Le roi de Thaïlande et ses frasques, un casse-tête diplomatique pour l’Allemagne
La contestation du pouvoir ne faiblit pas à Bangkok. Elle n’épargne pas le roi qui passe le plus clair de son temps dans un hôtel de Bavière, où il mène une vie luxueuse et excentrique. De quoi embarrasser l’Allemagne.
L’affaire est devenue un casse-tête diplomatique pour l’Allemagne… Le ministre allemand des Affaires étrangères, le social-démocrate Heiko Maas, « suit de très près le tohu-bohu » autour du roi de Thaïlande en République fédérale. Sa majesté Rama X, 68 ans, passe le plus clair de son temps dans un palace des Alpes bavaroises où il mène une vie luxueuse et excentrique. La question de savoir s’il y prend des décisions politiques, au mépris de règles internationales tacites, met Berlin sous pression. Alors que l’armée réprime durement le mouvement de contestation, à 8 000 kilomètres de là, à Bangkok, l’Allemagne évoque de possibles « conséquences ».
Rama X se trouve pour l’heure dans son pays. Deux avions ont ramené la cour à Bangkok au début du mois d’octobre. A bord du premier appareil, le roi de Thaïlande. Dans le second, son fils de 15 ans, le prince héritier Dipangkorn. La famille royale entendait participer aux traditionnelles cérémonies commémoratives en l’honneur du père de Rama X, le roi Bhumibol, décédé le 13 octobre 2016… Le roi n’avait plus mis les pieds dans son pays depuis des mois.
Un hôtel à disposition
Alors que son peuple descend régulièrement dans les rues de Bangkok, le roi passe le plus clair de son temps en Bavière. En 2020, il n’a séjourné que brièvement dans son palais, quittant Bangkok en plein confinement en mars dernier pour rejoindre la très chic station de Garmisch-Partenkirchen dans les Alpes bavaroises, où il a ses habitudes dans un hôtel de luxe, le Grand Hotel Sonnenbichl. Comme tous les hôtels d’Allemagne, l’établissement est alors fermé au public. Mais pas au roi, dont la cour occupe la totalité des chambres. Le quatrième étage, interdit au personnel de l’établissement, est réservé au monarque, à ses gardes et à sa vingtaine de concubines, selon le quotidien à scandale Bild Zeitung.
Les femmes s’intéressent à lui, et lui plus encore à elles.
En Thaïlande, Rama X, de son vrai nom Maha Vajiralongkorn, est quasiment vénéré par une partie de la population. Il arbore ses médailles et ses uniformes d’apparat, et même les militaires au pouvoir se roulent à l’occasion à ses pieds en signe de soumission. Son peuple voit en lui la réincarnation du dieu hindou Vishnou. En Allemagne, loin de la stricte étiquette de Bangkok, Rama X mène une vie plus dissolue, voire excentrique. Dans les rues de Garmisch-Partenkirchen, on le voit se promener en jean moulant et tee-shirt au dessus du nombril, faire du vélo et même cueillir ses fraises dans un champ ouvert au public. Ses colères, ses escapades, ses mariages ratés, ses nombreux enfants illégitimes, son caniche Foo Foo (entre-temps décédé) qu’il a nommé maréchal et sa fortune ont fait les choux gras des tabloïds.
Il n’est pas rentré dans le rang
A Bangkok, où les réseaux sociaux relaient les scandales, la vie dissolue du monarque met à mal son aura. « Son comportement est très différent de celui de son père, le roi Bhumibol », dénonçait au magazine allemand Der Spiegel, peu avant son arrestation mi-octobre, l’étudiante en sociologie Panusaya Sithijirawattanakul. Pour cette figure de la contestation étudiante, connue sous le nom de « Rung », les escapades du roi expliquent en partie le mécontentement grandissant des jeunes face à la monarchie. Car contrairement à son père, lui aussi connu pour quelques excentricités dans les années 1950, Rama X n’est pas rentré dans le rang après son accession au trône. « Les femmes s’intéressent à lui, et lui plus encore à elles », tranchait même sa mère, Sirikit Kitiyakara, épouse pendant soixante-six ans de Bhumibol et indignée d’un retour à la polygamie dans la dynastie.
Rama X, marié quatre fois, n’hésite pas à jeter en prison ou à exiler celles dont il se serait lassé. Ou à faire incarcérer les jeunes qui conspuent la limousine transportant la reine, mi-octobre. Son train de vie dispendieux – Rama X est l’un des souverains les plus riches de la planète – dans l’un des pays les plus inégalitaires au monde, et ses pouvoirs importants en regard de son statut de monarque constitutionnel, sont de moins en moins acceptés.
Longtemps, l’Allemagne a semblé tolérer les frasques de Rama X. Le monarque, formé comme son père à l’étranger, possède depuis 2016 une villa de 5 600 mètres carrés sur les rives du lac de Starnberg, prisées des millionnaires. La propriété, acquise pour 12 millions d’euros, est dotée d’un ponton et d’un accès direct au lac. A quelques kilomètres de là vit son fils dans une seconde propriété tout aussi luxueuse. Réputé autiste, le prince héritier fréquente une école alternative des environs.
Les premiers tracas avec les autorités allemandes sont d’ordre fiscal. Rama X, qui aurait hérité de 50 milliards d’euros à la mort de son père, s’empresse d’apposer une plaque diplomatique sur les murs de sa villa, pour la soustraire à l’impôt sur les successions. Et ce serait toujours pour échapper à l’impôt qu’il vivrait aujourd’hui à l’hôtel. A l’autre bout du pays, à Hambourg, l’opposition s’émeut de sa passion pour l’aviation. Le groupe parlementaire néocommuniste demande au parlement régional des explications après quelques manoeuvres particulièrement polluantes et sonores du roi dans le ciel hambourgeois. Rama X possède une quarantaine d’appareils et une licence de pilote de chasse acquise aux Etats-Unis. L’un de ses avions lui sera d’ailleurs confisqué en 2011 par la justice allemande, à la suite d’une dette de 36 millions d’euros non réglée à une entreprise bavaroise du bâtiment menacée de dépôt de bilan.
Du télétravail controversé
Mais cette fois-ci, le dossier Rama X prend, vu de Berlin, un tour politique. A Bangkok, un millier de manifestants se sont pressés fin octobre devant l’ambassade d’Allemagne, demandant à Angela Merkel de vérifier si le souverain règne en télétravail depuis la République fédérale. Dans une lettre remise à l’ambassadeur, ils prient Berlin de vérifier si le roi « prend des décisions politiques » depuis la Bavière. Déjà début octobre, le ministre des Affaires étrangères avait dû s’expliquer face à l’opposition au Bundestag: « Nous avons clairement dit qu’aucune décision politique concernant laThaïlande ne peut être prise depuis le sol allemand, a rappelé le ministre. Si des invités se trouvant dans notre pays gèrent leurs affaires nationales depuis chez nous, alors nous répliquerons toujours de manière très claire. »
Selon l’ONG Thai Lawyers for Human Rights, la répression s’est aggravée en Thaïlande au cours des dernières semaines. Soixante-cinq militants de premier plan ont été arrêtés. Le temps où les meneurs étudiants étaient interpellés puis rapidement relâchés sous caution, comme pendant l’été, semble révolu. Et l’Allemagne redoute d’être associée à cette répression.
Une jeunesse avide de plus de libertés
Dans un pays qui a très bien géré la crise de la Covid-19, la contestation du pouvoir a pris vigueur à la suite de la dissolution, en février 2020, du Parti du nouvel avenir qui avait récolté un score inattendu lors des élections législatives du 24 mars 2019 en remportant 17,34% des suffrages. Depuis, les manifestations se sont multipliées dans Bangkok et dans d’autres villes, rassemblant parfois de dizaines de milliers de personnes, majoritairement jeunes. Les protestataires réclament la démission du Premier ministre Prayuth Chan-o-Cha, issu de la junte militaire responsable d’un coup d’Etat en 2014 qui l’installa dans ses fonctions, la dissolution de l’Assemblée nationale constituée après le scrutin de 2019 manipulé, selon eux, par les militaires, la révision de la Constitution modifiée sous l’impulsion des mêmes en 2017 et, tabou d’entre les tabous, la réforme de la monarchie. Les opposants estiment que le règne de Rama X, installé sur le trône le 1er décembre 2016 après la mort du roi Bhumibol le 13 octobre de la même année, tend vers la monarchie absolue qu’un autre putsch militaire avait précisément abolie et transformée en 1932 en une monarchie constitutionnelle.
Ces derniers jours, le pouvoir thaïlandais a soufflé le chaud et le froid auprès des les manifestants. Il a instauré l’Etat d’urgence qui interdit tout rassemblement politique de plus de quatre personnes et arrêté de nombreux leaders de la contestation à la mi-octobre avant de lever les mesures d’exception le 22. Rama X s’est joint, le dimanche 1er novembre, à une démonstration de force de ses partisans dans la capitale et a déclaré, à la faveur d’une rare interview: « La Thaïlande est une terre de compromis. […] Nous les aimons tous de la même façon », en parlant des jeunes détracteurs du premier ministre et des militaires. La confrontation est loin d’être close.
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