Les experts de l’UCLouvain vous répondent: « La Chine a la tradition de jongler avec les chiffres »
En gardant les chiffres du Coronavirus intentionnellement bas, le parti communiste chinois veut montrer que son régime autoritaire est plus performant que les démocraties, souligne le professeur Tanguy Struye de Swielande.
Question d’un lecteur: Les chiffres présentés par la Chine sont-ils encore crédibles ou juste de la communication politique? S’ils ne sont pas crédibles, pourquoi y fait on si souvent référence, notamment pour prédire l’évolution de la pandémie dans d’autres pays?
Réponse de Tanguy Struye de Swielande, professeur en Relations internationales à l’UCLouvain.
Le Parti communiste chinois (PCC) a la tradition de jongler avec les chiffres. Il en a été ainsi lors des évènements de Tian An Men en 1989, mais également concernant le budget défense du pays, sa dette, sa croissance… En gardant les chiffres du Coronavirus intentionnellement bas, trois objectifs sont poursuivis : (1) le PCC veut montrer que son régime autoritaire est plus performant que les démocraties (occidentales en particulier) ; (2) cela lui permet également de promouvoir son système politique dans d’autres régions du monde, en particulier en Afrique, Asie centrale et Asie du Sud-Est ; enfin, (3), une telle manoeuvre vise à montrer à la population chinoise que le PCC a été à la hauteur de la crise, s’assurant ainsi de conserver sa mainmise sur la population en évitant tout mécontentement.
Pourtant, malgré cette stratégie, de nombreux pays font preuve d’une grande méfiance par rapport aux chiffres du coronavirus en Chine. A la date du 28 avril, le chiffre officiel se situe à 4 643, alors que dans des pays occidentaux tels que la France, l’Espagne, la Belgique ou les États-Unis, dont les soins de santé sont bien supérieurs, la mortalité se trouve respectivement à 23 293, 23 822, 7 331, et 57 175. Si les pays occidentaux ont certes tardé à réagir face au COVID-19, ce qui explique un taux élevé de décès, la différence parait trop conséquente avec la Chine, foyer d’origine de la maladie. En effet, alors que le virus commençait à se propager déjà fin décembre (certains estiment mi-novembre), les autorités chinoises n’ont pris des mesures importantes que fin janvier : la ville de Wuhan et la province ont été placées en quarantaine le 23 janvier 2020. Or juste avant ce confinement, 5 millions de personnes avaient quitté Wuhan.
Quand on sait qu’en Europe la contamination s’est faite au moment du retour des vacances de carnaval, il apparait peu probable que les gens ayant quitté Wuhan n’aient pas contaminé une partie de la population chinoise, d’autant plus que nous savons aujourd’hui que ce sont principalement par ces personnes que l’Europe a ensuite été contaminée (vols du territoire chinois vers d’autres régions du monde). Deux autres éléments troublant concernent le nombre d’urnes funéraires présentes dans les pompes funèbres à Wuhan (nombre bien plus élevé que le nombre de morts officiels), et la réduction des abonnements téléphoniques.
Aujourd’hui les chiffres chinois sont critiqués ; on ne s’appuie toutefois pas nécessairement dessus pour prédire une quelconque évolution du COVID-19. La situation chinoise continue par contre à être surveillée, et les observateurs et gouvernements du monde espèrent par ailleurs une plus grande transparence de la part du gouvernement chinois, notamment pour anticiper une possible seconde vague de contamination.
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