Les derniers secrets de la Lune et de Mars
Elles sont spécialistes de la composition et de l’évolution des planètes. Véritable aventurière, Vinciane Debaille récolte des roches extraterrestres en Antarctique. Mathématicienne, Véronique Dehant est l’heureuse » maman » d’un petit robot qui sera envoyé sur Mars en juillet 2020.
Géologue et experte en géochimie, Vinciane Debaille (ULB) a tout d’une exploratrice : son passe-temps préféré est la récolte de roches extraterrestres en Antarctique (elle a séjourné à deux reprises dans la station polaire belge Princesse Elisabeth). Son but : comprendre comment le système solaire s’est formé, du nuage de gaz aux planètes telluriques. Mathématicienne et cheffe de service à l’Observatoire royal de Belgique, Véronique Dehant (UCLouvain), elle, n’a aucun goût pour les expéditions dans des milieux extrêmes. » Même les voyages en avion me rendent malade « , avoue-t-elle. Son dada ? La robotique. Elle est la » maman » de LaRa, acronyme de Lander Radioscience, le premier instrument scientifique 100 % belge envoyé sur Mars. L’appareil sera déposé sur la planète en juillet de l’année prochaine dans le cadre de la mission conjointe européano-russe ExoMars 2020.
Pour les deux chercheuses belges, la Lune présente moins d’attraits que Mars.
» Fascinée depuis toujours par les volcans, j’ai découvert au cours de mes études l’analyse chimique des roches terrestres, raconte Vinciane Debaille. J’ai appliqué mes connaissances à la collecte de météorites tombées sur la Terre. Je me suis aussi intéressée au magma remonté à la surface de Mars, témoin d’une très ancienne activité volcanique. De la planète bleue à la planète rouge, la boucle est bouclée. » Mars captive également Véronique Dehant. Son » joujou « , LaRa, est un petit boîtier high-tech (fabriqué par la firme Antwerp Space) doté d’antennes capables de fonctionner à des températures allant de -125 à + 20 degrés (conçues par une équipe de l’UCLouvain). Emetteur-récepteur, LaRa enverra vers la Terre des mesures précises de l’orientation et de la vitesse de rotation de Mars. » Nous en tirerons des informations sur la structure interne de la planète, indique Véronique Dehant, responsable du projet. A-t-elle bien un noyau liquide ? De quelle dimension ? Les données collectées permettront de reconstruire l’histoire de Mars. »
Le Saint Graal des chercheuses belges
Pour les deux scientifiques belges, la Lune présente moins d’attraits que Mars. » Parce que notre satellite naturel n’est pas habitable et ne l’a jamais été, explique Vinciane Debaille. Cela signifie qu’il n’a jamais présenté les conditions favorables à l’émergence de la vie. Mars, en revanche, a été recouverte d’eau liquide au début de son histoire, ce qui pose la question philosophico-scientifique fondamentale de l’existence d’une vie extraterrestre, même si c’est dans un passé lointain. » Sa consoeur Véronique Dehant précise : » En dehors de la Terre, Mars est la seule planète du système solaire à avoir été habitable. Entre la naissance de ce système, il y a environ 4,6 milliards d’années, et 3,5 milliards d’années, tous les éléments de la soupe primitive de la vie étaient présents sur Mars : l’eau liquide, l’énergie et les minéraux, donc les nutriments. Malgré l’absence d’oxygène et la forte présence de CO2 sur la planète, des extrémophiles, organismes qui peuvent survivre en milieu hostile, ont pu survivre. Voilà pourquoi l’eau de Mars est notre Saint Graal. »
Comment se fait-il que Mars soit devenue une planète sèche ? Pourquoi a-t-elle connu un sort distinct de celui de la Terre, alors que les deux astres sont formés des mêmes éléments primordiaux ? » C’est la question que nous nous posons, répond Véronique Dehant. Il n’y a pas de tectonique des plaques sur la planète rouge, contrairement à la Terre dont les continents plongent dans son manteau et où la surface est recyclée. Toute l’histoire de Mars est donc inscrite à sa surface. On y voit les traces de nombreux lits de fleuves et de rivières. Mais il n’y a plus d’eau liquide en surface, ou alors marginalement. Toute l’eau détectée est à l’état de glace. Il y a quatre milliards d’années, le champ magnétique de la planète a disparu. Sans doute cela explique-t-il en partie pourquoi son atmosphère épaisse s’est érodée. Faute d’effet de serre, l’eau n’a pu rester sous forme liquide. L’étude de l’intérieur profond de Mars nous permet de mieux comprendre cette évolution. »
Les mystères de la face cachée
En attendant ExoMars 2020, Véronique Dehant et son équipe exploitent les données envoyées par Rise, un émetteur-récepteur radio embarqué sur InSight, la mission américaine arrivée sur Mars en novembre dernier. » Comme LaRa, Rise est un instrument de mesure de la rotation de l’astre, indique la géophysicienne. Un oeuf cru et un oeuf cuit tournent de manière différente. Pareil pour les planètes : leur rotation permet de déterminer leur composition interne. La Terre a un noyau liquide avec une graine solide en son centre, mais Mars garde encore son mystère. »
Vinciane Debaille confirme : » Mars reste une terra incognita. J’attends impatiemment le jour où je pourrai analyser des échantillons de roches directement prélevées à la surface de Mars. Nous étudions déjà des roches martiennes, météorites retrouvées sur la Terre, mais on ne sait pas d’où elles viennent. » La Lune elle-même n’a pas livré tous ses secrets géologiques, assure la planétologue : » Sa surface est largement inexplorée. Les six expéditions Apollo envoyées sur la Lune se sont toutes posées sur sa face visible et dans les régions les plus plates possibles. Nous avons donc une vision biaisée de la géologie lunaire. Dans ces zones qui ont connu une activité volcanique pendant des millions d’années s’est solidifié du magma remonté des entrailles de l’astre. Les mers lunaires, ces vastes cuvettes de basalte visitées par les astronautes américains, présentent toutes la même anomalie chimique : ce basalte contient de fortes concentrations de potassium, de terres rares et de phosphore, d’où son acronyme anglais « Kreep ». La face cachée, elle, ne présente pas cette anomalie chimique. » Pauvre en mers lunaires et riche en cratères, cette partie restée longtemps inexplorée commence à être étudiée grâce aux données récoltées par la sonde chinoise Chang’e 4, arrivée sur la Lune en janvier dernier.
Exploiter l’hélium-3 lunaire
Sur cette face cachée se trouveraient, selon les spécialistes, les plus hautes concentrations d’hélium-3 lunaire. » Cet isotope, extrêmement rare sur notre planète mais présent en abondance sur le sol sélène, est le carburant idéal pour les futurs réacteurs à fusion nucléaire, reconnaît la géologue de l’ULB. Privée d’atmosphère, la Lune a subi pendant des milliards d’années le bombardement incessant de particules à haute énergie sous l’action du vent solaire. » Du gaz pourrait être recueilli en chauffant la roche lunaire. De quoi alimenter en énergie la Terre et les vaisseaux spatiaux des futures missions interplanétaires. La quête de cette ressource est devenue l’argument financier des partisans d’une reconquête de la Lune. La mission Chang’e 4, premier alunissage d’une sonde et de son rover sur la face cachée, aurait précisément pour objectif caché de localiser l’hélium-3 lunaire et d’en déterminer les quantités.
» L’exploitation des ressources lunaires reste un gigantesque défi, estime Vinciane Debaille. Il faudra envoyer sur la Lune des moyens technologiques de grande ampleur, ce qui représente un coût énorme. Sur place, hommes et matériaux seront exposés aux particules fines du sol lunaire, aux radiations cosmiques, aux chutes de météorites et aux énormes écarts de températures qui dilatent et contractent les installations. » En raison de l’absence d’atmosphère et, donc, d’effet de serre, la température sur la Lune peut atteindre en journée les 120 °C, pour retomber la nuit à – 175 °C. Dans les zones d’ombre des cratères du pôle sud, où on espère trouver d’importantes réserves de glace, les températures plongeraient même à -230 °C.
» La perspective d’exploiter les ressources minérales lunaires est l’une des principales raisons du prochain retour de l’homme sur la Lune, remarque Véronique Dehant. Mais les projets lancés visent aussi à préparer un voyage vers Mars. Jusqu’ici, le secteur spatial belge s’est peu occupé de la Lune, car la Belgique n’avait pas les moyens de financer à la fois l’étude de Mars et celle de notre satellite naturel. Mais le remplacement prévu de l’ISS, la Station spatiale internationale, par le Gateway, plateforme en orbite autour de la Lune, pourrait faire évoluer la donne. Car notre pays est membre de l’ESA, l’Agence spatiale européenne, impliquée dans le projet de nouvelle station orbitale comme elle l’est dans l’ISS, où ont séjourné nos astronautes Dirk Frimout et Frank De Winne. L’avenir, c’est aussi le concept de Moon Village initié par l’ESA, une infrastructure permanente sur la Lune ouverte à plusieurs partenaires. »
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