Thierry Bellefroid
« Les Nations unies n’en ont aujourd’hui plus que le nom »
Cher Dag Hammarskjöld, qu’il est ingrat de se retrouver presque oublié de tous alors qu’on a été prix Nobel (posthume) de la paix, qu’on a été adoubé par Kennedy au rang de « plus grand homme d’Etat du xxe siècle » et qu’on a dirigé l’ONU en pleine période de décolonisation. C’est pourtant votre sort.
Permettez que je vous sollicite alors que le monde semble en plein rétropédalage. » Le but de l’ONU n’est pas d’emmener l’humanité au paradis, mais de lui éviter l’enfer « , disiez-vous. Votre actuel successeur, Antonio Guterres, semble bien en peine d’éviter l’enfer aux habitants de cette banlieue de Damas que l’on appelle la Ghouta orientale. Bien sûr, aucun secrétaire général des Nations unies n’a jamais obtenu la paix seul quelque part. Boutros Boutros-Ghali en a fait la triste expérience durant les années 1990, lorsqu’il lui a fallu essuyer à la fois la guerre en ex-Yougoslavie et le génocide rwandais. Les casques bleus déployés un peu partout sur la planète n’empêchent pas les conflits. Mais peut-être, de votre temps, avait-on un peu plus de considération pour ces Nations unies qui n’en ont aujourd’hui plus que le nom. Encore qu’entre de Gaulle et vous, ce n’était pas la franche camaraderie !
Antonio Guterres, l’actuel secrétaire général de l’ONU, a réalisé auparavant un travail considérable à la tête du Haut-Commissariat aux réfugiés, tout le monde en convient. L’ancien chef d’Etat portugais semblait bien être l’homme de la situation. En 2016, juste avant d’entrer en fonction, ne déclarait-il pas : » La Syrie doit être une priorité pour nous tous » ? Vous avez connu cela, cher Dag Hammarskjöld. La fin de votre mandat fut tout entière accaparée par les suites de l’indépendance du Congo belge et la sécession katangaise. Vous n’étiez que le deuxième secrétaire général de l’ONU de l’histoire. Trygve Lie, votre prédécesseur, un Scandinave comme vous, avait trouvé ces mots pour vous accueillir : » Bienvenue dans le job le plus impossible sur Terre. » Comme il avait raison ! Vous n’aviez pas ménagé votre peine pour tenter de ramener la paix au Congo après avoir fâché les grandes puissances en soutenant la décolonisation. Mais cela n’avait rien empêché. Ni la fin tragique de Patrice Lumumba, le Premier ministre congolais qui vous avait appelé à l’aide en 1960 et qui, destitué, lâché par tout le monde – à commencer par la Belgique -, allait être transféré au Katanga et assassiné cinq heures plus tard en pleine brousse. Ni votre propre mort, Dag, dans un étrange accident d’avion en Zambie, alors même que vous effectuiez une mission au Congo, en 1961. Etait-ce vraiment un accident ? On ne le saura peut-être jamais, même si une équipe d’experts indépendants nommés par l’ONU affirmait, en 2015, détenir des éléments nouveaux laissant à penser que votre avion n’était pas tombé tout seul. Au moment où Poutine lance son » Ecoutez-nous maintenant » sur fond d’images d’armes ultrasophistiquées, au moment où les sujets de Sa Majesté s’étripent avec les représentants de l’Union à propos de la frontière irlandaise remise en cause par le Brexit, au moment où Trump encourage les guerres économiques » faciles à gagner « , me revient cette phrase de vous qui semble plus judicieuse que jamais, cher Dag : » La vie exige de vous la force que vous possédez. Un seul exploit est réalisable : ne pas s’être enfui. «
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