle admet que le terme propagande est souvent utilisé lorsqu’on parle de « l’ennemi », elle objective en insistant « Il n’y a pas volonté d’induire le public en erreur, car il est indiqué que c’est fictionnel ». Elle distingue propagande et communication persuasive, même si elle admet que dans ce cas-ci, c’est assez limite. Mais cette vidéo n’est pas étonnante car elle intervient dans une stratégie de communication basée sur l’affect, jouant beaucoup sur le pathos.

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Ces utilisations des différentes plateformes posent question dans un conflit tel que celui-ci. Devraient-elles modérer davantage le contenu ? Pour Laura Calabrese, la question de la régulation est centrale. Seulement, ce n’est pas à elles de réguler, trop d’enjeux économiques entrent en compte. On voit dans le conflit russo-ukrainien que les réseaux sociaux, au-delà d’être un relais communicationnel, sont devenus de véritables acteurs du conflit. Le groupe Meta (regroupant Facebook, Instagram et Whatsapp) a modifié sa politique de tolérance envers les discours haineux, autorisant les messages de haine à l’encontre de l’armée et des dirigeants russes. « C’est très problématique », insiste la professeure, « on ne peut pas laisser une entreprise privée décider ce qui peut être dit ou pas dans l’espace public ». Où est la limite ? Cette décision marque en tout cas un tournant dans l’implication des réseaux sociaux en temps de guerre.

Sarah Duchêne

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