Carte blanche
» Les Kurdes ont besoin que nous restions à leur côté «
Faut-il aider les Kurdes de Syrie, lâchés par les Américains et désormais » protégés » par Damas et Moscou ? Le député Georges Dallemagne (CDH) en appelle à une initiative européenne pour être à la hauteur de nos intérêts stratégiques et de nos valeurs.
Bien sûr, le lâchage des Kurdes de Syrie par les Américains est une trahison, une faute morale grave comme Donald Trump nous y a malheureusement habitués. Les Forces démocratiques syriennes, alliance des Unités de protection du peuple (YPG kurdes), de tribus arabes sunnites et de forces chrétiennes syriennes, au sein desquelles les Kurdes sont très majoritaires, ont été le fer de lance de la lutte contre Daech. Ils ont perdu huit mille hommes et femmes dans la reconquête des territoires occupés par l’Etat islamique. Ils ont sauvé Kobané en janvier 2015, contre la volonté turque, alliée aux islamistes. Ils ont aussi repris les bastions islamistes d’où sont partis les terroristes qui nous ont frappés : Raqqa en octobre 2017 et Deir ez-Zor en novembre de la même année.
Alors qu’ils sacrifiaient ces milliers de soldats pour combattre ceux qui étaient autant nos ennemis que les leurs, nous, Belges, limitions les risques, refusant que notre aviation intervienne en Syrie. Nos forces spéciales et nos avions de combat réalisaient un travail remarquable en Irak, il faut le souligner, mais s’abstenaient en Syrie, faute d’autorisation formelle du Conseil de sécurité de l’ONU, en raison du veto de la Russie.
Au même moment, Bachar al-Assad matait ses opposants avec cruauté et sans discrimination, avec l’aide cruciale de l’aviation russe et des milices du Hezbollah appuyées par l’Iran.
Les oublis de la diplomatie belge
Les Kurdes syriens espéraient au moins en retour, pour prix du sang versé, une protection contre la volonté d’Erdogan de les envahir et de les écraser. Mais, lorsque l’armée turque et ses supplétifs islamistes syriens ont envahi l’enclave kurde d’Afrin en janvier 2018, prétextant un harcèlement kurde envers la Turquie totalement imaginaire, nous avons détourné le regard. La diplomatie belge s’est contentée d’appeler à ce que le droit humanitaire, c’est à dire le droit de la guerre, soit respecté. Notre ministre des Affaires étrangères oubliait au passage de rappeler que cette invasion était évidemment illégale et violait la Charte des Nations unies. Il oubliait aussi de rappeler à l’ordre un allié au sein de l’Otan qui foulait aux pieds le Traité de l’Atlantique Nord. Il y eut des centaines de morts et des dizaines de milliers de déplacés.
Mais ce lâchage des Kurdes n’est pas qu’une infamie, il est aussi une gigantesque erreur stratégique que les Etats-Unis, mais aussi les Européens, pourraient payer lourdement s’il ne devait y avoir aucun sursaut de leur part. Avec son credo répété à l’envi, » America first « , Trump accélère paradoxalement le déclin américain, entre autres sa suprématie en matière de sécurité internationale.
Les dirigeants russes ont largement tourné le dos aux idéaux démocratiques. L’actualité démontre chaque jour un peu plus qu’ils cherchent à affaiblir et à fracturer nos propres démocraties. Ils interviennent aujourd’hui massivement, notamment via les réseaux sociaux pour antagoniser nos sociétés et dynamiter le projet européen. Car ces idéaux européens nuisent à leur volonté de reconquête idéologique et militaire. Ils cherchent furieusement à recouvrer de vastes zones d’influence à leur profit. Leur opposition à douze résolutions du Conseil de sécurité tout au long des sept années du conflit syrien a largement contribué à l’enlisement de cette horrible guerre, à sa violence extrême, au terrorisme qui en est surgi, aux millions de réfugiés qui l’ont fui.
Toutes ces années, les Kurdes de Syrie ont réussi à maintenir dans le Rojava, au nord de la Syrie, une zone stable, sans grande violence, laïque, où tous les peuples, Arabes, Kurdes, chrétiens et Yézidis coexistent plutôt bien. Les femmes y tiennent un rôle proéminent, comme nulle part ailleurs dans cette partie du monde. Mais cette expérience unique, qui affiche une forte affinité pour l’Europe, est menacée de disparition. Les Kurdes n’ont eu d’autre choix que de chercher la protection de Damas et de la Russie. Ils ont choisi le moindre mal. C’est à Moscou que se joue leur sort. Ils négocient aujourd’hui âprement un reste d’autonomie contre la protection russe. Poutine ne cache pas son plaisir.
L’Etat islamique n’est pas mort
L’Europe est quasi hors-jeu. Pourtant, les Kurdes l’appellent au secours. Ils viennent d’adresser un appel à l’aide pressant à ses Etats membres, y compris la Belgique. La France et la Grande-Bretagne maintiennent encore sur place – pour combien de temps ? -, de petits contingents de Forces spéciales. La Belgique serait bien inspirée d’y envoyer ses meilleurs éléments les épauler. Et nous pourrions y déployer un bataillon européen. Une véritable initiative de défense européenne pourrait voir le jour. Les Européens démontreraient enfin leur capacité à assurer eux-mêmes leur sécurité, en l’absence de l’oncle Sam. Car l’Etat islamique n’est pas mort. Il ressurgit déjà ça et là comme en témoignent la récente attaque contre les forces spéciales britanniques à Deir ez-Zor et les attentats quasi quotidiens aux alentours de Raqqa.
Notre présence là-bas est d’autant plus cruciale que des millions de Syriens devraient un jour pouvoir rentrer chez eux. C’est leur désir ardent. C’est notre intérêt. Ils ne le feront que si nous assurons leur protection et que nous contribuons à la reconstruction de leurs villes dévastées. Les Russes ne le feront pas. Ils ne l’ont jamais fait nulle part. Les Kurdes ont besoin de notre assistance militaire, humanitaire et civile. Ils ont besoin que nous restions à leur côté. Et nous avons encore besoin d’eux. Notre partenariat est fondamental. Soyons à la hauteur des valeurs que nous affichons et de nos intérêts stratégiques.
Georges Dallemagne, député fédéral CDH
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