Les 45 minutes qui ont décidé de la rencontre entre Trump et Kim Jong-un
Depuis qu’un diplomate sud-coréen a annoncé une rencontre entre le président américain Donald Trump et le dictateur nord-coréen Kim Jong-un, la presse américaine se casse la tête sur la portée de cette décision.
Pendant toute sa campagne, Trump a en effet reproché à son prédécesseur, Barack Obama, d’avoir conclu un accord avec les détenteurs du pouvoir peu fiables en Iran. Pourquoi est-il si empressé de conclure un accord, ou de négocier, avec un régime qui a chaque fois failli à ses promesses sur le désarmement nucléaire ? The New York Times établit un rapport détaillé.
La première année de la présidence de Trump, c’est surtout l’escalade qui frappe les esprits. Kim Jong-un montre au monde qu’il a testé une bombe à hydrogène et qu’il dispose de missiles capables d’atteindre le territoire américain. Donald Trump intensifie la pression économique et verbale. Il pousse à Chine à renforcer les restrictions d’importation contre la Corée de Nord et à durcir d’anciennes restrictions. Trump promet la « destruction totale de la Corée du Nord » et qualifie Kim de « little rocket man » (le petit homme à la fusée). De son côté, Kim traite Trump de « dérangé mental ». Quand Kim évoque le bouton lui permettant d’envoyer des missiles nucléaires depuis son bureau, le président américain réplique sur Twitter : « Moi aussi, j’ai un bouton nucléaire, mais il est beaucoup plus grand et puissant que le sien ».
Tout cela semblait viser la confrontation, et le mois dernier, lors du coup d’envoi des Jeux olympiques d’hiver, il est toujours question d’escalade. Le vice-président américain Mike Pence refuse de serrer la main de la soeur du leader nord-coréen, Kim Yo-jong, et même de la regarder. Pence reste ostensiblement assis lors du passage de la délégation mixte de la Corée du Nord et du Sud, au lieu de se lever et d’applaudir, un geste peu apprécié par la Corée du Sud, pourtant son alliée.
Les Nord-Coréens annulent une concertation secrète prévue avec Pence. Et Trump envoie sa fille Ivanka en Corée du Sud pour tenter d’arrondir les angles auprès de l’opinion publique au sud.
Alors que les interventions de Pence gâchent le plaisir, le président sud-coréen Moon Jae-in et Kim Yo-jong la soeur de Kim Jong-un, profitent des Jeux olympiques pour s’entretenir pendant trois heures.
« Dormir en toute tranquillité »
Après les jeux, Moon envoie deux diplomates de haut vol dans le nord, dont son conseiller à la sécurité Chung Eui-yong.
Ils sont accueillis en grande pompe et bénéficient de toutes les facilités (internet non censuré). Kim Jong-un lance immédiatement une proposition : des entretiens avec les États-Unis sur la suppression d’armes nucléaires nord-coréennes, une pause pour les tests d’armes nucléaires et de missiles pendant ces négociations, et pas d’objections contre les exercices militaires collectifs annuels des États-Unis et de la Corée du Sud. D’après le Times, il plaisante sur son homologue sud-coréen réveillé à une heure indue lors des tests nucléaires précédents. Selon Kim, les mois prochains, il pourra dormir en toute tranquillité.
Lors de cette concertation, on décide qu’il y aura en avril un sommet entre les présidents de la Corée du Nord et du Sud et une ligne de téléphone directe entre les deux dirigeants. En outre, Kim leur donne un message pour Trump, pour lui proposer une rencontre personnelle.
Les diplomates portent ce message jeudi à la Maison-Blanche. On s’attend à ce qu’ils parlent d’abord aux autres ténors de la Maison-Blanche et seulement vendredi au président, mais Trump les invite le jour même au Bureau ovale, où se tient une rencontre conclue en 45 minutes.
La Maison-Blanche est déjà quelque peu informée de ce qui va se produire, mais toute l’assistance, tant les collaborateurs de Trump que les Coréens, est stupéfaite que Trump accepte immédiatement et sans entendre beaucoup de détails la proposition d’une rencontre.
Alors que des collaborateurs et les Sud-Coréens veulent parler de possibles effets négatifs d’une rencontre, le président américain les écarte d’un: « I get it, I get it », a-t-il, d’après le Times : « Je comprends, je comprends ».
Trump souhaite que les Coréens annoncent la rencontre le jour même, mais ces derniers demandent un report pour se concerter avec leur président. On sort le président Moon de son lit, il consent et on rédige un communiqué avec les collaborateurs de Trump.
Chung Eui-yong, le conseiller de sécurité de Moon, couvre le président américain de louanges: « Si nous en sommes là, c’est en grande partie grâce au président Trump », dit-il, notamment suite à sa « politique de pression maximale ».
La rencontre destinée à « atteindre la dénucléarisation permanente » aurait lieu en mai, après la rencontre entre les deux présidents coréens, et le diplomate coréen exprime sa foi en « la franchise et la sincérité » du président nord-coréen dans sa résolution à trouver une solution.
L’épisode est marqué par deux primeurs: jamais encore, une délégation étrangère n’avait annoncé une rencontre du président américain depuis la Maison-Blanche. Et surtout : jamais encore, un président américain n’avait rencontré un leader nord-coréen. Jusqu’à présent, les rencontres entre les deux pays avaient lieu à un échelon inférieur, et étaient surtout frustrantes.
C’est ainsi que la décision est prise.
Après jeudi, la Maison-Blanche tente de corriger l’impression d’un président impulsif qui laisse tomber toutes ses pratiques en 45 minutes. Les porte-parole indiquent qu’il y a bel et bien eu une concertation préalable avec secrétaire d’État de Trump Rex Tillerson (qui ne savait pas à l’avance que le président accepterait une rencontre) et que les Chinois soutiendraient la rencontre au sommet. La Maison-Blanche indique également qu’il n’y a pas eu de concessions avant la décision de la rencontre, et que cette rencontre serait annulée si les Nord-Coréens posaient des actes contraires à ce qu’ils ont conclu avec la Corée du Sud, par exemple, en organisant de nouveaux tests.
Pour le chroniqueur de Times, Nicholas Kristof, Trump souhaite détourner l’attention de l’attention médiatique autour de l’actrice porno Stormy Daniels et de l’enquête sur la Russie qui se ramifie de plus en plus et dévoile de plus en plus d’éléments malodorants. Le président souhaite que la presse change de discours en se profilant comme le grand créateur de paix. Pour obtenir cela, déclare Kristof, il est prêt à céder à Kim Jong-un sans contrepartie concrète. Il lui donnera « le respect et la légitimité qui découlent du fait que le président nord-coréen se tiendra à côté du président américain comme un égal ».
Dans le passé, estime Kristof, la Corée du Nord a posé des conditions impossibles en échange de sa « dénucléarisation », à savoir une rupture entre les États-Unis et la Corée du Sud et le retrait des troupes américaines de la péninsule coréenne. Rien n’indique, poursuit-il, que cette fois Kim sera plus souple dans les négociations.
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