Jules Gheude
Les réseaux sociaux et la liberté d’expression (carte blanche)
Le fait que les réseaux sociaux aient décidé de fermer le robinet à Donald Trump, vient raviver le débat sur la liberté d’expression.
D’aucuns, tel Eric Zemmour, condamnent toute censure en invoquant le caractère souverain du peuple. Ce qui n’a toutefois pas empêché le même Eric Zemmour de déposer plainte, le 25 mars 2009, contre le rappeur Youssoupha « pour menace de crime et injure publique ». Dans l’une de ces chansons, celui-ci appelait à « faire taire » le journaliste-essayiste.
Même s’il dit aujourd’hui regretter sa décision, Eric Zemmour a agi à l’époque en se servant des outils forgés par le législateur pour baliser la liberté d’expression. Le législateur, c’est-à-dire les parlementaires légitimement élus par… le peuple.
Nul n’ignore, en effet, qu’il est permis de tout dire ou écrire publiquement, à condition cependant de ne pas inciter à la haine ou à la violence, de ne pas tenir des propos négationnistes ou racistes, de ne pas diffamer, insulter ou harceler.
Le débat politique fait intervenir les opinions les plus diverses, y compris les plus extrêmes. La manière d’aborder ces dernières mérite d’être abordée ici.
Alors que la mouvance d’extrême-droite fait partie intégrante du paysage politique français et que ses représentants sont régulièrement invités à s’exprimer sur les plateaux télévisés, elle fait l’objet chez nous, du moins au niveau francophone, d’un cordon sanitaire, au motif que les idées qu’elle véhicule nuisent gravement à la démocratie.
Mais la démocratie, c’est le peuple souverain qui se prononce. On ne peut à la fois lui permettre de plébisciter des partis extrêmes et museler ensuite es derniers ou faire tout pour les empêcher de prendre part au pouvoir.
Il est d’ailleurs curieux de voir RTL-TVI ou la RTBF faire une distinction entre l’extrême-droite et l’extrême-gauche.
Cela me rappelle cet épisode du Parlement européen où le libéral Luc Beyer ne s’était pas levé pour respecter une minute de silence en hommage aux victimes de la dictature chilienne. Sommé de s’expliquer au bureau de son parti, l’ancien présentateur-vedette du JT de la RTBF avait expliqué qu’il convenait d’être prudent car, derrière cette situation chilienne, se trouvaient « nos amis américains ». Une justification qui fit bondir François Perin : « Monsieur Beyer quand on se dit libéral, on est contre toute dictature, qu’elle soit de droite ou de gauche ! »
Le débat, on le voit, est loin d’être simple et engendre bien des situations paradoxales.
Pour en revenir à Donald Trump, nul ne peut contester que l’exercice de son mandat s’est fait copieusement via les réseaux sociaux et que quantité de ses interventions s’apparentaient à des contre-vérités. Mais on l’a laissé faire.
Ce qui s’est passé récemment avec le Capitole relève toutefois d’un autre ordre. Le fait qu’un président s’obstine, en dépit des faits, à ne pas reconnaître sa défaite électorale et appelle ses partisans à marcher sur le siège sacré de la démocratie américaine pour empêcher la certification des résultats électoraux, est un acte inédit, d’une gravité exceptionnelle. On vu de quoi les « bad boys » étaient capables !
Donald Trump a beau fustiger aujourd’hui ces actes de violence (qui ont tout de même entraîné la mort de cinq personnes !), il est clair que son message incitait nettement à la sédition.
Dans un pays où les armes sont en vente libre, nul ne sait si la cérémonie d’investiture de Joe Biden, le 20 janvier, pourra se faire de manière sereine. Vu le risque réel de débordements, la mesure prise par les responsables des réseaux sociaux est-elle condamnable ?
S’il n’appartient pas aux GAFA de s’ériger en juges, peut-on leur reprocher, dans les circonstances présentes, de se montrer prudentes ? Il y va, en fin de compte, de la sécurité du peuple américain.
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