L’élection présidentielle américaine entraînera-t-elle l’affaiblissement du populisme dans le monde?
La crise sanitaire a-t-elle montré les limites de ce type de gouvernance? Pas sûr.
Après l’élection présidentielle aux Etats-Unis, les dirigeants populistes peuvent-ils s’attendre à des lendemains qui déchantent? Revue de quelques destins, marqués ou non par la crise sanitaire.
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Jair Bolsonaro, la popularité à peine écornée
Après les Etats-Unis, le deuxième pays le plus touché au monde en nombre de décès dus à la Covid-19 est le Brésil avec plus de 160 000 morts pour une population de quelque 210 millions d’habitants. Comme son mentor américain Donald Trump, le président Jair Bolsonaro a été infecté par le coronavirus après en avoir longtemps minimisé l’impact. Testé positif début juillet, il a vu sa cote de popularité croître, une fois guéri. En août, il bénéficiait de 37% d’avis favorables (contre 32% en juin), soit l’équivalent du pourcentage enregistré, par exemple, par un Emmanuel Macron.
Le résultat, somme toute, est honorable, sachant que la gestion de l’épidémie au Brésil a suivi les mêmes sinuosités qu’aux Etats-Unis: négation de la dangerosité du virus, confrontation avec des gouverneurs de tendance politique différente pressés d’agir, incohérences finales dans les mesures prises… Heureusement pour lui, le président brésilien n’est pas au pied du mur électoral (la présidentielle n’aura lieu qu’en 2022) et l’opposition du Parti des travailleurs est en pleine reconstruction après les affaires de corruption qui ont touché les anciens présidents, Dilma Rousseff (2011-2016) et Lula (2003-2011). Le danger pour Bolsonaro pourrait donc venir d’un ancien partenaire, le populaire Sergio Moro, son ex-ministre de la Justice, démissionnaire en avril en raison d’un litige étranger à la gestion de la Covid-19.
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Narendra Modi, la surenchère nationaliste
Après les Etats-Unis et le Brésil, c’est un autre pays dirigé par un populiste, l’Inde, qui clôt le top 3 des Etats les plus affectés par la pandémie de coronavirus: plus de 120000 décès et plus de 8 millions de personnes infectées mais pour une population largement plus importante, 1,4 million d’habitants. La gestion de la crise sanitaire par le Premier ministre, le nationaliste Narendra Modi, a également été critiquée, mais pas pour les mêmes raisons que celles invoquées contre Bolsonaro et Trump. C’est surtout la brutalité du premier confinement et ses conséquences économiques qui ont été questionnées, notamment par les millions de travailleurs émigrés dans les grandes villes et forcés en quelques heures de regagner leur terre d’origine.
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Le chef du gouvernement a donc activé d’autres leviers pour maintenir sa popularité, notamment auprès de sa base électorale nationaliste, en poursuivant une politique jugée par beaucoup discriminatoire à l’encontre de la minorité musulmane. L’un dans l’autre, le dirigeant nationaliste et populiste a-t-il conservé ses chances de briguer un deuxième mandat lors des prochaines élections législatives? Leur tenue en 2024 interdit toute prévision sérieuse. Les élections régionales qui ont lieu jusqu’au 7 novembre dans le Bihar, que son parti dirige en coalition depuis plus de dix ans, constitueront un test de confiance pour Narendra Modi. Cet Etat compte tout de même 125 millions d’habitants…
Rodrigo Duterte, quelle succession?
La cote de popularité du président philippin Rodrigo Duterte atteignait, mi-septembre, 91% d’avis positifs, selon un sondage de Pulse Asia. Un plébiscite apparent pour sa gestion de la Covid-19 qui a fait prévaloir les intérêts économiques sur la protection sanitaire. Résultat: les Philippines ont enregistré plus de 7.000 victimes sur une population de quelque 110 millions d’habitants, un chiffre qui tranche, à son désavantage, avec les statistiques des pays de la région.
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Brutal notamment en matière de lutte antidrogue, le président philippin ne pourra pourtant pas tabler sur les dividendes présumés de sa conduite de la crise sanitaire pour être réélu. La Constitution n’autorise qu’un seul mandat de six ans. En revanche, celle que l’on présente comme sa dauphine, la vice-présidente Leni Robredo, pourra peut-être en tirer avantage. Même si la présidentielle, fixée au 9 mai 2022, est encore fort éloignée. Difficile d’imaginer qu’en cas de victoire, elle puisse se révéler aussi populiste que son parrain.
Recep Tayyip Erdogan, le plus menacé
Des dirigeants populistes analysés ici, Recep Tayyip Erdogan est sans doute celui dont l’avenir est le plus menacé. Pourtant, sa gestion de l’épidémie n’a pas subi le flot de critiques dont ont souffert ses homologues américain et brésilien. Avec un bilan d’un peu plus de 10.000 décès (soit moins qu’en Belgique) pour une population d’environ 83 millions de citoyens, on peut même considérer que la lutte contre la pandémie a été bien menée en Turquie.
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En revanche, les répercussions de la crise sanitaire sur une économie qui se remettait à peine de sa première récession en dix ans affectent le crédit du président qui devait une bonne partie de son prestige à la croissance soutenue qu’il avait su insuffler à l’économie dans ses premières années d’exercice du pouvoir, à partir de 2003, d’abord comme Premier ministre. Avec une inflation estimée à 12%, un chômage à 13%, une livre turque qui devrait perdre 30% de sa valeur en 2020, une industrie du tourisme anémiée par la Covid et des désinvestissements étrangers, le revirement est rude. Le désenchantement de la population s’est traduit par la victoire de l’opposition dans plusieurs villes du pays lors des municipales du 31 mars 2019. Elles ont vu émerger celui qui pourrait bien disputer à Recep Tayyip Erdogan la victoire lors du prochain scrutin présidentiel en juin 2023, le nouveau maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu.
Viktor Orban, la stabilité mais…
Dans une Europe bousculée par le virus, le Premier ministre hongrois Viktor Orban donne le sentiment que rien ne peut l’ébranler, pas même une crise sanitaire sans précédent. Il faut reconnaître qu’avec moins de 1.900 décès pour un peu moins de 10 millions d’habitants, le pays peut être considéré comme un de ceux, sur le continent, qui a le mieux résisté aux ravages de la pandémie. De quoi s’interroger dans les cercles dirigeants de Budapest sur les avantages comparés de la démocratie illibérale sur les « vieilles démocraties » de l’ouest, aux abois face à la Covid.
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L’horizon pourrait donc apparaître dégagé pour Viktor Orban en vue des élections législatives de 2022. Un écueil s’est toutefois dressé sur ce boulevard avec la constitution d’un front de l’opposition, rassemblant des partis de gauche, du centre et jusqu’à la formation d’extrême droite Jobbik, en pleine mue démocratique. Cette coalition a engrangé des premiers résultats lors des municipales du 13 octobre 2019, emportant notamment Budapest sous la houlette de Gergely Karacsony, et s’est engagée à présenter des candidatures uniques dans plus de cent circonscriptions lors des élections législatives dans deux ans. Le début de la fin du pouvoir absolu de Viktor Orban?
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