Mélenchon Premier ministre ? Pourquoi l’union des gauches ne sera peut-être pas suffisante (analyse)
L’initiative de Jean-Luc Mélenchon visant à fédérer les forces de gauche en vue des élections législatives a recueilli un certain succès. Sans doute pas au point de le propulser Premier ministre. Une recomposition politique qui s’opère au détriment du Parti socialiste.
La dirigeante du Rassemblement national, Marine Le Pen, ayant décliné l’offre d’Eric Zemmour de nouer une alliance avec son parti Reconquête!, et le président réélu Emmanuel Macron s’attelant à fédérer ses troupes disparates dans la discrétion, l’attention s’est focalisée en France, dans la perspective des élections législatives des 12 et 19 juin, sur les efforts du leader de La France insoumise pour réunir les forces de gauche. Une opération couronnée d’un certain succès mais qui n’écarte pas complètement le procès en hégémonie fait à Jean-Luc Mélenchon. De quoi inspirer au directeur de rédaction de l’hebdomadaire Franc-Tireur, Christophe Barbier, la formule «les insoumis et les soumis» pour définir la nature de ces accords.
A gauche toute. C’est la surprise de l’après-élection présidentielle en France. Alors qu’elle avait été incapable de s’unir avant le scrutin suprême, présentant six candidats sur les douze en lice, la gauche a réussi à forger un front uni et unique pour les élections législatives des 12 et 19 juin.
Fort des 21,95% des voix qu’il a recueillis sur son nom au premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a opté pour une attitude très offensive pour les législatives présentées comme le troisième tour. Avant même la réélection d’Emmanuel Macron, il avait appelé les Français à l’élire Premier ministre. Avec pareil slogan dupliqué dans ses affiches de campagne, on pouvait redouter l’ambition mégalomaniaque d’une personnalité peu habituée aux concessions. Crainte en partie abusive. Les dirigeants de La France insoumise ont engagé des discussions avec Europe Ecologie Les Verts, le Parti communiste, le Parti socialiste et le Nouveau Parti anticapitaliste pour présenter des listes communes sous la bannière de la nouvelle Union populaire écologiste et sociale. Revue des questions que pose la démarche.
Tout le monde met ses revendications en veilleuse pour éviter de se retrouver avec quelques députés par-ci, par-là sans dynamique globale.
1. Accord circonstanciel ou durable?
Hausse du salaire minimal à 1 400 euros, retraite à 60 ans, blocage des prix de produits de première nécessité, planification écologique constituent le socle commun sur lequel Europe Ecologie Les Verts et le Parti communiste se sont accordés avec La France insoumise pour intégrer la nouvelle alliance. En revanche, les sujets les plus susceptibles de susciter des tensions ont fait l’objet d’une mention a minima ou ont été renvoyés à une négociation ultérieure. Il en va ainsi du rôle de la France au sein de l’Union européenne ou des rapports avec la Russie et la Chine pour les écologistes, ou de la place de l’industrie nucléaire, dont ils souhaitaient assurer la pérennité, pour les communistes.
Aussi, l’historien spécialiste des gauches Jean-Numa Ducange estime-t-il que cette entente relève plus de « l’accord de circonstance » que du « programme de transformation de la société » vanté par l’eurodéputée Manon Aubry: « Dans la précipitation, tout le monde met ses revendications en veilleuse pour éviter de se retrouver avec quelques députés par-ci, par-là sans dynamique globale. Il ne faut pas nécessairement opposer les deux aspirations. Mais il serait naïf de croire que les partenaires puissent se mettre réellement d’accord s’ils étaient majoritaires. »
2. Avoir des élus avant tout?
Les négociateurs de la nouvelle Union populaire écologiste et sociale ne s’en cachent pas. Les accords scellés servent aussi à tenter d’assurer aux différentes composantes de l’alliance un nombre de députés suffisant pour constituer un groupe politique à l’Assemblée nationale. La survie financière des formations politiques en dépend. Une centaine de circonscriptions ont ainsi été promises à Europe Ecologie Les Verts et cinquante au Parti communiste. Elles ne sont évidemment pas acquises. Mais le candidat qu’ils y présenteront aura la garantie de ne pas se voir opposer un adversaire de gauche. Cela peut aider à se faire élire. « Il est clair que l’enjeu pour les forces politiques est d’essayer d’avoir un maximum de députés et, surtout, un groupe politique à l’Assemblée nationale, qui vous assure un temps de parole important et des moyens financiers », insiste Jean-Numa Ducange.
Ce pragmatisme n’en est pas moins heurtant aux yeux de certains. Au sein du Parti socialiste, des voix se sont élevées pour reprocher au premier secrétaire Olivier Faure, favorable aux négociations avec La France insoumise, de sacrifier les idéaux du socialisme sur l’autel des « gains » électoraux. « Le PS veut brader son histoire pour vingt députés », a lâché le maire du Mans et ancien ministre Stéphane Le Foll. C’est avec le parti de François Mitterrand, Lionel Jospin et François Hollande que les négociations se sont avérées les plus délicates. Quand on vient d’une formation qui a été longtemps un des principaux piliers de la démocratie française, difficile de rabaisser ses prétentions à la « hauteur » du score (1,74%) réalisé par sa candidate, Anne Hidalgo, à la présidentielle.
3. La fin du PS?
« Je ne vois pas comment cela pourrait bien se passer pour le Parti socialiste, lâche Jean-Numa Ducange. Si sa direction n’avait pas scellé d’accord avec La France insoumise, certains lui auraient reproché de prendre trop de risques et de ne pas sauver de députés. En en scellant un, il y aura une grande probabilité de dissidence. » Quelques « éléphants », François Hollande, son ancien ministre Bernard Cazeneuve – qui a depuis annoncé son intention de quitter le PS -, Stéphane Le Foll, ont ouvertement désapprouvé la démarche du premier secrétaire.
La rupture est annoncée. La présidente de la région Occitanie, Carole Delga, figure de plus en plus en vue, pourrait être le porte-drapeau de ce Parti socialiste « canal historique ». « Si elle et certains barons se lancent dans un processus de dissidence, ce sera pour faire un nouveau courant politique, la gauche social-démocrate non liée à la France insoumise, avance le professeur d’histoire contemporaine à l’université de Rouen. Ils ont cela en tête depuis longtemps. Mais pour le concrétiser, il faudra qu’ils puissent constituer un groupe politique à l’ Assemblée. Le pari de cette gauche sociale-démocrate est de n’être ni insoumise ni macroniste, une position dure à tenir en France en ce moment. Ce sera un des enjeux des législatives: est-ce qu’il restera un espace à gauche entre Macron et Mélenchon? »
Vu le discrédit des appareils politiques nationaux, on peut s’attendre à des configurations locales très compliquées.
4. Le local plus que le national?
Même concrétisé par un accord national, le projet de la nouvelle Union populaire écologiste et sociale ne sera pas pour autant une garantie de succès. « Un accord de répartition de ce type implique que des partis retirent certains candidats au profit de ceux d’autres formations. Dans certains endroits, La France insoumise ne présentera pas de postulant contre un candidat écologiste alors même que Jean-Luc Mélenchon aura réalisé un bien meilleur score à la présidentielle que le vert Yannick Jadot. Il risque d’y avoir beaucoup de dissidences, juge Jean-Numa Ducange. Dans certaines circonscriptions, un candidat de la nouvelle Union populaire sera confronté à un dissident local au nom de tel ou tel point programmatique ou au nom d’une implantation locale antérieure pour s’opposer à un parachutage. Vu le nombre de frictions observées pendant la présidentielle entre ces partis et vu le discrédit des appareils politiques nationaux, on peut s’attendre à des configurations locales très compliquées. »
5. Mélenchon Premier ministre?
Sur une scène politique souvent atone après une présidentielle et face à une population qui est traditionnellement attachée à accorder une majorité au président élu, Jean-Luc Mélenchon «candidat Premier ministre» a incontestablement réussi à entretenir la flamme de la mobilisation et de la contestation dans la perspective d’élections législatives qui pourraient dès lors réserver des surprises. Jean-Numa Ducange, qui est aussi coauteur d’une Histoire globale des socialismes (PUF, 2021), souligne que la démarche du patron de La France insoumise répond aux attentes de beaucoup d’électeurs de gauche. Toutefois, il ne pense pas que cela puisse être suffisant pour exaucer son souhait. « Il n’y a que 577 circonscriptions. Si vous retirez celles que La République en marche et ses alliés remporteront et si vous considérez que le Rassemblement national, vu le score de sa candidate à la présidentielle, a une forte probabilité d’obtenir plus d’élus qu’en 2017, la partie semble compliquée pour espérer atteindre une majorité. Il n’est même pas exclu que les sept insoumis élus il y a cinq ans rencontrent des difficultés à se faire réélire en juin. Certains n’ont été élus en 2017 qu’avec très peu de voix d’avance dans des circonscriptions où le Rassemblement national était déjà très haut.» Entre l’ambition et la réalité, il y a parfois un gouffre.
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