Avoir obtenu peu de choses de la Suède sur le dossier kurde n’empêche pas Recep Tayyip Erdogan de sauver la mise. © National

Les dessous de la prise de distance d’Erdogan avec Poutine

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le feu vert à l’adhésion de la Suède à l’Otan et les amabilités à l’égard de l’Ukraine, un tournant dans la stratégie turque?

A côté de son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, le président turc fut l’autre star du sommet de l’Otan à Vilnius, les 11 et 12 juillet. Jusqu’à sembler lui voler la vedette puisque le dossier dans lequel il était impliqué a trouvé une issue heureuse alors que celui qui concernait le président en treillis est resté inabouti. La Suède a obtenu son feu vert pour adhérer à l’Alliance. Pas encore l’Ukraine. «Nous inviterons l’Ukraine à rejoindre l’Otan quand les alliés seront d’accord et quand les conditions seront réunies», a platement annoncé le secrétaire général Jens Stoltenberg, le 11 juillet.

Trublion du cercle otanien ces dernières années, Recep Tayyip Erdogan a rejoint le sommet en Lituanie en partenaire retrouvé. Clou de cette séquence, il a marqué son accord pour l’adhésion de Stockholm à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, alors qu’il en disputait les modalités depuis un an. Il arguait de la complaisance supposée des autorités suédoises à l’égard du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), principal groupe d’opposition kurde de Turquie et organisation terroriste selon Ankara, pour leur soutirer un renforcement du contrôle de ses membres. Le président turc a cependant bien dû constater que l’on ne badine pas, dans un Etat membre de l’Union européenne, avec le respect des droits humains, y compris pour des ressortissants étrangers. La possibilité qu’il tire des dividendes de ce bras de fer était donc quasiment nulle.

Le camouflet de son «partenaire» Erdogan tend à démontrer que Vladimir Poutine a perdu de son pouvoir.

Raviver la candidature à l’UE

Embêtant pour le raïs? Cet échec l’aurait été pendant la campagne pour les élections présidentielles des 14 et 28 mai derniers. S’il avait cédé alors à la Suède et, surtout, aux grandes puissances de l’Otan faisant pression sur lui, Recep Tayyip Erdogan n’aurait pas satisfait aux exigences des partenaires ultranationalistes de sa coalition. Mais après sa réélection confortable et la réaffirmation de son – immense – pouvoir, donner des gages à ses alliés sur le dossier kurde n’a plus la même impérieuse utilité. Il n’empêche, le président turc ne pouvait consentir à lever son veto à l’adhésion de la Suède sans obtenir une contrepartie, fût-elle symbolique.

Est-ce la raison de sa revendication de dernière minute d’une relance du processus d’adhésion de son pays à l’Union européenne interrompu depuis 2019? Sans doute. En faisant dépendre l’intégration de la Suède à l’Otan à l’ouverture de «la voie à l’adhésion de la Turquie à l’UE», demande exprimée la veille du sommet, Recep Tayyip Erdogan savait aussi que, pour ménager sa crédibilité aux yeux de ses partenaires, il ne pouvait pas transiger trop longtemps sur ce sujet. Il aura donc suffi que le président du Conseil européen, Charles Michel, lui promette de raviver les relations avec les Vingt-Sept et que le Premier ministre suédois Ulf Kristersson s’engage «à soutenir activement les efforts visant à redynamiser le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union, à contribuer à la modernisation de l’accord d’union douanière entre les deux parties, et à favoriser la libéralisation des visas» pour que le président turc y trouve son compte et fasse figure d’enfant prodigue dans la grande famille otanienne. Et pour les Européens, cela ne mange pas de pain.

Joe Biden devrait tenter de convaincre le Congrès américain de vendre des avions F-16 à la Turquie.
Joe Biden devrait tenter de convaincre le Congrès américain de vendre des avions F-16 à la Turquie. © belgaimage

Le parti de Kiev

Cette issue concernant la Suède était inscrite dans la marche de l’histoire. Elle consacre peut-être aussi une réorientation de la politique étrangère de la Turquie. Le président Erdogan a fait assaut d’amabilités à l’égard de l’Ukraine depuis la visite à Ankara du président Volodymyr Zelensky le 7 juillet, une première. Hommage au courage de sa population – «Au 500e jour de la guerre, le peuple ukrainien défend l’intégrité territoriale et l’indépendance de son pays», a-t-il affirmé –, feu vert au retour au pays de commandants de la compagnie Azov qui avaient combattu à Marioupol malgré l’accord stipulant leur présence en Turquie jusqu’à la fin du conflit, promesse de soutien à la candidature de l’Ukraine à l’Otan, engagement à tout faire pour prolonger l’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes qui expire le 22 juillet…: la Turquie, qui était soucieuse de maintenir une position médiane entre les deux belligérants, a clairement pris le parti de Kiev. L’attitude est-elle conjoncturelle, et notamment liée à la volonté d’acquérir des avions F-16 de la part des Etats-Unis?

Recep Tayyip Erdogan n’ignore pas que la Russie peut difficilement se couper de ses relations avec la Turquie, maîtresse de la navigation en mer Noire, pays de transit de biens contournant les sanctions vers la Russie, et rare partenaire stratégique susceptible de servir de médiateur. Après la rébellion intérieure de son ancien ami Evgueni Prigojine, le camouflet extérieur de son «partenaire» Recep Tayyip Erdogan tend donc à démontrer que Vladimir Poutine a perdu de son pouvoir.

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